Les génies que nous sommes (6)

Pourriez-vous apprendre à jouer du violon ?... Maintenant ?

Cet article est le sixième d’une série qui a commencé ici.

C’est un jour comme un autre dans une école de musique.

Le professeur de violon guide ses élèves pendant la leçon. Elle leur fait de petites remarques, fait rejouer certains passages ou les félicite pour un groupe de notes bien enchainées.

L’ambiance, studieuse, est un peu comme dans toutes les écoles de musiques de monde.

Ou presque.

Ces violonistes en herbe habitent à East Harlem, connu comme l’un des quartiers les plus défavorisés de New York, et leurs parents, issus de familles multi-ethniques, n’ont pas les moyens de leur offrir des cours de violon et possèdent encore moins d’argent pour leur acheter un instrument.

Comment sont-ils arrivés là ?

La musique et le bonheur

Leur professeur, Roberta Guaspari, a toujours pensé que la musique devait être ouverte à tous et à toutes. Elle a aussi toujours été persuadé du rôle social et valorisant que la pratique d’un instrument apporte. Aux débuts des années 80, elle obtint un poste d’assistant professeur de musique dans une école d’East Harlem et se mit donc en tête de convaincre tout le monde du bien-fondé de ses idées.

Son atout secret ?

Elle possédait une cinquantaine de petits violons adaptés à la morphologie des enfants. Cet obstacle financier à l’apprentissage écarté, elle put ainsi développer un programme musical extrêmement populaire qui se répandit plus tard dans d’autres quartiers de New York.

Ses classes finirent même par jouer avec de grands musiciens comme Itzhak Perlman, Isaac Stern ou Yo-Yo Ma et se produisirent à Carnegie Hall, la Mecque de la musique classique en Amérique.

Si vous vous voulez en savoir plus sur le parcours de Roberta Guaspari, que j’ai ici beaucoup simplifié, il existe un film, La musique de mon cœur, avec Meryl Streep dans le rôle principal, qui reprend de façon à peine romancée son histoire.

Mais en fait, Roberta Guaspari possédait – et possède toujours, puisqu’elle est continue à enseigner – un autre atout secret.

Selon elle, tout enfant pouvait apprendre à jouer du violon.

On a vu auparavant, que la seule différence qui existait entre les très grands violonistes et ceux qui deviennent professeur de musique était basée sur la pratique délibérée. Mais dans le cadre des classes de Roberta Guaspari, il était juste question de montrer que tout enfant pouvait décemment jouer du violon, pas de devenir un maestro.

Si par exemple, je vous demandais maintenant de dessiner un autoportrait au crayon à papier, quelle serait votre réaction ? Vous penseriez que vous ne savez pas dessiner, que c’est un talent naturel que vous ne possédez pas et puis, si je vous poussais un peu plus, vous finiriez par créer quelque chose qui ne ressemblerait guère mieux qu’à un gribouillis d’enfant.

C’est en grande majorité, la ferme opinion que nous avons du dessin.

Pourtant, Betty Edwards, un docteur en art, éducation et psychologie, a démontré qu’elle pouvait prendre un groupe d’adultes qui ne se pensaient pas doués du tout pour le dessin et, en quelques leçons, leur faire réaliser de petits chefs d’œuvres qu’ils se seraient crus incapable de créer avant.

Dont leur autoportrait.

Pour Roberta Guaspari c’est la même chose. Lorsqu’une année scolaire commence, elle sait que ses nouveaux élèves seront tous capables de jouer un mélodie après quelques semaines. Les enfants, à leur tour, deviennent confiants.

Mais alors, comment fait-elle pour leur inculquer cette confiance ?

L’effort et le bonheur

Carol Dweck, une psychologue de l’université de Stanford aux États-Unis, a procédé, sur plusieurs années, à des expériences remarquables avec des classes de pré-adolescents.

Dans un exemple devenu classique et que vous connaissez peut-être, elle leur donnait des exercices difficiles à faire avant de ramasser les copies. Après, la classe était divisée en 2 groupes. L’un étant félicité pour son intelligence dans la résolution des exercices et l’autre pour les efforts fournis.

Lorsque d’autres exercices encore plus difficiles leur étaient ensuite distribués, ceux qui avaient été complimentés pour leur intelligence voyaient leurs résultats se dégrader. Les élèves de l’autre groupe dont elle avait loué les efforts notaient une amélioration générale de leur performance.

Encore mieux, lorsque Carol Dweck leur demandait s’ils voulaient s’essayer à des exercices extrêmement difficiles, la majorité du premier groupe refusait, alors que dans le deuxième, on assistait à une réponse affirmative et enthousiaste.

Enfin, le plus incroyable, lorsqu’elle demandait à chaque élève d’écrire à des amis et de raconter leur expérience durant ces tests, 40% de ceux du premier groupe mentaient et se donnaient des notes supérieures à celles qu’ils avaient réellement obtenues.

Pourtant, ces jeunes n’étaient ni mal intentionnés ni moins intelligents que les autres.

Selon la psychologue de Stanford, tout se joue dans la façon dont ils voient les choses. Si on leur dit que l’intelligence est innée, on l’a ou l’on a pas, ceux ou celles qui auront été félicités pour cette intelligence n’auront qu’un but : conserver leurs lauriers, quitte à éviter des tâches difficiles qui mettraient leur statut en danger. Comme on l’a vu, cela va même jusqu’au mensonge !

Si au contraire, on leur explique que le cerveau est comme un muscle et que plus on travaille dessus, plus il se développe, ils deviendront plus ouverts à l’effort sachant que tout échec n’est que provisoire.

C’est ce que Roberta Guaspari inculque – à sa façon – dans ses classes. Si on fait des efforts, on progressera. Et chaque année le “miracle” se produit. Des dizaines d’enfants issus de milieux défavorisés prennent conscience de leur potentiel et deviennent de plus en plus sérieux dans l’apprentissage du violon.

Le javelot et le bonheur

Ainsi, le milieu dans lequel on grandit ou on vit n’a que peu d’influence sur ses potentialités futures. C’est évident qu’il vaut mieux se trouver dans un environnement stable mais ce n’est pas la garantie du succès.

Le plus important, c’est ce qui est dit.

Repensez à votre enfance et rappelez-vous les compliments que vous avez – ou pas – reçus. Étaient-ils liés à votre “intelligence” ? A votre capacité de travail ?

Comment vous-même félicitez-vous un enfant lorsqu’il vous montre un dessin ou une bonne note ?

Comment félicitez-vous un ami, une amie, votre compagne, un collaborateur ?

Et comment vous félicite-t-on, ces jours-ci ?

Toutes ces petites pièces forment un puzzle qui constitue ce que nous sommes maintenant. Mais ce puzzle, il n’est pas terminé. On peut en changer des parties. Carol Dweck a bien expliqué qu’à tout âge on peut se remettre en selle, se remettre en question.

Le tout, c’est de créer un environnement adéquat et bien sûr cela n’a donc rien à voir avec le lieu mais plus avec les personnes qui nous entourent.

Nous avons tous et toutes des exemples de personnes qui ont su nous soutenir, qui ont su avoir les mots justes, parfois même, sans le vouloir. 😉

En classe de 6ème, j’étais plutôt petit et maigre. Le jour où notre prof de sport nous annonça que nous allions apprendre à lancer le javelot, je me dis que j’allais encore m’ennuyer. A la télé, je pouvais voir ces grands gaillards qui poussaient des cris stridents en lançant leur engin à l’autre bout du stade.

Rien de bien passionnant pour moi.

Bien sûr, les plus forts se passionnèrent pour notre apprentissage, se demandant lequel d’entre eux serait le gagnant. Après avoir bien appris la technique du lancer avec notre professeur, vint le moment de vérité.

Bien sûr, les plus grands et musclés voyaient leur javelots partir à une grande distance, tandis que ceux du reste de la classe restaient loin derrière. Quand vint mon tour, je ne me fis aucune illusion mais, à ma grande surprise, mon javelot fit un magnifique arc de cercle dans le ciel azur et vint se planter devant tout le monde, environ 20 centimètres devant les plus “costauds”.

Le reste de la classe me regarda avec des yeux ronds.

Mon prof, lui aussi très surpris, me félicita pour mon travail de préparation, me montra en exemple à tous les autres en indiquant qu’il fallait bien écouter les instructions qu’il avait données pour un bon lancer et me donna quelques petits conseils sur ma course d’élan.

Lors de mon deuxième lancer, après que personne n’avait pu battre mon premier jet, j’améliorai, sous les regards médusés, mon record d’encore 20 centimètres. Mon prof, toujours surpris, me donna néanmoins encore quelques recommandations sur la position et le mouvement de mon poignet.

Alors qu’au troisième essai, tout le reste de la classe voyait ses performances diminuer à cause de la fatigue, j’améliorai encore mon record personnel d’environ 5 centimètres.

Dans les semaines qui suivirent, j’abandonnais complètement mon intérêt pour le foot afin de me consacrer exclusivement à ma nouvelle passion, le javelot. Mon prof m’enseigna d’autres finesses “javelistiques” que j’allais ensuite répéter avec ferveur.

Dans ma tête d’enfant, je me posais déjà des questions sur l’avenir. Est-ce qu’il allait falloir que je devienne gros et gras – c’était le standard à l’époque – pour continuer à être performant en grandissant ? Fallait-il que je développe ma musculature ? Vous imaginez également le regard de mes parents lorsque je leur annonçais ma passion pour le javelot. 🙂

Il n’existait pas de compétition pour ma catégorie d’âge dans la région où je vivais et je ne pus jamais me mesurer à d’autres. Ceci dit, je m’entrainais aussi avec les classes de 5ème – passion quand tu nous tiens ! – et je battais la plupart d’entre eux, ce qui me donnait encore plus confiance.

Finalement l’été et les grandes vacances arrivèrent, je ne pratiquais plus le javelot et, poussé par des âmes bien pensantes, je revenais à des choses plus alignées avec ce qu’on attendait de moi, à savoir le français, les maths et le foot.

La chance et le bonheur

De quoi dépend le succès ?

D’un prof bien intentionné ? D’un mentor avec de l’expérience ? D’une rencontre fortuite ?

Si le mari de Roberta Guaspari ne l’avait pas quittée brusquement, elle n’aurait pas eu à chercher un emploi pour élever ses deux enfants.

Sa seule expérience, c’était le violon.

Elle rêvait d’ailleurs d’ouvrir une école et avait acheté auparavant un paquet d’instruments afin de se lancer, dans un hypothétique futur. Mère divorcée, elle n’eut plus le choix et, en trouvant ce travail, fit ainsi découvrir la musique classique et la persévérance à de nombreux enfants du quartier d’East Harlem qui, sans elle, auraient eu une vision bien différente du monde. Certains d’entre eux sont d’ailleurs devenus eux-mêmes des musiciens professionnels.

De quoi dépend le succès ?

Imaginez qu’un groupe de jeunes soit initié au javelot. Imaginez que dans les javelots qu’on leur distribue, l’un des javelots soit plus léger que les autres. Imaginez que l’heureux possesseur de ce javelot devienne persuadé – en une après-midi – d’avoir du talent pour ce sport malgré sa maigre constitution physique. Imaginez qu’en rangeant les javelots, son prof se rende compte de l’erreur mais, décide de ne rien lui dire et de continuer à l’encourager par ses mots.

L’enfant continue alors à progresser, même si le javelot qu’il utilise maintenant a un poids normal.

Alors, tout est vraiment possible. 🙂

Le compliment qu’il faut.

Le coup de hasard.

L’étincelle qui déclenche une passion.

Tout cela ne tient qu’à un fil.

Mais ce fil, n’est pas réservé à l’enfance.

On peut le saisir, encore et encore, tout au long de notre vie.

(A suivre)

(Photo : Shermeee)

Commentaires

10 commentaires pour “Les génies que nous sommes (6)”
  1. ??? says:

    Merci pour vos encouragements ;).

  2. Jean-Philippe says:

    C’est tout mon plaisir ??? ! 😉

  3. Noé says:

    Ce sont vraiment d’excellents articles qui me motivent au quotidien dans mon apprentissage de la musique! Pourquoi ne pas faire de cette série d’articles, lorsqu’elle sera terminée, un e-book? Voire encore mieux, une “méthode” pour atteindre nos rêves, écrite un peu à la manière de zen to done.

  4. Jean-Philippe says:

    Merci Noé ! En fait, l’idée m’a déjà été soufflée dans un autre commentaire – que je ne retrouve plus – et depuis l’idée me trotte dans la tête. Vu qu’il y a encore plusieurs parties – dont celle sur les scanneurs – à publier, je pense de plus en plus que c’est une excellente façon de “maximiser” mon travail sur cette série.

    Merci à toi Noé de me l’avoir rappelé. 🙂

  5. Encore une fois un magnifique article avec des exemples inspirants pour illustrer le propos !
    Effectivement, un e-book serait une excellente façon de rassembler tout ton travail. Et même, pourquoi pas un livre papier ? Car même si j’aime beaucoup les e-books, je trouve que le livre papier a encore des beaux jours devant lui et convient bien à certaines choses. Par exemple, tes belles histoires, j’ai plus envie de les lire bien installée dans un fauteuil, voire dans mon lit, que devant mon ordi…

  6. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Sophie pour ton soutien très motivant ! Rien que pour ça, je devrais sortir une version papier… 😉

  7. J’adore toujours le style, le contenu … et LA question:
    “Repensez à votre enfance et rappelez-vous les compliments que vous avez – ou pas – reçus. Étaient-ils liés à votre “intelligence” ? A votre capacité de travail ?”

  8. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Fadhila ! Cette question importante ne doit, bien sûr, pas être prise comme un verdict final mais plus comme une expérience. Je pense que cela permet de mieux se comprendre et surtout de changer, pour justement devenir encore plus orienté vers le côté “efforts”. 😉

  9. Nathalie says:

    C’est très encourageant !

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