La femme sans peur (10)
Par Jean-Philippe le 5 July 2012
dans Des histoires
Cet article est la suite de la saga de Trinity Silverman, commencée ici.
Tout ça pour rien.
Face à ces deux petites femmes d’âge mur et bien portantes, qui la dévisagent avec méfiance, Trinity, essoufflée par sa course dans les couloirs, sent soudain toute la pression de cette matinée – hors du commun – lui tomber dessus.
C’est comme si maintenant son corps pesait une tonne et ne pouvait plus être bougé.
Elle ne sait même plus quoi dire aux deux femmes de ménage. Sa bouche est toujours béante, derrière son micro. Elle doit avoir l’air ridicule.
Respire, se force-t-elle à penser. Respire.
Elle inspire, essayant d’aller le plus loin possible dans ses poumons.
Les deux employées se regardent. L’une d’elles se penche vers l’autre et lui dit quelque chose à l’oreille. En espagnol.
Trinity qui expirait le plus profondément possible, s’arrête d’un coup.
“Qu’est-ce qu’il y a ?”
Elles sont impressionnées par la jeune femme. Après quelques coups d’œils supplémentaires, celle qui a répondu un peu plus tôt, s’avance.
“Le quatrième étage, c’est Dolorès et Christina qui s’en occupent.”
Trinity fronce les sourcils.
“Merci, et alors ?”
“Alors, elle sont peut-être encore à la cafétéria du personnel.”
D’un coup, cette tonne que pesait sur tout le corps de Trinity fond comme neige au soleil. Elle essaie de ne pas effrayer la femme de ménage en l’attrapant par les épaules et en la secouant comme un prunier. Elle voit son nom sur son badge.
“Merci Gloria !” dit-elle, son visage retrouvant des couleurs, “amenez-moi là-bas, tout de suite, c’est très important !”
Cette dernière penche la tête de côté.
“Vous avez perdu quelque chose dans la poubelle ?” demande-t-elle.
Trinity la relâche, surprise.
“Oui, c’est ça, comment vous le savez ?”
“Ça arrive tout le temps,” répond Gloria dans son anglais accentué. Elle se tourne vers sa camarade pour lui murmurer quelque chose en espagnol. L’autre approuve et elle regarde à nouveau Trinity.
“Venez, je vous emmène à la cocina.”
“La quoi ?”
“La cafétéria. Mais entre nous, on appelle ça la cocina.”
Trinity, souriante, hoche la tête et emboite le pas de la femme de ménage. Elles marchent quelques minutes dans le dédale de couloirs du sous-sol, croisant différents employés de l’hôtel portant chacun un uniforme correspondant à leur fonction.
“Normalement vous n’avez pas le droit d’être ici. Je prends un risque en vous accompagnant comme ça,” dit Gloria.
“Merci beaucoup, vous êtes super sympa,” répond Trinity qui aurait bien aimé juste courir jusqu’à la cocina.
Finalement, Gloria arrive à une double-porte au bout d’un des couloirs sombres et entre dans une pièce de taille moyenne. La chef de projet de MetaForex s’attendait à trouver une cafétéria classique avec beaucoup de tables mais non, la cocina est petite avec, au plus, une dizaine de tables.
Il y a quelques employés attablés, bavardant par petits groupes, les traits fatigués.
Le visage de Gloria s’éclaire et elle se dirige vers une table où une jeune femme, termine son petit-déjeuner. Elle serait belle, si son visage n’était pas aussi fermé, dur, peu accueillant.
Gloria s’approche d’elle et lui dit quelques mots en espagnol. L’autre lui répond, dévisage Trinity, et continue à boire son café. Il y a un petit moment de flottement. Gloria reprend la parole, lentement, un peu hésitante. L’autre continue à siroter son café, sans répondre.
Trinity s’avance à son tour.
“Excusez-moi, si vous êtes bien l’une des employées du quatrième étage, j’ai vraiment besoin de votre aide.”
Gloria approuve de la tête et elle se penche vers Trinity.
“C’est Christina, et elle a bien fait les chambres ce matin, avec Dolorès,” murmure-t-elle.
Les traits tirés, la jeune femme au cheveux noirs volumineux tirés en queue de cheval, ne réagit pas.
“Dolorès et déjà partie”, enchaine Gloria, “donc il n’y a plus que Christina qui va pouvoir vous aider… Moi je dois y aller, désolée.”
“Merci beaucoup Gloria,” répond Trinity en regardant l’employée s’éloigner. Elle se retourne vers Christina.
“Je peux m’asseoir ?”
L’autre hoche de la tête, sans répondre.
“J’ai vraiment besoin de récupérer le contenu de la poubelle de ma salle de bains. C’est presque une question de vie ou de mort.”
Christina s’arrête de boire et repose sa tasse.
“Qu’est-ce que vous avez jeté de si important ?” demande-t-elle, s’adressant pour la première fois à Trinity.
Cette dernière est surprise par la question.
“… des… des médicaments,” finit-elle par répondre. “Très rares et très chers. Si je les retrouve, je vous offrirai une récompense,” finit-elle en souriant.
Mais ce n’est pas du goût de Christina.
“Vous pouvez la garder votre récompense,” dit-elle sèchement.
Trinity cligne plusieurs fois des yeux, refroidie par l’attitude peu aimable de Christina qui se lève d’un coup.
“Je suis fatiguée et j’ai encore une longue journée devant moi. Alors venez, et je vous donne dix minutes pour fouiller dans le sac poubelle. Après, je dois le jeter et partir.”
Elle part sans même attendre la réponse de Trinity qui se lève immédiatement pour la suivre.
Quelques instants plus tard, Christina retire un grand sac plastique gris de son chariot et le jette au sol.
“Voilà, c’est là que je vide toutes les poubelles des salles de bains du quatrième. Bonne chance.”
“Merci,” répond Trinity. Elle se baisse et ouvre le sac. Dedans, il y a plein de kleenex chiffonnés, des papiers humides, des cheveux et autres choses qu’on a pas envie de toucher. Elle hésite à y mettre la main lorsqu’elle entend la voix Christina derrière elle.
“Mettez ça.” Elle est en train de lui tendre une paire de gants en plastique, longs. “Vous n’avez pas idée de ce que les gens peuvent jeter dans leurs poubelles. C’est franchement dégoûtant.”
Trinity la remercie, enfile les gants jaunes et ouvre à nouveau le sac poubelle.
Il me faut ces pilules, se dit-elle pour se donner du courage, et vaillamment, elle plonge les deux mains dans le fouillis écœurant que contient le sac.
(A suivre)
(Photo : Gilderic)
Et dire qu’après, les pilules, elle va les mettre dans sa bouche !
Beuuurk !
Pas dégoûtée, Trinity ;o)
l’Amibe_R Nard
Merci L’Amibe ! La peur conduit parfois à des extrêmes… 😉
je trouve ce blog génial ! Moi aussi j’écris un livre en ligne sur http://fantastikbook.20minutes-blogs.fr C’est une histoire fantastique. un docteur en philosophie new-age meurt dans un accident de voiture. Il arrive au purgatoire. Et le bras droit du diable lui propose de retourner sur terre auprès des siens s’il veut accomplir une mission pour lui. erradiquer toute la criminalité…seriez vous comme moi ?
Merci beaucoup pour ton commentaire Robbe ! Et bonne chance pour ton histoire dont le résumé est alléchant. 🙂
Ah ! Christina… si tu savais !
…Et attends la suite. 😉