Noël au Japon

Par le 24 December 2021
dans Ma vie en sashimi

2021

Aujourd’hui, est une des rares journées où le petit Ninja n’aime pas trop le Japon.

On est le 24 décembre, il rentre de l’école et… rien. En effet, Noël n’existe pas au pays du soleil levant. La soirée sera normale et demain aura les couleurs d’un samedi comme les autres. Ici, nous ne sommes pas au cœur de la chrétienté, il n’y a aucune culture de la crèche et du sapin.

Pourtant, espérant capitaliser (le mot est juste) sur cette fête, nombreux sont les commerçants à avoir senti le filon et à jouer le jeu avec des décors et autres joyeusetés noëlesques. Mais non, on sent bien que le marketing est juste derrière et クリスマス (ce qui veut dire Christmas, les Nippons la jouant à l’anglaise) n’a pas l’attrait par exemple d’un Halloween qui lui, fait un carton. Par contre, les commerçants n’ont pas lâché le morceau et se sont rabattus sur les jeunes couples, amoureux et non mariés. Ainsi, au Japon, le réveillon de Noël, c’est un peu la Saint-Valentin avant l’heure pour les jeunes adultes, mais pour les plus petits, il n’y a rien. Noël n’est pas synonyme de joie et cadeaux.

Alors, à la maison, on a bien essayé de remédier à cette situation avec une déco plus vraie que nature, en vert et rouge, rappelant les réveillons familiaux que l’on a passés en France. Mais non, le cœur n’y était pas. Le feeling, l’esprit non plus. Tout autour, la vie déroule ses journées normales, alors il est difficile de se glisser dans l’ambiance festive du réveillon de Noël. Bref, après une réunion familiale, nous avons décidé de couper court. Ainsi nous proposons maintenant à notre fils de recevoir un cadeau de son choix, sans tout le tralala et les guirlandes qui clignotent. Pragmatique, il a vite approuvé.

Bien sûr, à l’école les profs aussi font des efforts. On fabrique des petites choses (voir la photo), on parle du père-noël, du traîneau, de la cheminée et surtout, pendant la récré, on discute avec une certaine passion de son existence, ou pas. Le petit Ninja, déjà affranchi, clame bien haut que ce ne sont que des histoires pour les bébés et son aura de semi-occidental connaissant les pays du vrai Noël, exerce un poids implacable sur le débat qui se poursuit au milieu de la cour.

Curieusement, cette année, selon mon fils, le débat a pris une direction inhabituelle. La question était de savoir si c’était bien le papa qui faisait le père-noēl. Point-clé de la discussion, on en conviendra. Dans la cour, deux camps se sont aussitôt affrontés : les pro papa et les anti papa, un peu comme les pro vaccin et les anti vaxx. La discussion a tourné au vinaigre et l’on a finalement demandé sa docte opinion au sage venu d’Europe. Le petit Ninja, mitonné à la culture de l’honnêteté nippone, a jeté, d’un ton sans appel, que les papas n’étaient pas les seuls à se déguiser en père-noël.

Sacrilège ! Les pros papa se sont agacés, criant au mensonge et il y eut quelques bousculades dans la cour de l’école. Heureusement, la sonnette a retenti, sonnant la fin de la récré et les débats pro ou anti papa se sont poursuivis par chuchotements agressifs, dans les couloirs.

Plus tard, de retour à la maison, le petit Ninja, m’expliquant toute la polémique à grands gestes irrités, m’a demandé de confirmer la vérité anti papaïenne. J’ai juste hoché la tête, confirmant ses propos, peu intéressé par ce nouveau conflit intra-scolaire dans lequel je ne voulais pas m’immiscer. Il a paru vraiment soulagé et j’ai alors compris que sa réputation et son aura occidentale avaient été en jeu dans la cour de l’école, ce matin-là.

J’ai aussi réalisé qu’il avait encore du mal à assumer sa biculture et que de se tromper sur les sujets relevant de l’occident était hors de question pour lui. En effet, dans sa classe, on le voit plus, avec une certaine envie, admiration ou jalousie, comme un gaijin, c’est à dire un étranger, malgré son métissage. J’ai alors pris mon bâton de papa qui est sensé avoir de l’expérience pour tenter d’arrondir les angles. Un gros câlin, une bise et un rappel : “Tu as une chance inouïe, c’est de pouvoir t’enrichir des deux cultures, Hugo. Tu n’es pas à 50% de culture française et à 50% de culture japonaise, non. Tu es à 100% Français et à 100% Japonais, ce qui te donne une double culture à 200% et ça, c’est quelque chose qui n’est pas donné à tout le monde !”

Je ne suis pas certain qu’il ait tout bien saisi, à huit ans, on a le temps devant soi, mais il a paru rassuré par ses pourcentages personnels. Il a alors quelque peu gonflé le torse et m’a lancé :

“Bon, tu me le donnes ce cadeau …?”

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