La route du bonheur

Elle est pas belle, la route, de nuit ?

[La suite du récit Les 9 étoiles du désert arrive ce samedi !]

Cet article constitue ma participation à cette rencontre amicale, “À la croisée des blogs” qui est un évènement inter-blog dédié au développement personnel. Il est publié mensuellement et chaque nouvelle édition traite d’un thème original. Ce mois-ci, c’est Joanna, du blog Moodstep, qui en est l’organisateur et qui nous a proposé de plancher sur “Qu’est-ce que le bonheur ?“.

Tout le monde vous parle du bonheur. Tout le monde veut atteindre cet état qui vous glisse entre les doigts, ce nirvana furtif, cette ataraxie temporaire – comme disaient les anciens Grecs – . Et puis, au final, qui l’atteint vraiment. Vous ? Moi ? Les autres ?

Oui ça c’est vrai ! Les autres l’atteignent. Il me semble toujours que tout le monde autour de moi est heureux. Un sourire par-ci, un éclat de rire par-là, un regard qui en dit long, tout nous pousse à nous faire croire que les autres sont plus heureux que nous.

Le livre des visages

Et bien sûr, l’endroit où les gens sont le plus heureux en ce début de XXIe siècle, c’est sur Facebook. Il faut les chercher sur ce réseau social, ceux pour qui quelque chose ne va pas. On trouve certes quelques cas isolés mais, dans l’ensemble, c’est plutôt le grand bonheur qui glisse sur la timeline.

J’avoue que je suis complice.

Ma photo est souriante. En la regardant, on voit que je respire le bonheur. Enfin, je crois. Mes mises à jour sont plutôt pour annoncer de bonnes choses. Ma vie parait jalonnée de succès. Un nouvel ebook par-ci, un nouveau challenge réussi par-là. “Mais comment fait-il ?”, doivent se demander les autres.

Et bien justement, je fais comme les autres. Je ne parle pas de mes malheurs, de mes soucis, de mes doutes. Je les balaie et les glisse prestement sous le grand tapis bleu du bonheur facebookien, qui n’aime pas les briseurs de bonheur.

Et puis, il y a ceux qui exagèrent. Ceux pour qui le mot bonheur ne se conjugue pas au singulier, ni au pluriel mais à toutes les personnes et à tous les temps, en même temps. Évidemment, sans Facebook ce ne serait pas possible. Le bonheur multi temps, c’est une invention récente. C’est comme au cinéma, c’est le bonheur en 3D.

Alors, peut-être que comme moi, à un moment, vous finissez par être fatigué. C’est éreintant le bonheur, à tous les temps et en 3D. Ça épuise. On a l’impression de porter 24 heures sur 24 une veste à paillettes qui finit par vous aveugler, tellement elle brille. On ne voit plus rien. On ne sent plus la différence. On a mal aux joues à force sourire mécaniquement. On a envie de faire une pause.

Une pause bonheur.

La mauvaise heure

Notre société nous met sous pression. Une pression “bonheuresque” gigantesque. Les média sont souriants. Les présentateurs de journaux sont souriants. Les stars sont souriantes. Les pubs sont souriantes. Tout se doit de suinter le bonheur, sinon… sinon, il y a un problème. Il y a danger. Il y a risque de contamination. Il faut isoler. Mettre un cordon de sécurité. Évacuer. C’est pire que le virus H1N1 ou la grippe aviaire.

Ce virus, c’est le malheur.

Non, je corrige, c’est le… malheur. Voilà, écrit plus petit, ça fait moins peur, non ?

De nos jours, on cache, on efface tout ce qui ressemble au malheur de près ou de loin. Et pourtant, dans cette situation, comment voulez-vous reconnaître le bonheur ? Comment voulez-vous évaluer ce qu’est ce sacré bonheur, s’il n’y a pas de contrepoids dans la balance ?

Tout dans la nature semble aller par deux. Le jour et la nuit. Le soleil et la pluie. La marée haute et la marée basse. Le chaud et le froid. Le yin et le yang. Le gagnant et le perdant. L’éveil et le sommeil. La vie et la mort. Tout nous permet d’avoir une base de jugement. Un point de repère.

Mais si on efface complètement le malheur, si on fait semblant de ne pas le voir, comment comprendre, sentir ce qu’est le bonheur ? Je ne dis pas qu’il faut rechercher à tout prix les mauvaises nouvelles, se complaire dans le désespoir mais, en prenant les choses telles qu’elles sont réellement, nous pouvons arriver à mesurer et repérer le bonheur, à le ressentir… pour de vrai ! Pas en cliquant sur le bouton “J’aime” de Facebook. (Si vous aimez ce que je viens de dire, ne cliquez pas sur le bouton “I like” en bas de l’article ! ou alors faites-le sans être dupe. 😉 )

La bonne heure

Cet équilibre réel entre les deux, change tout.

On se rend compte qu’on est entouré de bonheur. De petits bonheurs. De bonheurs tous simples qui nous font apprécier les choses vraies de l’existence. Plus besoin d’aller au bout du monde pour se jeter d’un pont en saut à l’élastique. Plus besoin d’aller dans un ashram secret au plus profond de l’Inde pour questionner un gourou. Plus besoin de passer une semaine à méditer dans un temple zen, ici, au Japon.

Non, la notion de bonheur elle est extrêmement simple. Elle commence dans un mot, un geste, un instant, une couleur, une odeur, une saveur, un souvenir furtif.

Mais pour les voir et surtout les ressentir, il faut pouvoir se poser. Il faut arrêter les multiples sollicitations dont nous faisons constamment l’objet. Ce “bruit” médiatique nous fait perdre nos sens, brouille nos antennes capteuses de pépites de bonheur. Ces distractions nous font oublier nos racines, qui nous sommes vraiment, ce que nous voulons faire de notre vie. Allez, trouver le bonheur dans votre profession avec cette cacophonie !

Alors comment faire ?

Non, je n’ai pas de barbe blanche, ni le visage ridé par la sagesse millénaire. Je n’ai pas de solution en 3 points à vous proposer qui va vous dire, faites-ci, puis ça, et bingo. Non. Je suis comme vous. Je me bats. J’essaie de comprendre, de me comprendre.

Par exemple, quand je ressens du bonheur, c’est parfois juste en buvant un verre d’eau. Oui, je sais, c’est bête mais c’est comme ça. Ou alors en dérobant un regard complice à ma compagne. En saisissant un lever de soleil surprenant – comme ce matin sur Tokyo avec un croissant de lune brillant sur fond d’aurore rougeoyante – . En regardant un simple morceau de fromage sur une tranche de pain fraiche qui n’attend que ma main. En roulant tranquillement sur la route silencieuse, la nuit.

Et vous ?

Pour moi, une chose est certaine : le bonheur ce n’est pas après. Ce n’est pas demain. Ce n’est pas quand j’aurai beaucoup d’argent. Ce n’est pas quand j’aurai une maison. Ce n’est pas quand je serai à la retraite. C’est maintenant.

Mais pas tout le temps. Arrêtons avec les rêves facebookiens.

Le bonheur, ça monte et ça descend.

Déception et satisfaction. Doute et conviction. Morosité et gaité. Tristesse et allégresse. Dépression et vitalité. Adrénaline et endorphines.

N’en déplaise à tous les Merlins enchanteurs du numérique, nous ne sommes pas des machines à bonheur. Ou alors oui, mais avec un mécanisme tellement subtil, qu’on ne peut pas le cadrer, l’analyser, le régler, le planifier.

Le bonheur ne se calcule pas, il se prend. 🙂

(Photo : Digit_AL)

Commentaires

18 commentaires pour “La route du bonheur”
  1. Joanna says:

    C’est pour ça que je trouve cette question si intéressante. On y répond souvent avec l’a priori que le bonheur veut dire la même chose pour chacun. A chaque fois j’ai la même impression que le mot ne revêt pas le même sens pour chacun et que pourtant l’essence est la même.
    Nous vivons dans un monde binaire et si la pub, les séries télé, facebook balancent du “et ils vécurent heureux” à tout bout de champs c’est surement pour contrebalancé le pessimisme ambiant. Aucun ne semble chercher l’équilibre. Trouver le bonheur authentique est un chemin personnel qui doit s’affranchir de ces influences extérieures à mon sens. Le bonheur n’est pas la béatitude ou le plaisir. Etre heureux ne rend pas la vie lisse et sans épreuves! Les émotions négatives comme positives sont des guides nécessaires et les épreuves nous permettent de définir toujours un peu plus qui nous sommes. Merci pour ta contribution :)))

  2. Jean-Philippe says:

    Joanna je n’aurai qu’un mot : on voit que tu maitrises bien ton sujet de prédilection ! Si le gouvernement nommait un ministre du Bonheur, le portefeuille te reviendrait de facto. 😉

    (Après tout pourquoi pas ? Il y a bien eu des ministères de la Guerre.)

  3. Joel says:

    “Le but de la vie est de se découvrir un but[…] Le bonheur est de tout faire pour atteindre son but” Robin Sharma

    “Le bonheur ne se calcule pas, il se prend.”, je ne peux qu’être d’accord, c’est à l’instant présent qu’on peut se faire une idée du bonheur. On ne peut pas décider d’être heureux dans 15 jours. Le bonheur, c’est un état d’esprit, la manière dont on voit la bouteille à moitié pleine et tout ce qu’on peut encore partager pendant qu’un autre se dit que s’il partage, il n’en restera plus beaucoup pour lui vu que la bouteille est déjà à moitié vide… D’ailleurs, qui est le ****** qui a déjà vidé la moitié, faudra que je pense à ne pas partager avec lui.

    Est-ce que le bonheur est l’absence de malheur ou est-ce que le malheur est l’absence de bonheur? Le bonheur s’arrêt lorsque le malheur commence où le malheur s’arrête où le bonheur commence?

    Note pour plus tard: inventer un bonheur-omètre (ou un malheur-omètre)… ou aller se promener par ce magnifique temps ensoleillé avec ses enfants. Ouai, je vais faire ça.

  4. Jean-Philippe says:

    J’en connais deux qui ont été bien contents de se promener avec leur papa ! Merci Joel pour ton commentaire qui, comme toujours, est bien plus que ça. Une petite fenêtre pour nous faire réfléchir un peu plus. 🙂

  5. Le bonheur dépend avant tout des personnes elles mêmes. Chaqu’un à sa perception du bonheur. La vie est également fait d’un équilibre Bonheur / Malheur.

    Il faut juste faire en sorte que la balance penche plus du bon côté 😉

  6. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Kris de partager ton point de vue avec nous. C’est une perspective intéressante que cet équilibre. Mais nous sommes d’accord sur notre propre influence sur cet équilibre. 😉

  7. Merci Jean Philippe pour cet article qui je trouve ouvre une perspective très intéressante. Est-ce que on refuse de voir notre malheur… est-ce que on se voile la face en croyant que le bonheur doit être tout rose ?

    Je fais partie moi-même des coupables qui ne partagent sur Facebook que les moments plutôt positifs de leur vie. D’ailleurs il y a quelques mois sur mon blog j’avais fait une petite vidéo pour parler de mon constat entre la différence de ton des statuts de mes amis Francophones par rapport a mes amis americains ( http://jarretederaler.com/2010/09/17/les-americains-les-francais-et-facebook/).
    D’un autre cote, je remarque que je préfère contaminer les autres de mon bonheur que de mes malheurs.
    Et je remarque aussi que bien souvent je suis tout simplement réellement heureuse tous les jours.
    Pourquoi? parce que pour moi le bonheur c’est un peu comme un radar que j’allume dans ma vie. Un radar qui détecte toutes les sources de bonheur dans ma vie et les met en lumière. Quand mon radar Bonheur est allume, les choses belles de ma vie prennent plus de place et cela me booste pour prendre en main les choses plus épineuses et difficile.
    Je n’ignore pas mes malheurs mais je choisis de leur donner une place qui me rend heureuse ! ( suis-je claire).

    Voila, “my 2 cents” !
    En tout cas, je suis vraiment ravie d’avoir fait ta connaissance ” Virtuelle” Jean Philippe et je ne suis pas du tout étonnée de voir que Joanna (future ministre du Bonheur) soit parmi tes amis. Je me réjouis de la rencontrer en face a face le 30 Avril a Paris.

  8. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup de partager ton point de vue Christine ! Continue de nous contaminer avec ton radar à bonheur, comme tu vas le faire bientôt avec la sortie de ton livre en avril prochain. Et quand tu rencontreras la ministre du Bonheur, fais-lui une bise de ma part. Je sais, je ne respecte pas l’étiquette ministérielle mais, que veux-tu, le bonheur, c’est tout de suite. 😉

  9. Nathalie says:

    Donner plus d’importance au bonheur qu’au malheur… juste un petit exemple :
    j’étais en train d’admirer ce magnifique lever de soleil, les rayons de soleil à travers les arbres, les oiseaux en train de chanter. J’ouvre un peu la baie vitrée, je respire une bonne odeur, celle du commencement du printemps…un vrai bohneur!! et du coup ! malheur ! je me dis que je n’avais pas encore terminé de bien nettoyer la baie vitrée, qu’il y avait encore pleins de reste de plâtre et autres traces de travaux… A ce moment là, j’ai éjecté cette pensée et j’ai continué à apprécier ce bon moment. Je me suis dit que même si un malheur était devant un bohneur, j’essaierais toujours de faire en sorte que ce dernier prenne plus d’importance 🙂
    Tu me diras peut-être “quel étrange exemple ! ” 😉 mais je me sentais de l’écrire 🙂 et en même temps je ne sais pas trop si tu as réussi à me comprendre 😉

  10. Jean-Philippe says:

    Ton exemple n’est pas étrange Nathalie ! Chacun voit le malheur à sa façon, selon son vécu. Ce qui est superbe dans ton histoire, c’est que tu as “éjecté” ces pensées sombres. Et ça, c’est une belle victoire. 😉

  11. Nathalie says:

    J’avoue qu’il est parfois très difficile de les chasser ces pensées sombres. Est-ce qu’il existe une méthode pour réussir à les “éjecter” ? Et là je ne pense pas à mes carreaux 😉 mais à des choses bien plus moches.

  12. Florence says:

    C’est aussi parce que le malheur existe que nous sommes capable de reconnaître le bonheur et de l’apprécier à sa juste valeur. Ma mère est morte le mois dernier (je l’avais d’ailleurs “partagé” sur Facebook ; je ne dois pas être tout à fait “normale” ;-))… Je n’ai jamais autant savouré les câlins de ma fille ado que depuis cette disparition !

  13. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Florence pour ton témoignage très personnel. J’admire également la façon dont tu rebondis après le décès de ta mère. Franchement, je ne sais pas comment je réagirai lorsque la mienne disparaitra…

    Si je peux te poser cette question très personnelle : qu’est-ce qui t’a poussée à en parler sur facebook ? Était-ce une démarche spontanée ou mûrement réfléchie ? Je te demande ça parce que justement dans mon article, je parlais de ceux et celles qui ne publiaient que des événements heureux. Merci d’avance. 🙂

  14. Florence says:

    Je n’ai pas réfléchi avant d’évoquer le décès de ma mère sur Facebook. Je me trouvais à ce moment-là chez l’un de mes frères, il pleuvait, nous étions dans cet entre-deux interminable (en tout cas, c’est comme ça que je l’ai vécu) qui sépare la mort de l’enterrement, je me sentais très mal et j’avais juste envie de l’exprimer. Sans trop m’y attarder non plus, parce que ce n’est pas mon style et que je ne suis, de toute façon, pas une grosse utilisatrice de Facebook. Mais à ce moment-là, ma vie entière tournait autour de cet événement. Je ne pouvais parler de rien d’autre.
    Le billet sur mon blog, lui, a été mûrement réfléchi. Je l’ai d’ailleurs mis en ligne dix jours plus tard. J’ai hésité à évoquer quelque chose d’aussi personnel, mais j’avais besoin d’en parler. Les mots ont toujours été un excellent outil thérapeutique pour moi. Mais je ne suis pas encore au bout du chemin, loin de là !

  15. Jean-Philippe says:

    Merci encore beaucoup Florence pour ton témoignage. En partageant ainsi ton expérience, je suis certain que tu vas inspirer beaucoup de personnes – dont moi – dans notre façon de gérer les évènements difficiles de la vie. La mort d’un être cher est une épreuve par laquelle nous devons tous passer et pourtant on en parle peu dans le développement personnel. Comme je le disais dans l’article, ces passages par des hauts et des bas font pourtant toute notre humanité.

    Une humanité dont tu es une belle représentante de part ton travail d’écrivain public. 🙂

    (Le hasard a voulu que je parle de toi dans ma dernière newsletter, sans savoir ce que tu vivais au même moment…)

  16. En fait ce que j’ai remarque c’est que parfois je partage des choses pas super positives sur Facebook, mais c’est mon attitude qui est positive.
    Par example hier j’ai eu un accident de voiture. Je l’ai mis sur Facebook mais je n’ai pas râlé.

  17. Jean-Philippe says:

    Merci Christine pour ton commentaire ! Oui, on peut considérer ces petits évènements comme insignifiants à l’échelle d’une vie. 😉

  18. Anaïs says:

    J’aime bien ton idée de : pression “bonheuresque”

    Je trouve aussi que nous vivons aujourd’hui dans une société ou tout doit être sous controle, y compris les sentiments négatifs.

    “Vous venez de divorcer et vous pleurez tous les jours?”
    “Ca veut dire que vous êtes dépressive, faut aller chez le psy, sortir, voyager, vous changer les idées…”
    Et si être trsite, c’était normal, et si vous aviez besoin de broyer du noir pendant quelques mois pour pouvoir faire votre deuil…?

    Moi je crois que les périodes malheureuses font partie de la vie et sont un mal nécessaire pour apprécier les bon moments.

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