La femme sans peur (18)

Par le 24 September 2012
dans Des histoires

 

 

Cet article est la suite de la saga de Trinity Silverman, commencée ici.

Sur le Strip, Trinity court de plus en plus vite.

Les larges trottoirs qui pendant la nuit débordent de monde, sont pratiquement vides, si ce n’est quelques autres joggeurs et quelques fêtards en état de perdition dans le petit matin encore frais.

Las Vegas se trouve en plein milieu du désert et les écarts de température y sont importants.

Mais Trinity s’en moque.

Elle court.

Elle court comme si elle voulait oublier les souvenirs dont elle vient de se rappeler. Elle a honte. Qu’est-ce que Gianmarco va penser d’elle ? Elle l’a humilié et maintenant il doit penser qu’elle est une espèce de lunatique, une joueuse ou même – et elle en tremble rien qu’en y pensant – une allumeuse.

Mais, ce qui l’étonne aussi c’est cette peur qui l’a saisie lorsqu’elle a vu le numéro de la chambre 886. Celle de Paul Davenport la nuit d’avant. La chambre aux souvenirs qu’elle avait enfoui au plus profond de sa mémoire pour bien les oublier.

Pourquoi a-t-elle eu peur ? Est-ce que l’effet de la pilule était terminé ? Il devait bien être 2h00 du matin…

La jeune femme poursuit son jogging. Elle profite d’un feu rouge pour traverser le Strip et revenir sur ses pas, vers l’hôtel.

Ce matin, il faut qu’elle téléphone à Gianmarco pour s’excuser… en disant quoi ? Elle ne va pas lui avouer la vérité.

Sa foulée s’allonge. Elle laisse sur sa droite le Bellagio, dont les ballets de jets d’eaux sophistiqués illuminent les nuits de Las Vegas, mais qui pour l’instant dort encore, la colossale masse blanche de l’hôtel se reflétant dans l’immense bassin d’eau qui le borde.

Non, elle ne va rien lui dire. Elle ne va même pas lui parler, c’est mieux. Il va penser qu’elle est une garce et c’est peut-être mieux comme ça. Autant qu’il l’oublie. Gianmarco mérite mieux qu’elle.

Elle court maintenant a très vive allure. Les fenêtres des tours du casino NewYork NewYork sont pratiquement toutes éteintes. Normal à cette heure-ci.

Perdue dans ses pensées, Trinity ne s’arrête même pas aux feux et traverse les croisements à vive allure. De toute façon, il y a peu de circulation. Juste quelques taxis jaunes qui emmènent des touristes vidés de leurs dollars, à l’aéroport.

Oui, c’est ça, oublier au plus vite Gianmarco.

Cette pensée lui fait mal au cœur. Encore un échec. Avant même d’avoir commencé quoi que ce soit. Au moins, il n’y aura pas de rupture mélodramatique comme avec Tom, avant-hier.

Elle passe sans un regard pour l’Excalibur, dont elle a toujours trouvé l’architecture moche et puis, juste après, ses yeux accrochent la masse noire, compacte et lisse du Luxor. Tiens, c’est un peu elle, ces formes fuyantes, cette immense pyramide sombre.

Trinity se demande quand est-ce qu’elle arrivera à avoir une vie normale. Quand arrivera-t-elle à avoir un compagnon stable et une vie de famille ? Les années passent. Sa carrière avance mais pour aller où ? Souvent, elle se dit qu’elle voudrait tout lâcher. N’est-elle pas en train de gâcher ses plus belles années ? Celles où elle pourrait tout faire ?…

Elle aperçoit maintenant les bâtiments dorés et élancés du Mandala Bay et juste derrière, pointe son hôtel, le Four Seasons.

Déjà ? pense-t-elle.

Elle n’a pas envie de rentrer tout de suite et continue sa route en direction de l’hôtel de police.

Courir lui fait du bien. Elle se sent mieux. Peut-être aussi que la pilule commence à faire son effet. Elle a moins peur. Son visage se détend et elle se concentre sur sa course.

Ses pieds, littéralement gantés avec ses Komodosports, effleurent à peine le pavé. Sa foulée devient encore plus souple. Trinity tire un peu plus sur ses bras et apprécie la flexibilité de son corps qui la propulse plus vite en avant.

Pendant quelques secondes, son esprit se vide. Il n’y a plus que le bruit léger de la pointe de ses pieds qui caressent le sol en rythme avec son souffle posé, régulier.

Un taxi la passe. Puis un autre.

On est tout près de l’aéroport, se rappelle-t-elle. Elle aperçoit de l’autre côté du Strip, quelques queues de fuselages.

Une idée lui vient.

Elle sait jusqu’où elle va courir. Elle sait où sera sa ligne d’arrivée ce matin. Elle accélère encore, pratiquement à fond maintenant. Elle jette un coup d’œil par dessus son épaule et traverse la chaussée en diagonale pour atteindre l’allée centrale qui divise le Strip en deux à cet endroit.

Elle sprinte.

Il y a un grand panneau là-bas. L’un des panneaux les plus connus et les plus célèbres du monde. Le panneau devant lequel tous les touristes qui viennent à Las Vegas voudraient se faire photographier mais qui ne savent pas souvent où le trouver dans la ville.

Et il est là, solitaire, encadré par quelques palmiers dans le matin frais et tranquille de Sin city, comme on surnomme Las Vegas.

La ville du péché.

Trinity malgré l’effort, sourit. Oui, et bien ce n’est pas à elle que ça va arriver !

Mais l’autre grand dicton de la ville est, What happens in Vegas, stays in Vegas. Ce qui se passe à Las Vegas, reste à Las Vegas… et ça oui, Trinity sait déjà qu’elle respectera cette promesse. Peut-être que dans une autre ville, dans les mêmes circonstances, elles n’aurait jamais osé faire ce qu’elle a fait pour obtenir les pilules.

Mais ici… C’est comme si le monde avait passé un accord tacite.

On peut tout faire à Vegas, personne n’en saura rien.

Trinity lance un bras en avant et touche victorieusement l’un des deux poteaux bleu ciel du grand panneau avant de ralentir et de stopper un peu plus loin dans le gazon vert et humide.

Elle respire fort, tout  en marchant, mains sur les hanches, récupérant lentement son souffle.

Finalement elle revient vers le panneau et le regarde de face. Elle ne l’a jamais vu d’aussi près. Dans un grand losange blanc surmonté par une étoile rouge est inscrit : “Welcome to Fabulous Las Vegas” et dessous, en plus petit, “Nevada”.

Inspirant lentement, elle sourit.

Trinity est américaine. Dans ses veines coule le sang de ces pionniers qui ont traversé les États-Unis d’est en ouest – se débarrassant au passage des tribus indiennes gênantes – pour se créer une vie meilleure, un avenir pour eux et leurs familles. Mais aucun évidemment ne s’est installé ici, en plein désert.

S’il n’y avait pas eu la mafia new yorkaise – sous couvert de banquiers mormons – pour créer pratiquement de toutes pièces Sin city, il n’y aurait rien eu de fabuleux ici. Et rien d’encore plus fabuleux que la nuit “vegasienne”, avec ses lumières et ses néons.

En plein milieu du désert.

Ou alors, vu sous un autre angle, le plus grand gaspillage d’électricité au monde.

Trinity chasse ces idées sombres.

Elle a assez de gaspillages à gérer dans sa vie personnelle.

(A suivre)

(Photo : ehpien)

Commentaires

10 commentaires pour “La femme sans peur (18)”
  1. Nadia says:

    J’ai couru avec Trinity, j’ai passé un bon moment avec elle, et avec toi JP
    La SUITTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTTE!

  2. Jean-Pierre says:

    gâcher ces plus belles années
    ^^^^^^^^ (ses)

    le suspens continue sur sa lancée… bon, nous serons patients.

  3. EstherColmeZem says:

    Sacré trinity ! Elle doit oublier gianmarco, et pourtant son coeur semble lui susurer le contraire…Qu’elle profites de la vie magique de Las Végas ! Qu’elle laisse de côté paul Davenport, la chambre 886 et Gianmarco. Si giancmarco éprouve quelque chose pour elle, il la retrouvera. c’est bien de résister, d’être fiere. c’est sa force à trinity.

    • Merci beaucoup Esther pour tes mots de soutien ! Je pense que Trinity les apprécierait beaucoup. D’ailleurs toutes les Trinity du monde les apprécieront vraiment. 😉

  4. les noires son toujour les meme

  5. EstherColmeZem says:

    Là, il n’est pas question de “Noires” antufata bourhane. Entre autres, c’est pas gentil pour la pauvre Christina qui est latina et de San salvadore.

Commentez ce billet