Justice expéditive

Par le 29 November 2010
dans Des histoires

Notre vie est aussi large que notre champ de vision

Cet article constitue ma participation à cette rencontre amicale, “À la croisée des blogs” qui est un évènement inter-blog dédié au développement personnel. Il est publié mensuellement et chaque nouvelle édition traite d’un thème original. Ce mois-ci, c’est Fabrice, du blog ProLire, qui en est l’organisateur et qui nous a proposé de plancher sur “Sortir de sa zone de confort“.

Les gardes me tiennent fermement.

Je ne me débats plus.

Je suis résigné. J’ai perdu la bataille.

Ils sont de toute façon trop forts pour moi.

Je suis donc condamné à la peine suprême.

Ma vie heureuse et que je chérissais tant va ainsi se terminer.

Elle va s’éteindre comme la flammèche d’une vulgaire bougie que l’on souffle d’un coup, comme ça, en passant, sans y prêter attention.

Elle était bien ma vie.

Tout y était parfaitement organisé. J’avais ma petite routine. Je savais exactement ce que je faisais, où j’allais, quelles seraient les prochaines étapes de mon avenir. Mes futures promotions.

La parfaite maitrise que j’avais de mon sujet n’a pas suffi. Le juge n’a pas été ému par mes compétences, mes multiples diplômes, l’avis unanime de mes collègues et mes patrons qui ont tenté de peser en ma faveur.

Dans quelle société vivons-nous ?

Si quelqu’un qui réussit pleinement, en suivant au millimètre les règles, est maintenant condamné à la peine suprême, je ne donne pas cher de notre futur.

A la fin, mes larmoiements, mes jérémiades, mes gémissements ont carrément exaspéré le magistrat. D’un grand coup de marteau, il a lancé son verdict sans appel et m’a condamné en me disant qu’il le faisait pour mon bien et celui de la société. Il a ajouté que la peine devait être appliquée immédiatement.

J’ai eu des vertiges.

Les gardes qui m’ont rattrapé avant que je ne m’effondre, me poussent maintenant en avant.

L’heure est arrivée.

Adieu monde familier, monde que je connaissais bien, monde que je regrette déjà.

Nous arrivons à l’entrée d’un sas.

Ils me poussent sans ménagement dedans et referment la porte étanche derrière moi. Je sais que dans quelques secondes, de l’autre côté, une autre porte va s’ouvrir brusquement et que ce sera le début de la fin, horrible.

Je suis pris de tremblements incontrôlables.

Je repense à ma famille et leur image me soutient un peu au moment où un déclic se fait entendre et la porte s’ouvre, sans bruit, aspirant l’air et m’entrainant en avant, malgré moi dans un effet de succion.

Une voix dans un haut-parleur résonne, lugubre.

“Vous quittez maintenant la zone de Confort. Bienvenue dans la zone d’Inconfort.”

Soudain d’autres gardes s’engouffrent par cette deuxième porte et m’empoignent sans ménagement. Je veux résister. Ils ont du mal. Je sens ma force décupler.

Je ne veux pas changer.

Ils appellent des renforts.

Ils ne parlent pas ma langue. Je ne les comprends pas. Je panique encore plus. Je suis terrifié.

Ils me poussent dans une grande salle et me forcent à m’asseoir.

Très vite, on me donne de nouveau papiers, une nouvelle identité, un nouveau nom. Mais moi, tout ce que je veux c’est retrouver mon vrai nom, mon chez-moi, ma vie normale.

On me conduit alors sans ménagement vers une nouvelle porte et brusquement, on me jette dehors.

Je panique à nouveau ! Je ne vois plus rien ! La clarté est tellement forte qu’elle me brûle presque les yeux. Ce n’est pas possible ! Je suis comme un aveugle. J’avance les bras en avant.

Je sens des choses qui me frôlent.

Je suis rempli de terreur.

Je veux retourner chez moi. Je veux mon monde à moi.

Je suis perdu.

Je heurte quelque chose. Avec mes mains, je touche et je comprends que c’est un mur. Il parait très haut. Je n’arrive pas à en atteindre le sommet. Je marche un peu vers la gauche, mais non, le mur continue. Un peu vers la droite, pareil, le mur ne s’interrompt pas.

Je reviens au milieu du mur.

Ne plus bouger.

Mon front contre la pierre, je commence à pleurer.

Je n’ai plus de solutions.

J’ai perdu mon identité.

Je ne comprends personne.

Je suis bloqué face à ce mur.

Je vais mourir.

C’est la fin.

Ma fin.

…alors ?

Je suis encore là ?… Collé au mur ?

Oui, je le sens, contre mon front, contre mes joues humides, contre mon torse, contre mon corps.

J’ai encore des sensations ?

Je sens les choses. Je pense les choses.

Le mur est froid. Le mur est dur.

Et si je le pensais différemment ?

Le mur est fort.

Protecteur.

Je peux m’appuyer dessus.

Je pense les choses.

Je peux écarter les bras. Je peux bouger les jambes. Je peux faire des pas à gauche ou  droite. Je peux même me retourner et m’appuyer sur ce mur solide comme le roc.

Je peux écouter.

J’entends du vent. Des murmures. Des bruits de pas. Des bruits de vie.

J’entends même un rire !

Oui, cette langue là, je peux la comprendre, la langue du rire.

Et si j’ouvrais les yeux ?

C’est risqué.

Je ne vais peut-être pas aimer ce que je vais voir.

Pense différemment !

Je vais probablement être surpris parce que je vais découvrir.

C’est normal. Si ce n’est pas familier, si c’est nouveau, je vais être… inconfortable. Ce n’est pas ma zone. Moi je suis un citoyen de la zone de Confort, de la zone de paix, là où l’on vit sans histoires.

Ici, c’est l’étranger…

Pense encore !

Ça ne veut pas dire que je ne vais pas aimer, que c’est dangereux et que je vais mourir. Après tout, je vis encore, maintenant. Je respire. Je pense. Alors, à quoi ça me servirait si je ne bougeais pas, si je restais collé à ce mur pour le reste de ma vie ?

J’aurais juste de l’angoisse en plus.

Si j’ouvre un peu les yeux, au moins j’ai une chance de pouvoir comprendre les choses et peut-être de les apprécier ou de les changer.

Allez, à trois, j’entrouvre une paupière.

Un…

Deux…

Deux…

C’est dur.

Moi, je ne demandais rien à personne. J’étais tranquille dans mon coin. Pourquoi c’est tombé sur moi ? Ça tombe toujours sur moi.

Je suis encore en train de me laisser aller.

Revenir aux choses importantes.

Je respire. Je pense. Je choisis.

Donc je choisis le mur protecteur. Je choisis sa force. Je choisis le vent qui souffle dans mes cheveux. Je choisis les bruits de pas, les voix, les rires.

Je choisis la vie.

Allez je recommence, A trois, j’ouvre les yeux…

Undeutrois !

L’éclat est tellement intense qu’il m’aveugle, me brûle, me… me… me dévore les yeux !…

Me dévore les yeux ?

Si j’arrêtais un peu d’exagérer ? Si j’arrêtais de voir ma vie comme un drame aussi creux qu’un soap-opera ?

C’est juste l’éclat du soleil. Une nouvelle flamme.

C’est même un magnifique soleil et la promesse d’une très belle journée à explorer.

Et je vais l’apprécier.

(Photo : linh.ngân)

Commentaires

16 commentaires pour “Justice expéditive”
  1. David says:

    J’aime 🙂 C’est encore une belle image pour nous encourager à bousculer notre quotidien. Le plus difficile reste l’exercice “d’auto-jugement” nécessaire pour nous auto-condamner à révolutionner notre existence. Pour les plus ancrés dans leurs habitudes, le juge, c’est peut-être cette communauté à part qui nous aide chaque jour à grandir, ou encore Jean-Philippe, dont chaque article résonne dans nos esprits comme un coup de marteau dans un tribunal !
    Vous êtes au bon endroit alors ne résistez pas à l’appel de la zone d’inconfort !

  2. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup David ! Bien vu les images. 😀

    Et tu as raison de mettre un lien vers la communauté du développement personnel qui est très utile et dont je ne parle pas assez. Je vais rectifier ça dans ma prochaine newsletter.

    Au fait, tu es acquitté. Heureux ou pas ? 😉

  3. Nathalie says:

    Subir ou affronter ou renégocier ses journées… ça recommence tout le temps!

  4. AMie says:

    Est-ce qu’on peut dénoncer des collègues ? 😉

  5. Jean-Philippe says:

    @Nathalie Merci pour ton commentaire mais je n’ai pas pas compris ce que tu veux dire… 🙂

    @AMie Tu m’as bien fait rire, là ! Si seulement c’était possible, notre planète serait bien plus agréable à vivre. 😉

  6. Jean-Pierre says:

    très bon billet, dans un style narratif qui change un peu… pour notre inconfort !

  7. fabrice says:

    Un beau texte, j’aime bien le style très aéré et simple!;

  8. Jean-Philippe says:

    @Jean-Pierre Merci pour le compliment ! Oui, c’est effectivement aussi l’effet recherché mais j’aime bien ce style. 🙂

    @fabrice Merci beaucoup ! Comme je le dis juste au-dessus, là on est d’accord, c’est un style que j’aime beaucoup… un style minimaliste ? 😉

  9. fabrice says:

    Oui on peut dire ca!:-)
    En même temps, c’est plus adapté à la lecture sur un écran.

  10. Jean-Philippe says:

    C’est vrai Fabrice! C’est comme si les blogs créent de nouveaux styles d’écritures. Passionnant ! 😉

  11. ProLire says:

    Merci pour ta contribution.
    C’est un beau récit, d’un condamné à être expulsé de son pays natal. C’est vrai que c’est angoissant. Dans ce cas, la situation finale peut réserver de bonnes surprises.
    Allons-y pour ouvrir les yeux.

  12. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Fabrice ! et merci à toi pour l’organisation de cette Croisée au thème qui m’a donné l’envie d’explorer certaines de mes frontières. 😉

  13. Grégory says:

    Très belle évocation de la zone d’inconfort, de la nécessité d’y aller et que, finalement, ça n’est pas si terrible …

    Et il y a du suspense … Jusqu’au bout, je me suis demandé où tu voulais nous emmener. Tu sais quoi ? je t’ai suivi !

  14. Jean-Philippe says:

    Merci bien Grégory ! Je suis bien content de pouvoir avoir pu t’emmener avec moi. 😉

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