La femme sans peur (5)

Par le 15 June 2012
dans Des histoires

Gastéropollars

Cet article est la suite d’une histoire commencée ici.

Elle le trouve dans un coin de la boite.

Il semble dormir du sommeil du juste. Collé à la paroi de plexiglas, il parait ne pas avoir remarqué qu’une main s’est approchée de lui.

Trinity sourit. Elle est toujours étonnée par la capacité qu’il possède à s’adapter aux changements de créneaux horaires à travers ses voyages d’un bout à l’autre des États-Unis.

Elle se lève et repose doucement la boite sur le bureau. Elle s’agenouille devant pour que ses yeux soient au niveau de son ami.

La coquille bouge un peu, se soulève et des antennes apparaissent.

Speedy, l’escargot, vient de se réveiller.

Trinity, qui est une malacologue amateur, sourit.

Depuis son adolescence, elle élève des escargots. Elle sait tout d’eux, leur incroyable histoire, leurs mœurs, comment s’en occuper. C’est son havre de paix dans un monde qui va de plus en plus vite et dont elle a, de plus en plus peur.

Mais Speedy lui, est spécial.

C’est un Euxina circumdata, une espèce d’escargot originaire d’Europe de l’Est et de Turquie, vivant principalement tout autour de la mer Noire.

L’une de ses particularités, c’est sa coquille qui est fine et longue, beaucoup plus longue que son corps – ou plutôt son pied – la partie molle et humide qui lui permet de ramper.

Autre spécificité, il possède une porte, quand il veut vraiment vivre sa vie en privé. Oui, c’est un des rares escargots à pouvoir se retirer dans sa coquille derrière une porte solide et rétractable à souhait ! Rien que de penser à l’ingéniosité de son petit compagnon, Trinity en a les larmes aux yeux.

Et ce n’est pas tout !

Elle pourrait en parler pendant des heures. Le jour où elle avait tenté d’expliquer à Tom, son petit-ami, la particularité de sa coquille, cela avait mal tourné. En effet, pratiquement tous les escargots du monde ont la coquille qui s’enroule vers la droite mais, la famille de Speedy elle, l’enroule vers la gauche. Comme un rebelle quoi…

Et ça, Trinity, elle adore.

Tom beaucoup moins.

“Ton stupide chewing-gum baveux peut s’enrouler dans n’importe quel sens, ça ne va rien changer à mon compte en banque, ni au tien !”

Telle avait été sa réponse à quelque chose qu’elle trouve merveilleux. Tom ramène tout à l’argent. Il veut se marier, investir dans une grande maison, faire des enfants et gagner encore plus sur les marchés boursiers.

Lui aussi il est dans la finance, mais dans les marchés classiques.

Et il ne supporte pas que Trinity soit bien plus douée que lui dans ce domaine. Il pense que le Forex, le marché des devises, c’est pour les losers, les boursicoteurs du dimanche. Lui, il investit avec d’énormes portefeuilles d’actions dans des multinationales.

Le grand art, quoi !

Sauf que les gains de Trinity sont bien plus importants que les siens et encore, elle en cache une partie pour qu’il ne se vexe pas une nième fois.

Parfois, elle perd même volontairement et, face à son air condescendant lorsqu’elle le lui explique, elle se dit qu’elle n’est pas prête du tout de lui confier ses avancées en recherche sur les probabilités des marchés, et surtout, la stratégie qu’elle en a dégagé. Elle hésite aussi d’ailleurs à la révéler aux pontes de MetaForex.

Vu comme ils la traitent, eux aussi.

Mais l’épithète de “chewing-gum baveux” attribué par Tom au pauvre Speedy avait conduit Trinity à, comme d’habitude, quitter l’appartement sans mot-dire pour marcher dans les rues, tête baissée, et à aller discrètement pleurer sur un banc. Avant de se rabibocher.

Combien de temps cela va-t-il durer ?

Tout au fond d’elle-même, Trinity a aussi peur de ça : se retrouver un jour seule, vieille fille, flétrie et aigrie. Alors elle s’accroche et pardonne trop à Tom, le cœur serré et le ventre noué d’angoisse.

Elle sent quelque chose qui lui touche légèrement la main. Dans la boite, Speedy est maintenant complètement réveillé et effectue sa première mission du jour : explorer sa boite. La jeune femme aime à penser que son Euxina la reconnait, les escargots étant très sensibles aux odeurs.

Et puis Speedy est un escargot qui n’a pas pas peur de l’aventure et elle pense qu’elle pourrait vraiment en prendre de la graine. En effet, il n’hésite pas non plus à partir en exploration en dehors de sa boite transparente.

Pourtant, il faut savoir que le pied de Speedy ne mesure que 5 millimètres et que sa coquille n’est longue que de 2 centimètres ! Oui, c’est une escargot miniature – c’est ce qui fait son charme – mais c’est un escargot qui n’a pas froid aux antennes.

Ainsi, la jeune femme va laisser la boite en plexiglas ouverte et le gastéropode va sans doute examiner les alentours – c’est à dire le dessus du bureau – avant de revenir dans sa boite, à la grande surprise des femmes de ménages.

D’ailleurs, Trinity laisse toujours une petite fiche expliquant qu’il ne faut en aucun cas toucher à la boite et à tout ce qui se trouve sur le bureau.

Escargot en vadrouille !

Chez elle, elle possède un grand terrarium où Speedy peut s’adonner aux joies de la course de fond. Ceci dit, il connait parfaitement ses limites. Il ne s’éloigne jamais d’une zone mystérieusement définie et revient toujours à la “maison”. Pourquoi ? Elle ne sait pas mais les experts à qui elle a posé la question pensent que la nourriture et l’eau contenues dans la boite ou le terrarium en sont les raisons.

La sonnerie du téléphone la fait sursauter.

Trinity décroche tout en continuant à regarder Speedy qui remonte son index à vitesse grand “V”. Enfin, grand “V” pour lui.

“Allo, oui ?”
“Mademoiselle Silverman ? C’est Jim, vous allez bien ? J’ai besoin de tester une dernière fois votre ordinateur et… et la salle est déjà en train de se remplir. Alors…”

Elle se redresse d’un bond, comme frappée par la foudre. La conférence !

“J’arrive !” souffle-t-elle avant de raccrocher brusquement le combiné.

D’un coup, toutes ses angoisses rejaillissent. Sa respiration s’accélère. Son cœur commence à battre la chamade. Son ventre se noue à nouveau.

La panique, familière, est de retour.

(A suivre)

 

 

 

 

(Photo : fpsurgeon)

Commentaires

8 commentaires pour “La femme sans peur (5)”
  1. Jean-Pierre says:

    “elle élève et des escargots” : un « et » de trop je pense.

    maintenant, la question qui me taraude : comment t’es venue cette idée d’escargot ç’ Comment as-tu déniché cette espèce en particulier ?

    En tout cas, pour en revenir au doudou, ça va pas du tout. Une de mes filles (celle qui a rarement un doudou) a une peur bleue des escargots (sans raison apparente). Je devrais essayer de lui montrer les petits, mais on les voit rarement sortir.

  2. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Jean-Pierre pour la correction !

    C’est la lecture de livres et la recherche sur internet qui m’ont permis de me décider. Cela prend beaucoup de temps en “browsing” et en mails mais, comme tu le sais, j’adore ça. J’ai aussi plusieurs fois changé d’espèce avant de tomber sur l’Euxina Circumdata et de me dire : voila l’escargot de Trinity !

    Je suis certain qu’il ne ferait pas peur à ta fille. Speedy fait partie de la famille des Clausiliidae qui a des centaines d’espèces, de différentes tailles. Moi, je les trouve très cool avec leur longue coquille. 😉

    PS : Ne te taraude pas trop quand même…

  3. Mohamed says:

    Vraiment pas mal, j’attends avec impatience de savoir si ces pilules ont marché (et si le chimiste en aurait en plus 🙂

  4. Céline says:

    Bonjour, je viens de lire les 5 articles à la suite et j’ai hâte de découvrir la suite… Très sympa !

  5. Jean-Philippe says:

    @Mohamed J’ai l’adresse si tu veux ? 😉 (Chambre 886)

    @Céline Merci beaucoup pour les compliments. Ça vient, à la vitesse de Speedy ! 😀

  6. Amibe_R Nard says:

    Est-elle malacologue ou gastéropodologue ? ;o)

    A moins qu’elle ne soit hélicicultrice, mais avec un seul escargot elle n’ira pas loin dans son élevage.
    Hop ! voilà trois mots que je ne connaissais pas, et que j’engrange dans ma coquille.

    Attention, elle peut fort bien être malacologue. Mot bien plus joli que les autres. 😉

    En tout cas, bravo pour ce personnage très atypique.
    Tu as vraiment l’art de rendre tes personnages spéciaux et attachants.

    Quant à l’histoire, tu es un chat de récit… tu sais fort bien retomber sur tes pattes.
    En maintenant un suspens terrible.

    Tu es un vrai feuilletoniste. 😉
    L’Amibe_R Nard

  7. Jean-Philippe says:

    Wow ! Je vais crouler sous les compliments là. 😀

    Merci beaucoup l’Amibe mais, il faut savoir que l’air de rien, chaque commentaire est aussi précieux pour ma progression personnelle. Et les tiens sont toujours d’un haut niveau, ce qui m’oblige à grimper d’un cran… ou tout du moins, à essayer. 😉

    PS : J’aime le mot feuilletoniste que je ne connaissais pas…

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