Une étrange école

Jouer au crépuscule, sans arrières-pensées et, petit à petit, sculpter sa vie.

D’où nous vient ce concept que, lorsque nous échouons dans un domaine, dans un projet ou dans une relation, c’est la fin de tout ? Pourquoi avons-nous peur de rater quelque chose ? J’aurais bien aimé vivre dans une société différente, dans une société qui verrait les erreurs d’une manière différente, une société où l’échec serait encouragé, recommandé. Les mauvais seraient les meilleurs et les meilleurs, les mauvais. Vous me suivez ?

1er jour de classe

“Bonjour à tous et à toutes, permettez-moi de me présenter, je serai votre professeur principal pour l’année scolaire à venir.”

Dans un léger brouhaha, la prof continua. “Comme vous êtes nouveaux, je voudrais que vous sachiez que, dans notre établissement, nous faisons tout pour qu’à la fin de l’année scolaire vous ayez appris quelque chose qui vous servira toute votre vie. Donc, notez bien, votre objectif pour les 3 trimestres à venir sera d’accumuler un minimum de 9 mauvaises notes dans vos tests officiels.”

Un silence total tomba sur la classe. Souriante, la prof continua. “Si vous ne réussissez pas à obtenir ces 9 notes, qui doivent toutes être en dessous de la moyenne, vous devrez redoubler votre classe. Des questions ?”

La classe restait pétrifiée. Comme si on les avait débranchés.

Finalement, une main se leva doucement au premier rang. Celle de Louis, “la” grosse tête dans son école précédente. “Excusez-moi mais, comment fait-on pour avoir des mauvaises notes ?”

Une autre voix, narquoise celle-là, s’éleva du fond de la classe. “Ah, c’est pourtant facile ! Tu réponds à côté du sujet !” Au dernier rang, Damien jaugeait la prof du regard.

Cette dernière fixa le jeune garçon sans sourciller. “Vous avez raison, c’est exactement ça. Avoir une mauvaise note, ce n’est pas si difficile. Avec un peu d’effort, vous devriez tous et toutes y arriver. Mais, je n’en ai pas terminé.”

Une vague d’inquiétude passa entre les bureaux.

“Vous venez de comprendre une des clefs pour avoir une mauvaise note : répondez hors-sujet. Je rajouterai simplement une autre règle pour vous rendre les choses un peu plus facile. C’est vous qui choisirez vos sujets de tests.”

Vingt-et-une paires d’yeux s’arrondirent d’incrédulité.

Élodie, au milieu de la classe, leva la main d’un geste décidé, les sourcils froncés. “Dites-moi que c’est une blague. Comment vous croyez qu’on va pouvoir expliquer ça à nos parents ce soir en rentrant ?”

La prof se rapprocha de la jeune élève. “Ce sont eux qui ont choisi de vous inscrire dans notre école. Ils savent donc très bien ce qui vous attend.”

“Mais alors, il veulent faire de nous des ratés ?” s’inquiéta Louis.

La prof ne répondit pas et retourna vers son bureau, pour vider son grand cartable.

La plupart des élèves, finirent par se regarder avec des petits sourires en coin. Cette école, finalement était géniale, on allait pouvoir buller pendant un an ! Et pour réussir à passer dans la classe supérieure, il ne faudrait avoir que des mauvaises notes. Le paradis quoi !

32ème jour de classe

Louis était en sueur. Cela faisait plusieurs jours qu’il travaillait d’arrache-pied dans sa chambre. Vers la fin du premier mois, il avait eu son premier résultat, une trop bonne note. Juste au-dessus de la moyenne. La poisse ! Et pourtant, il avait fait des efforts. Il avait pris un sujet hyper facile qu’il connaissait bien, avait écrit une belle rédaction et ensuite avait gommé un paragraphe sur deux. Avec toutes ces coupes, il pensait avoir un zéro, l’horreur dans une autre école. Mais non, il avait quand même eu un 11/20.

En fait, sa première réaction en recevant sa note avait été d’avoir un sursaut d’orgueil. Même en faisant des coupes dans son travail, il avait réussi à avoir la moyenne ! Complète, sa rédac eût été géniale ! Mais il déchanta vite. Un 11, cela voulait dire qu’il n’avait pas la bonne note. Enfin, la mauvaise, qui donnerait le ticket pour la classe supérieure.

Damien lui, était aux anges. Un zéro pointé lui avait permis d’obtenir la meilleure note de toute la classe. Il avait tout simplement rendu une feuille blanche. Depuis, de nombreux élèves recherchaient ses conseils, qu’il dispensait depuis le dernier rang, appréciant son nouveau statut de “star” de la classe.

Élodie elle, un peu embêtée, avait donné son devoir en sachant que c’était nul. C’était difficile de se forcer à faire de vraies fautes. Alors, pour simplifier, elle avait enlevé tous les “s” des pluriels. Ainsi,elle avait obtenu un 5/20, qui ne l’avait pas du tout réjouie. Elle pensait toujours qu’il y avait anguille sous roche mais n’arrivait pas à comprendre ce que tramaient les adultes.

67ème jour de classe

“Bonjour ! Je vais donc vous rendre vos deuxièmes devoirs que j’ai corrigé, cette fois-ci, avec beaucoup plus de plaisir.”

La classe demeura silencieuse. Quel plaisir pouvait-elle trouver à distribuer comme ça des bonnes-mauvaises notes ?

“Je dois avouer qu’il y a une nette amélioration par rapport aux premiers tests. Vos notes, dans l’ensemble, sont bien plus mauvaises et c’est un point très positif dont nous devons nous réjouir.”

Les mines restèrent renfrognées.

La prof se saisit de la pile de devoirs. “Par contre, nous avons encore deux élèves parmi vous qui ont quelques difficultés.” Elle s’arrêta devant Louis. “Il va falloir vraiment faire un effort. Vous avez obtenu un 10. La moyenne. C’est encore trop bon.”

Un peu désespéré, il prit doucement sa copie des mains de la prof et soupira, résigné. “Peut-être que je ne suis pas fait pour avoir de mauvaises notes. C’est vraiment dur.”

“Moi je peux t’aider !”, lança Damien du fond de la classe. “J’ai de l’expérience et puis j’ai déjà fait mes preuves.”

La prof se dirigea doucement vers lui en recherchant sa copie parmi les autres. “Je ne crois pas que vous puissiez vous permettre Damien. Vous avez obtenu la plus haute et donc la dernière note de toute la classe. Un 11.”

Le garçon faillit en tomber de sa chaise. “Quoi ? Moi ? La plus haute note ? C’est impossible, je n’ai rien mis dans la rédac.”
“Si, vous avez fait un dessin. Quel était votre thème ?”
“Euh… les religions modernes. Un truc que j’ai piqué dans un livre de philo de mon frère, au hasard.”
“Et qu’avez-vous dessiné sur la page ?”
“Ben… une tête de Mickey.”

La classe partit d’un immense éclat de rire.

La prof écarta les bras pour demander le silence. “C’est peut-être plein d’humour, mais c’est brillant. Un peu court quand même, c’est pour cela que je vous ai donné un 11. Ceci dit, tout est dans le symbole et vous l’avez parfaitement saisi. Je pense que vous seriez bon en philo.”

Un mélange de murmures étouffés et de regards respectueux parcoururent la classe.

Damien remua sur sa chaise, comme embarrassé, mal à l’aise. Mais, intérieurement il se sentait différent. Il y avait une sensation agréable qui montait en lui, quelque chose qu’il n’avait jamais connu auparavant.

Trois rangs devant, Élodie le regardait, songeuse.

(Suite)

(Photo : broma)

Commentaires

48 commentaires pour “Une étrange école”
  1. Henry Kleinespel says:

    La suite ! 🙂

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Henry ! Ça sera pour jeudi. 😉

  3. Rémy says:

    Mais où veux-t-il en venir?
    Vivement jeudi ^^

  4. AMie says:

    Euh ! Il y a comme un flottement là… 😉
    Bravo Jean-Philippe! L’exercice est réussi ! Mais délicat à noter… 🙂

  5. remy66 says:

    Ca peut faire l’objet d’un livre

  6. Jean-Philippe says:

    @Rémy Merci pour le compliment !

    @AMie Tu aurais fait une bonne prof dans cette école. 😉

    @remy66 C’est très sympa ce que tu dis là. 😀

  7. Mohamed says:

    Perso j’ai cette phrase que je répète à mes élèves comme un mantra : « please make mistakes » (s’il vous plait faites des erreurs) car après tout une erreur n’est qu’une marche de plus sur l’échelle de l’objectif fixé.

    Tu viens de me donner une idée fantastique. En classe de langues les profs luttent avec le phénomène du rire narquois. Tu sais quand tu prends ton courage a demain et t’essaies de faire l’accent approprié et que le couillon d’a coté pouffe. Donc en fait les profs ont développé l’appellation « risk taker » ca veut dire que l’élève a passé outre les moqueries et qu’il a osé. En fait je vais mettre en place un système ou j’obligerais les étudiants à avoir X essais importants ratés (a définir), si ils réussissent ils ont 1 point de plus sur la moyenne final (compté chez nous sur 7).

    Merci Jean-Philippe vraiment ! Alors comme ca tu continues sur la série de l’école ? tu sais je pense sérieusement a faire un autre blog dev.P pour les profs et la gestion des difficultés que nous rencontrons dans l’enseignement vu par le dev.P. Le problème c’est que je ne sais pas vraiment si les gens seraient intéressés et puis le temps me manque, malheureusement.

    Merci encore

    Mohamed

  8. Jean-Philippe says:

    Très heureux d’avoir pu être indirectement utile à tes classes Mohamed. 🙂

    Effectivement, l’idée du “risk taker” est excellente ! Tiens-nous au courant parce que ça pourrait être utile à d’autres profs. A propos, je pense qu’il y a vraiment une niche pour aider les profs dans leur contact avec les élèves. Être professeur de nos jours demande beaucoup de courage et un blog sur le sujet serait une mine d’information pour eux. Par contre, pour bien s’occuper du blog, il faut du temps… notre denrée la plus précieuse sur terre. 😉

  9. Antoine says:

    C’est vrai que ça ne doit pas être évident d’écrire quelque chose “d’inversé” comme ça. En tout cas le résultat final est superbe, j’adore! Tu as vraiment du talent!

  10. Jean-Philippe says:

    Merci Antoine ! Ça me fait travailler les méninges, un peu comme un sudoku. 😉

  11. Nathalie says:

    on doit deviner la suite??? 😉

  12. Jean-Philippe says:

    @Nathalie Non, ce n’est pas nécessaire ! En fait, l’idée m’est venue après l’article Le lycée c’est la prison, c’est un peu la suite. J’ai essayé d’imaginer une école différente juste pour voir. En plus, en même temps, j’ai reçu un mail de quelqu’un me parlant de ses échecs. J’ai juste combiné le tout. 😉

  13. jean-Philippe fait encore une fois preuve de tout son talent ! on attend la suite de l’histoire…

  14. Julien says:

    Super, je me réjouis de lire la suite jeudi!

  15. Aurelien says:

    Il me parait normal que les erreurs soient mal vues dans votre société car dans le cours normal des choses, si quelqu’un fait une erreur c’est quelque chose de néfaste qui va entrainer des problèmes pour lui ou pour d’autres personnes, par exemple si un chauffeur de bus a un moment d’inattention il peut risquer la sécurité de ses passagers, dans un registre moins dramatique, si j’oublie d’acheter du pain en rentrant ce soir mes invités seront condamnés à manger du camembert sur le pouce 😉

    Par contre quand une personne sort de sa zone de confort pour tenter d’améliorer sa vie (elle s’inscrit dans un processus d’apprentissage), c’est tout à fait légitime -et normal- qu’elle fasse une erreur, il ne faut donc pas lui en tenir rigueur et il faut, au contraire, l’encourager, je pense donc qu’il convient de distinguer les deux cas de figure.

    PS: une petite correction:

    1er jour de classe

    “Comme vous êtes nouveaux, je voudrais que vous sachiez que, dans notre établissement, nous faisons tout pour qu’à la fin de l’année scolaire vous AYEZ appris quelque chose qui vous servira toute votre vie.

  16. Jean-Philippe says:

    @Boris S @Julien Merci pour vos compliments !

    @Aurélien Nous sommes d’accord et merci pour ta correction. Dans cette école, j’aurai obtenu une bonne-mauvaise note. 😉

  17. Cgregou says:

    Bonsoir et merci pour ce délicieux roman (si bien ficelé) sur l’éducation !!! Etant moi même un super cancre, ma mère m’avait trouvée une école sans notation “l’école Rodolphe Steiner ! 😉 C’était juste pour dire que ce système pédagogique existe la compétition inter élèves est souvent traumatisante pour des enfants en manque de confiance …
    Mais encore bravo pour cette intrigue que je ne manquerai pas de suivre !!!
    Bien Amicalement

  18. Jean-Philippe says:

    Merci Cgregou ! Je me disais bien que ce genre d’école devait bien exister quelque part. 🙂

  19. Christian says:

    Merci Jean-Philippe! J’aime beaucoup cet article. 🙂

    Ça me fait penser au livre que j’ai presque terminé de lire: Happier de Tal Ben-Shahar. Il parle justement de ce sujet. Il dit que notre société récompense seulement les gens qui atteignent des objectifs précis. On nous a appris que la réussite équivalant à une bonne note à l’école, de l’argent ou un bon emploi. Par contre, ce n’était pas important si nous avions du plaisir ou non à accomplir nos objectifs.

    Si tu veux bien vivre plus tard, tu dois te trouver un bon travail payant. Pour trouver un bon travail payant, tu dois travailler fort et avoir de bonnes notes. Ceci a transformé les gens en “rat racers” qui ne cherchent qu’à accomplir des objectifs sans s’arrêter pour apprécier le succès. Un objectif est accomplit, un nouvel objectif fixé.

    Christian

  20. Jean-Philippe says:

    Merci Christian ! C’est une belle démonstration que tu fais là. Le livre de Tal Ben-Shahar m’a été recommandé dans les commentaires, il y a longtemps. Je l’ai donc lu et j’ai ressenti la même chose que toi. 🙂

  21. Laure says:

    les élèves de ton école sont vraiment soumis!

    aucun ne se révolte,ils obéissent à l’autorité coûte que coûte,même si ce qu’ils font n’est pas normal…

    bouhhh quel horreur ! j’éspère qu’il y en a un qui va se réveiller dans ton histoire !
    j’aime pas l’école qui formate que ce soit dans un sens comme dans l’autre…

    c’est d’ailleurs pour ça que j’ai jamais aimé l’école..

  22. Julien says:

    Premier article que je lis du blog et sans aucun doute je l’ajoute à mes flux rss. Je suis tout à fait d’accord avec certains commentaires sur le fait qu’encourager les élèves à prendre des risques est primordial. La plupart des élèves sont timides et n’osent pas par exemple prendre la parole. Pour moi, les bons professeurs sont ceux qui mettent en place des vrais dispositifs pour transmettre autre chose que l’enseignement pur de leur matière.

  23. Jean-Philippe says:

    @Laure Ah merci Laure ! J’apprécie toujours tes commentaires car ils apportent souvent un contrepoids dans ma balance de la satisfaction, balance qui pourrait pencher trop d’un côté. 😉
    Tu as parfaitement raison, ils sont dociles, pas vraiment réels mais assez pour me faire rêver. 🙂

    @Julien Bienvenue et merci beaucoup. Nous sommes donc sur la même longueur d’onde. 😉

  24. Petite lecture plaisante, même si pour moi on ne doit pas avoir peur de faire des erreurs pour pousser les gens à agir et à sortir de sa zone de confort comme le dit Aurélien, et non pousser les gens à ne rien faire pour avoir une mauvaise note.

  25. Jean-Philippe says:

    Merci Alex ! C’est d’ailleurs souvent le problème des surdoués, qui enfants, à partir du jour où ils obtiennent leur première “mauvaise” note, refusent de prendre des risques et cela a un effet sur leur vie en général. Mais bon, nous, nous n’y sommes pas encore. 😉

  26. Je suis bien d’accord, j’ai vu quelques “têtes” à l’école se rétamer face à la réalité de la vie, et d’autres qui semblaient ne rien vouloir faire prendre un vrai plaisir à enfin trouver leur place et faire quelquechose de productif.

    A l’école on est trop en situation passive de recevoir un enseignement et une fois dans la vie pro on nous demande de fournir quelquechose. Et là ça coince.

  27. Jean-Philippe says:

    Exactement Alex ! C’est bien pour ça que j’ai écrit Le lycée c’est la prison. 😉

  28. Mama Zen says:

    Magnifique, magique, c’est vraiment excellent!!! La suite la suite, je suis curieuse de voir ce que ces élèves auront à dire après cette dernière scène 🙂 auront-ils réfléchi? Si oui lesquels? Dans quelle direction iront-ils? Quel beau sujet, franchement chapeau Jean-Philippe!

  29. Jean-Philippe says:

    Merci Mama Zen ! Tes compliments me touchent beaucoup. Nous n’avons plus qu’à attendre demain pour savoir comment Louis, Damien et Élodie vont évoluer. 😉

  30. Salut Jean-Philippe, je reviens hanter les couloirs de revoperso pour te proposer le lien suivant :

    http://a1000mains.hautetfort.com/

    Il s’agit d’ecrire une histoire a partir d’une photo. Je poste ca ici car je sais que tu aimes le genre et je me dis que tes lecteurs ainsi que les lecteurs du blog organisateur apprecieront ta plume.

    Perso je crois que je vais aussi me lancer dans l’aventure, le concept me plait bien 🙂

    Mohamed Semeunacte

  31. Jean-Philippe says:

    Chiche ? Et si c’était vrai ? 😉

  32. Yoann Romano says:

    En bonus, ce très bon discours la créativité et l’école à TED : http://www.youtube.com/watch?v=iG9CE55wbtY

  33. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Yoann ! Sir Ken Robinson y délivre une présentation qui reste une de mes favorites. Non seulement pour le contenu, mais aussi pour son humour dont je ne me lasse pas et qui me fait à chaque fois bien rire. 🙂

  34. Jean-Philippe says:

    Annonce : Une étrange école a un nouvel épisode intitulé Nouveau trimestre !

  35. Très original !!!!!! J’ai lu un peu la suite, puisque je découvre aujourd’hui cette histoire… j’adore ! Dis, tu vas le faire en livre ? 😉

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