Une étrange école (2)

C'est parce qu'ils font, qu'ils agissent, qu'ils apprennent.

Cet article est la deuxième partie d’une histoire qui a commencé ici.

Penchée sur son bureau, dans sa chambre, Élodie écrivait. Cela faisait presque 5 heures d’affilée que cloitrée, elle gribouillait, raturait, corrigeait son texte. De nombreuses fenêtres étaient ouvertes sur l’écran de son ordinateur. On pouvait y voir de multiples photos de montagnes, de pics, de glaciers.

Sa mère, frappa à la porte. “Le diner est prêt. Tu viens ma puce ?”

Élodie hésita un peu, regardant les cahiers ouverts sur son bureau. “Dans 10 minutes, d’accord ?”

96ème jour de classe

Le lendemain, en attendant la prof, ça discutait ferme dans la classe. Élodie montra son devoir, 10 pages noircies d’écriture entrecoupées de photos qu’elle avait imprimé. Louis n’en crut pas ses yeux. “Mais avec ça, tu vas avoir largement au-dessus de la moyenne !”
“Et c’est bien mon but. Je veux avoir la note la plus haute possible.”
“Mais… mais c’est la catastrophe ça, tu as déjà eu 2 mauvaises notes. Tu es sur le bon chemin. Avec ce truc, tu vas réduire tes chances de passer…”
Tous les regards se tournèrent vers elle.
“Louis, je m’en fous de redoubler. Je veux que la prof me dise les mêmes choses qu’à Damien.” Elle le chercha du regard. “Tu étais bien content après ton 11 ?”

Le groupe porta son attention sur lui.

Ce dernier se gratta la tête. “Oui, c’était très sympa. C’est pas la note qui m’a fait ça mais ce qu’elle m’a dit. La philo et moi ? J’en reviens toujours pas. C’est pourtant un truc de grand.”
“Oui, mais c’est ce qui t’a plu ?”
“Ben oui. Ça fait plaisir.”

Louis pointa du doigt la copie de Damien. “Mais dis-donc, toi aussi tu en as mis des tonnes ! Fais voir ?”

Le garçon, un peu gêné tendit son devoir à Louis qui s’empressa de lire le titre. “Procès et mort de Socrate.” Il fronça les sourcils. “Avec ça tu vas encore avoir une note au-dessus de la moyenne, toi !”

Damien, d’un geste sec, lui reprit ses pages.

“Comme disait Élodie, je m’en fous aussi. J’en ai rien à faire de leurs règles. J’ai jamais lu et écrit autant. Même que mes parents étaient inquiets pendant que je faisais mes recherches sur l’ordi. Tu aurais dû voir leur tête, c’est tout juste s’ils ne m’ont pas obligé à m’arrêter.” Il prit un air un peu menaçant qui fit reculer Louis et les autres. “D’abord moi, je fais ce que je veux, en plus, tant que ça ennuie mon père et ma mère…” Il n’en dit pas plus mais tout le monde comprit.

Il se relâcha un peu.

“Et puis quoi, cette histoire de Socrate qui boit un poison volontairement, c’est dément ! ”

Le groupe, curieux, se resserra à nouveau autour de lui. “Socrate, c’est le gars qui pose des questions à tout le monde et qui ne respecte personne !” Son œil brillait. “Avec sa manie d’interroger, il a ennuyé beaucoup de gens à Athènes. Il a bien dû s’amuser. Là-bas, tous les jeunes, comme Alcibiade, l’adoraient.”
“Alci… qui ?” demanda Élodie.
“Alcibiade. Super aussi. Libre. Il pensait ce qu’il voulait et je peux te dire qu’il n’hésitait pas à changer de camp, si ça lui faisait plaisir. Il quitta Athènes pour rejoindre les guerriers de Sparte. Quant à Socrate, le plus incroyable, c’est qu’après avoir été condamné à mort, il aurait pu facilement s’échapper. Ses potes voulaient l’aider. Eh bien non, il resta là, fidèle à ses principes.”

Des hochements de tête approuvèrent la sagesse de ces paroles.

122ème jour de classe

La prof parcourut des yeux les élèves, sagement assis. “Cette classe est en train de se disperser. Il y a de plus en plus de notes au-dessus de la moyenne. Où sont les mauvaises notes des premiers mois ?”

La majorité de la classe sourit légèrement. La prof commença à distribuer les copies. “Ceci dit, j’ai quand même une bonne nouvelle. La plus mauvaise note a été obtenue par Louis.”

Le visage de ce dernier s’illumina. “Et j’ai travaillé dur pour ça,” insista-t-il. Sa copie était pleine de taches de café et de sauce tomate.

“Tu fais dans l’Art ?” demanda Élodie, en riant. “C’était quoi ton sujet ?”
“Je ne sais pas. J’ai recopié une ligne écrite en russe, pour être certain de me planter.”

La prof s’approcha d’Élodie. “Par contre, pour vous c’est un désastre. Votre sujet sur la conquête de l’Himalaya était passionnant et vous avez dû y passer beaucoup de temps dessus. Bien sûr, vous échouez parce que cela vaut bien au-dessus de la moyenne.

La jeune fille, comblée, prit la copie des mains de sa prof sans rien dire. Louis, penché sur le côté, la dévisageait. “Et en plus, ça te fait rire”, lui lança-t-il, ce à quoi Élodie répondit par un clin d’œil.

La prof se planta devant Damien. “Alors on insiste ? On n’obéit pas ? On ne veut pas avoir de mauvaises notes comme je le demande ?”

Le garçon prit un air innocent. “Que voulez-vous, c’est ma nature rebelle !”
“Un peu comme Socrate ?”
“Surtout comme lui.”

158ème jour de classe

A la sortie de l’école, Louis courut pour rattraper Élodie et Damien qui marchaient avec leurs camarades.

“Attendez-moi !” cria-t-il.

Le groupe s’arrêta pour lui permettre de les rejoindre et le jeune garçon, un peu essoufflé, s’arrêta au milieu du cercle qu’ils formaient, se penchant en avant, les mains sur les genoux. Après quelques secondes, il leva la tête. “Je sais plus quoi faire ! Avant j’étais bon en classe. Et puis, avec cette nouvelle école, j’ai dû me réadapter. J’ai enfin obtenu ma première mauvaise note mais ça ne me fait pas bondir de joie.”

Il se redressa et regarda tout autour de lui. “Et puis vous, au lieu de continuer à avoir des mauvaises notes, vous vous mettez à en avoir de bonnes. En plus, vous êtes contents,” murmura-t-il, la voix tremblante. Des larmes apparurent dans ses yeux. “Qu’est-ce que je dois faire ?”

Élodie s’avança. “Ça doit être facile pour toi. Fais comme nous. Essaie les bonnes notes, même si tu dois redoubler. ”
“Mais c’est terrible de redoubler !”
“Je ne sais pas. Mais Louis, par contre, je peux te dire que le plaisir que tu as lorsque la prof te parle en bien de ton devoir que tu as choisi et sur lequel tu as travaillé pendant des heures, ça c’est un truc unique.”

Louis sécha les larmes qui commençaient à couler sur ses joues. “Et si je n’y arrive pas ? Si je me plante dans mon devoir ?”
“Si tu as une mauvaise note ? et bien tu passeras en classe supérieure. C’est bien ce que tu veux, non ?”

Tout le groupe partit dans un grand éclat de rire.

(Suite)

(Photo : nattu)

Commentaires

24 commentaires pour “Une étrange école (2)”
  1. Mohamed says:

    Bonjour Jean-Philippe

    Je commencerai par “qui fit un reculer” le “un” ne serait pas de trop par hasard ? paragraphe 10.

    D’un point de vue de lecteur lambda, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire les deux parties de l’histoire et a sentir monter le désir de connaitre absolument la fin de l’histoire. Personnellement je dois dire que j’ai préfère la première partie, en fait je dirais que tu as été victime du syndrome Matrix. C’est le syndrome qui veut que tu fasses une première partie qui déchire tout et qu’en conséquence les gens attendent de toi que tu réalises une seconde partie qui est bien meilleure encore…mais c’est impossible. Oui impossible tout simplement parce que tu ne peux combler tout le monde…
    Ce qui m’amène a mon point de prof, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire la première partie. La deuxième beaucoup moins, en y réfléchissant, j’attribue cela a deux choses :
    – Ses étudiants ne sont pas crédibles je ne vois pas des jeunes se comportaient de cette manière, en fait j’ai l’impression que c’est comme ca qu’en tant qu’adulte on aime à se les imaginer mais non ils ne sont pas comme ca.
    – Ensuite je me suis aperçu que c’est parce que j’attendais “ma fin” la fin que le prof avait entrevue, une fin pleine de morale scolastico-scolaire. Je ne peux pas te dire quelle fin j’entrevoyais, mais cette fin n’était pas celle que j’entrevoyais.
    Et justement le fait que je ne peux pas te dire ce que j’entrevoyais me fait dire que ca ne vient pas de ton texte mais du prof qui lit le texte.

    Merci beaucoup pour ton texte, je pense que je le relirais dans les jours qui viennent et peut-être que je mettrai le doigt dessus, d’ici-la je continuerai à jeter un œil sur les commentaires peut-être que d’autres m’aideront a mettre le doigt dessus lol

    J’espère que ce texte n’est que le premier d’une longue série a venir.

    Mohamed

  2. Jean-Philippe says:

    Ah, je reconnais en toi le prof ! Merci d’avoir corrigé cette faute. 😉

    Merci aussi pour ta critique constructive. C’est vraiment bien ce que tu dis et je pense en gros comme toi. Si, si. Au départ, j’écris pour moi, pour me faire plaisir et ensuite si ça plait aux autres, c’est encore mieux. Mais ça ne marche pas toujours. D’ailleurs, les devoirs dans la “vraie” école, devraient suivre ce principe, non ?

    Enfin, qu’est-ce que je fais de la suite de l’histoire qui est déjà prête ? 🙂

  3. Nathalie says:

    Très interessant 😉 j’attends la suite…

  4. Jean-Philippe says:

    Merci Nathalie ! Ça sera pour jeudi prochain. 😉

  5. Alban says:

    Une passionnante petite histoire tout ça ! J’aime beaucoup la fiction (et je me rends compte qu’on en trouve presque jamais sur les blogs) et j’attend la fin avec impatience 😉

  6. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Alban ! En fait, je pense que cela doit bien exister, peut-être sur des blogs plus littéraires, donc peut-être plus sérieux. 😉

  7. Gyzmau says:

    J’adore, c’est avec la première histoire que j’ai découvert ton blog (excellent par ailleurs).
    J’attend avec impatience la suite.

    J’adore les histoires qui transporte qui nous font penser qu’elles sont presque possible.

  8. Jean-Philippe says:

    Merci Gyzmau ! Justement, c’est peut-être ça que nous perdons en grandissant, cette habilité à croire que tout est possible. 🙂

  9. Julien says:

    Encore à suivre?! Le suspense est insoutenable! En tous cas, j’apprécie vraiment la lecture de ces articles. Encore bravo!

  10. Jean-Philippe says:

    Ah Julien, tes compliments me font bien plaisir. Le suspense est parfois important pour garder les idées fraiches et actives. 😉

  11. Yann says:

    Je n’avais pas lu la première partie. Du coup je l’ai lu après celle-ci. Et comme les autres lecteurs j’attends la suite. Ces deux articles amènent un certain nombre d’interrogations.
    Bravo Jean-Philippe.

  12. Jean-Philippe says:

    Merci Yann ! C’est amusant ça. 🙂 Ça doit faire drôle de lire à l’envers et tu as dû te poser des questions sur mon équilibre… 😉

  13. David says:

    Je n’avais pas pris le temps de commenter le premier épisode, mais à la lecture du second je ne peux pas résister :). C’est d’abord l’occasion de réaffirmer mon goût pour ton style : hyper fluide, très concret, très imagé et une façon souvent originale d’entrer dans un sujet.
    Je n’attendais pas de suite au premier épisode, je suis comblé de lire le second.
    Je n’attendais pas de suite au second épisode, je serais comblé de lire le troisième. Sur la forme, tu as donc réalisé un découpage en plusieurs articles qui se suffisent à eux même tout en suscitant l’intérêt d’une suite. Bravo !

    Pour répondre à Alban, effectivement la fiction existe sur des blogs plus littéraires. Cela me rappelle un peu le plaisir que j’avais à lire le blog de BRAD-PITT DEUCHFALH (dans une autre philosophie, un style particulier mais tout aussi abordable et fascinant).

    Sur le fond, pour ces articles, je regrette un peu comme d’autre la “facilité” avec laquelle les personnages évoluent et qui les rend parfois peu crédibles. Le timing du nombre de jours qui s’écoulent vient quand même atténuer cette gêne ; ils ont le temps d’apprendre. De plus, ça correspond tout à fait à l’esprit d’une fable qui pour le coup, porte une philosophie très intéressante : prenons des risques ! vivons l’échec ! Expérimentons pour apprendre à mieux nous connaître ! Et éduquons nos (futurs) enfants à prendre le chemin de cette école !

    Sans monopoliser plus l’espace… La suite !

  14. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup David d’avoir pris le temps de faire ce long commentaire ! Tout ce que tu dis, soit me touche soit me permet d’enrichir mon expérience. Et puis, je ne connaissais pas Brad-Pitt Deuchfalh : c’est drôlement bien ! 🙂

  15. Antoine says:

    Je suis comme aspiré quand j’ai lu cette histoire (et idem pour la première partie). C’est vraiment bien trouvé comme idée et très bien écrit! Félicitations et merci de nous faire partager ça.

  16. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Antoine ! Fais gaffe à l’aspiration quand même. 😉

    Cela me fait penser, pour ceux et celles qui sont intéressés, qu’au mois de février dernier j’avais écrit une autre fiction mais celle-là avait pour thème les véritables origines de l’iPad. Elle est apparu en 3 parties sur Presse-citron.

  17. djellalimodlakhdar says:

    merci

  18. Jean-Philippe says:

    @djellalimodlakhdar De rien !

  19. Mama Zen says:

    merciiiii Jean-Philippe! J’ai montré ton texte à mon conjoint et il veut le relire du début (je lui avais résumé la partie 1). C’est original, je lirai le 3 demain 🙂

  20. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Mama Zen ! J’espère que ton conjoint passera aussi un agréable moment avec Élodie, Louis et Damien. 😉

  21. Philippe says:

    bonjour Jean philippe
    j’aimerai jouer un jeu avec toi! devinez la fin!
    J’en suis arrivé à : Pourquoi cette école pratique t’elle cette méthode ?
    je pense que l’idée vient d’une réflexion ” qu’en préchant le faux, on découvre une vérité.
    Suis je dans le vrai ?
    Pour tout te dire , j’mamuse! j’ai pas envi de tout lire! j’aime pas perdre mon temps, si j’peux savoir avant!! tu comprends?
    Si j’me trompe, j’te promet de lire la suite!
    ciao

  22. Jean-Philippe says:

    D’accord Philippe, j’ai compris. Mais là, vu ta réponse, il va falloir que tu continues à lire. 😉

  23. Jean-Philippe says:

    Annonce : Une étrange école a un nouvel épisode intitulé Nouveau trimestre !

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