La femme sans peur (14)

Par le 18 August 2012
dans Des histoires

Cet article est la suite de la saga de Trinity Silverman, commencée ici.

Le lendemain matin, Trinity, comme à son habitude met quelques secondes à réaliser où elle se trouve. Il lui faut un moment pour comprendre qu’elle est à Las Vegas, dans une chambre d’hôtel.Sa tête la lance un peu. Émergeant de son brouillard nocturne, elle se rappelle alors de son diner avec Christina. Elle n’aurait peut-être pas dû insister sur le vin blanc.

Une gentille fille, cette femme, se dit Trinity. Sous une attitude distante et sévère, elle cache une histoire difficile. Elle lui a montré une photo de sa fille, un adorable petit bout de chou de quatre ans, nommée comme sa grand-mère salvadorienne, Célestina.

Trinity, bouge un peu dans le lit.

Las Vegas ?…

Séminaire !

Cette réalisation la prend comme une douche froide. La peur s’immisce immédiatement en elle, furtive et glacée, comprimant son ventre et sa gorge de ses doigts froids, implacables. Instinctivement, la jeune femme se recroqueville, sous sa grande couette.

Pour la nième fois, elle va pour maudire sa panique, lorsque soudain, elle se souvient. Elle sort brusquement la tête de dessous la couette.

Les pilules !

Elle en a pris une hier et tout a changé. Elle sourit presque en se rappelant sa prestation sur l’estrade et la sortie furieuse de Nick Burr. Bien fait pour lui, se dit-elle, il n’avait qu’à pas me chercher…

Et s’il voulait se venger ? A cette idée, son ventre se tord, la faisant grimacer. Qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce qui va m’arriver ?

Elle remet la tête sous sa grosse couverture, paniquant un peu plus.

Dans le silence du matin où tout est calme, on frappe à la porte. C’est comme un coup de tonnerre qui fait bondir son cœur.

Sous la couette, elle se fige.

Il n’est pas 7h00. Qui cela peut-il bien être ?

C’est Nick Burr pour se venger. C’est certain.

Trinity commence à trembler de tous ses membres. Elle essaie de se raisonner mais rien n’y fait. La peur la tient.

On frappe à nouveau, encore plus fort.

Elle arrive à se lever difficilement et se traine vers la porte. Elle n’ouvrira pas, pense-t-elle, mais elle veut savoir si c’est vraiment son ennemi qui est en train de la tourmenter.

Ça frappe encore plus fort. Cette fois-ci, on utilise un objet métallique pour taper sur la porte.

Elle s’arrête. Elle ne peut plus avancer. Ses pires cauchemars sont en train de se réaliser.

Je dois appeler la police pense-t-elle, sinon il est capable de me tuer. Elle regrette ses réactions hier pendant la conférence. Elle regrette d’avoir humilié Nick Burr. Elle regrette tout.

Soudain, elle entend une voix qui l’appelle de l’autre côté de la porte.

Cette voix est féminine.

C’est suffisant pour redonner tous ses esprits à Trinity qui respire un grand coup. Elle se précipite sur le judas pour y voir Christina tenant d’une main un plateau à petit-déjeuner et de l’autre une cuillère dont elle frappe le dos sur la porte.

Trinity, soulagée, s’empresse d’ouvrir et de laisser entrer Christina.

“Eh bien,” lui dit cette dernière, “vous avez le sommeil lourd vous.”

Trinity, en pyjamas, la regarde, encore surprise.

“Mais qu’est-ce que vous faites ici ? Vous n’êtes pas rentrée chez vous pour dormir ?”
“Je viens juste de finir et j’ai vu qu’il y avait un plateau petit-déjeuner à vous livrer avant 7h00, alors je me suis dit que j’allais remplacer le garçon et faire un petit détour avant de rentrer.” Elle cligne de l’œil.
“C’est très gentil Christina. Mais… le salon de coiffure ?”
“Cet après-midi seulement. J’ai le temps de dormir ce matin. Si Célestina veut bien me laisser.”

Elle dépose le plateau sur la table, là où hier elles ont diné ensemble.

“Bon appétit,” dit-elle avec un grand sourire. “Je vous laisse, j’ai mon bus à prendre.”

Elle repart, Trinity la raccompagnant jusqu’à la porte. En chemin, Christina remarque que le bureau porte de nouvelles traces brillantes.

“Votre escargot a fait une petite balade cette nuit” dit-elle en souriant.
“Ça lui arrive parfois de vagabonder au lieu de dormir. Il est intrépide vous savez ? J’ai peur qu’un jour, il finisse écrasé sous mes couvertures,” répond Trinity.
“Vous seriez bien triste,” dit Christina en se rapprochant du bureau. “Tiens, il est là !”

Le gastéropode est au sommet de sa boite, toutes antennes pointées, en train de humer le mélange de phéromones qui se rapproche de lui. Il y en a qu’il connait bien mais d’autres qui lui sont beaucoup moins familières. Mais, il n’y a pas d’acidité dans ce nuage, que des choses agréables, douces.

Trinity approche lentement un doigt et touche délicatement le haut de la coquille de Speedy. Aussitôt, les antennes du petit Euxina circumdata se figent et commencent à disparaitre. Puis, reconnaissant la signature olfactive de ce doigt, il les ressort doucement et commence à les agiter.

Christina regarde Trinity, surprise.

“Il vous reconnait ?”
Je ne suis pas certaine mais en tout cas, dès que je le caresse doucement, il a l’air d’aimer ça.”
“C’est incroyable ça !”

Trinity continue à caresser très doucement la coquille de Speedy qui, toutes antennes sorties, ne bouge pas.

“Oui, les escargots sont des petites bêtes  bien plus étonnantes qu’on ne le pense. Je vous raconterai un jour. Allez-y caressez-le aussi.” Trinity retire son doigt.
“Vous croyez ?”
“Oui, bien sûr, il faut simplement être très douce.”

Christina avance un doigt. Le petit gastéropode fige à nouveau ses antennes. Il a senti un autre groupe de senteurs qui se rapproche, pas acides, pas dangereuses mais inconnues.

D’un coup, Speedy rentre complètement ses antennes car on vient de le toucher plutôt rudement.

“Oh, pardon,” dit Christina.
“Oui, il faut vraiment effleurer sa coquille. Je pense qu’il ressent les vibrations.”

La jeune Salvadorienne ajuste l’intensité de sa caresse et bientôt, les antennes du petit gastéropode ressortent doucement.

“Voilà, ça y est, il vous a adoptée.”
“Vraiment ?”
“Oui, il a mémorisé votre carte olfactive et à l’avenir, il vous reconnaitra.”

Christina retire finalement sa main, au grand regret de Speedy. Ce bouquet de senteurs, ce mélange de phéromones, cet arôme piqué avait quelque chose de particulier dont il était déjà tombé sous le charme. Il s’était d’ailleurs tranquillement installé dans une douce méditation, pensant que cela allait durer une éternité.

Il agite un peu les antennes pour protester mais rien n’y fait. Les odeurs miellées ne reviennent pas.

“Il faut que je parte, sinon je vais vraiment rater mon bus,” souffle Christina en se dirigeant vers l’entrée, suivie par Trinity. Elle ouvre la porte, va pour sortir puis se ravise. Elle se rappelle de quelque chose. Tête baissée, le front plissé, elle cherche ses mots. Son visage retrouve une certaine sévérité avant de s’adoucir à nouveau. Elle lève enfin ses yeux noirs, brillants.

“Je voulais encore vous remercier pour hier.”
“Oh, je vous en prie. Ça m’a fait plaisir à moi de vous inviter Christina.”
“Non, ce n’est pas ça. J’y ai repensé pendant toute la nuit et je voulais vraiment vous remercier pour les mots que vous m’avez dit.”
“C’est normal. Vous êtes réellement courageuse Christina.”
“De mon point de vue, je me considère surtout comme un gros échec, alors merci de m’avoir montré qu’il y avait des choses bien en moi. Je ne l’oublierai pas.”

Elle sort très vite et claque la porte avant que Trinity ait pu dire quoi que ce soit.

Cette dernière hoche la tête. Elle sent quelque chose de doux en elle. Au niveau du cœur ou des poumons. C’est une sensation agréable, énergisante, qu’elle aimerait bien garder. Mais voilà, le visage moqueur de Nick Burr réapparait brusquement dans sa tête.

Et tout s’évapore.

Perdue dans ses pensées, elle se dirige vers la salle de bain.

Comment se fait-il que je puisse aider Christina face à ses propres démons et que je ne puisse pas m’aider ? Quels sont ces démons qui ne veulent pas m’écouter ?

Face au lavabo, elle fouille dans son sac.

Je le sais pourtant bien que je peux être complètement différente, posée, forte, en phase avec ce que je voudrais vraiment être.

Elle prend le flacon et enlève le bouchon rouge.

Qu’est-ce qui fait que je ne puisse pas me dire, à partir d’aujourd’hui, tu n’as plus peur ? Comment je sais que ça ne va pas marcher ? Alors que pour les autres, oui, ça fonctionne ?

Elle met un des comprimés blancs dans sa bouche.

Est-ce que je suis différente ? Trop sensible ? Folle ?… Trinity soupire. Elle est fatiguée de toujours se poser ces questions. Elle se redresse et se regarde dans la glace, ses yeux bleus intenses, presque tourmentés. Aujourd’hui, la peur ne passera pas par moi !

Et d’un coup, avec un grand verre d’eau, elle avale la pilule.

(A suivre)

(Photo : Omar Eduardo)

Commentaires

7 commentaires pour “La femme sans peur (14)”
  1. NJ says:

    next please ! 😉

  2. julien says:

    Jean-Philippe, ton style continue de s’améliorer! C’est fou, y’a des gens doués pour écrire! 🙂

  3. Mathieu says:

    C’est incroyable Jean-Philippe vous êtes doué ??

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