Les testamentés (5)

Par le 9 January 2012
dans Des histoires

C'est nickel pour les biftons !
Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

17 février 2012 (après-midi)

Le directeur de la banque nous introduit avec des ronds de jambe.

Y nous fait rentrer dans une salle comme j’en ai vu que dans les films de hold-up.

C’est vrai quoi. De toute ma vie, mes contacts “bancaires” qu’on va dire, c’est toujours la rombière du guichet qui est sympa comme un cactus. Ou alors c’est la lettre de rappel pour me dire que j’suis à découvert.

Comme je dis à la Mounette, ça leur économiserait du papier s’y m’envoyaient un courrier seulement quand je l’suis pas.

J’suis marrant parfois, hein ?

Bon, bref, avec l’frérot, on se retrouve dans une pièce, pas piquée des vers.

C’est exactement comme au cinéma. Y manque plus que les gangsters. Elle est assez grande, y a que du néon et tous les murs ont des petites portes métalliques. Y en a plein ! Clarky, il est aussi impressionné.

Doit y en avoir d’la thune, là-dedans.

Le dirlot y nous fait assoir à la grande table centrale dans des fauteuils de princes et s’en va ouvrir une des petites portes avec sa clef. Il en retire une espèce de longue boite en métal noir qu’a exactement la taille de la porte et, v’la t’y pas qu’il l’apporte jusqu’à la table.

A nous Las Vegas.

“Voilà messieurs,” qui nous dit, sirupeux comme pas deux, “je vous laisse. Il vous suffit d’introduire vos clefs pour ouvrir votre coffre. Quand vous en aurez terminé, appuyez sur la sonnette et je viendrais vous ouvrir.”

Ouvrir ? Y va pas nous enfermer quand même ?

Mais si, y sort de la pièce, y ferme la porte et on entend le bruit de la serrure qui tourne. J’suis certain qui nous fait pas confiance. Déjà qu’il a fait une drôle de tête en m’voyant débarquer avec mes bouts de kleenex dans le nez et mon costard taché de sang.

Tout ça, on s’en fout ! A nous le pactole.

On met tous les deux nos clefs dans les petites serrures et bingo, ça s’ouvre ! J’pousse Clarky pour voir tout de suite c’qui a dedans et là, je pousse un cri.

Des biftons.

Plein de biftons.

Une montagne de biftons.

Des liasses et des liasses, bien rangées, sages comme des images qui attendent le patron.

J’sais pas comment ça fait quand on gagne au loto mais là, au niveau du palpitant, c’est comme si j’avais coché les 6 bons numéros. J’dois me rasseoir, tellement qu’chuis ému.

Putain, y a une fortune là !

C’est des francs mais quand même, c’est qu’des grosses coupures et la boite en est bourrée à craquer.

Ah, je suis tout émotionné  !

Yes ! Ça y est, à moi le pompon, c’est bibi le pacha ! J’vais tous les envoyer chier ! J’vais prendre ma retraite illico et avec la Mounette on va se prendre du bon temps.

Croisières autour du monde et cocktails à Acapulco.

Comme la vieille quoi. Elle était pas si conne que ça finalement. Une brave femme. Une vraie mère.

“On est riche !” que je crie à Clarky en me levant de mon fauteuil. Je l’attrape dans mes bras et je l’serre fort. En plus, cerise sur le gâteau, j’ai trouvé un frère tout neuf, tout propret.

Avec un nom d’aristo.

Putain, elle est pas belle la vie ?

L’frérot lui, il est plus calme. Y s’est levé aussi mais il a gardé les bras le long du corps. Y partage pas mon enthousiasme.

“Qu’est-ce t’as Clarky ? T’es pas heureux ? On va faire la nouba… à vie ! ”
“Si, si, mais j’aurais aimé partager ce bonheur avec notre mère.”
“Oui bah, laisse-la où elle est. Moi j’te dis qu’ils l’ont bien chouchouté là-haut. Ils lui ont fait une belle p’tite place au paradis, section bienfaiteurs, à la droite du Notre Père qui êtes aux cieux. Tiens, compte plutôt avec moi les p’tits angelots qu’elle nous a laissé.”

Sur ce, j’t’attrape une liasse, j’passe mon pouce sur la langue et je commence le comptage. Y a qu’des billets de 500. C’est pas des Pascal mais y’a les têtes d’un couple dessus. J’en prends un et j’le fourre sous le nez du frérot.

“C’est qui ces deux zigotos ?”

Y fronce les sourcils – un intello qu’je vous dis – pour mieux détailler le bifton.

“C’est… c’est Pierre et Marie Curie,” qui fait, “sur un billet de 500 francs… J’en avais jamais vu un.”

Il a l’air surpris aussi. Y devait pas rouler sur l’or non plus.

Mais tous ça, c’est fini ! A nous la belle vie ! Caviar et champagne ! Tu va voir le Tony la tête qu’y va faire quand j’vais lui dire que j’démissionne et qu’maintenant y va devoir m’appeler monsieur. Et plus Bob. J’ai horreur qu’on m’appelle Bob. Mon prénom c’est Robert. C’est pas que je l’adore mais c’est comme ça.

J’viens de finir ma liasse. 50 biftons !… de 500 chacun… Là, j’emmène la Mounette dans un resto 3 étoiles tous les jours ! Que du Michelin !…

Clarky y m’regarde.

“On ne va pas tous les compter nous-mêmes, Robert. On devrait appeler le banquier, ils ont des machines spéciales pour ça.”

V’la t’y pas qu’il avance la main pour appuyer sur la sonnette que j’lui attrape le poignet d’un coup vif.

“Minute, frérot. J’aime pas les banquiers. Y font qu’nous piquer notre fric et j’ai pas envie qui se sucre au passage.”

Clarky y m’sourit.

“Mais non. De toute façon, il y a sûrement des taxes à payer sur ce genre d’héritage et puis, on ne va pas sortir en douce, non ? On est enfermés ici et pour sortir…”

Le salaud. Salaud d’banquier. Voilà pourquoi y nous a bouclés ! Y veut être sûr de toucher sa part de magot.

Je relâche Clarky.

“OK, t’as raison, on est coincés comme des rats. Appelle le taulier.”

On aurait juré qu’il était resté derrière la lourde car elle s’ouvre à peine après qu’Clarky il a appuyé sur le bouton. L’enfariné nous refait son sourire des grands jours.

Faux-cul !

“Ah, je vois que ces messieurs on fait de belles découvertes,” qu’y fait en voyant nos billes étalées sur la table. “Je vais vous chercher un grand sac et je…”.

Il s’interrompt d’un coup.

Y rit plus. Y s’approche doucement de la table. Il a pris son air sérieux de banquier. J’aime pas ça. Qu’est qui y a encore ? Putain, j’espère que c’est pas de l’argent volé. La vieille elle va pas me faire c’coup-là !

Le banquezingue y prend un des billets et y me regarde, les sourcils froncés.

“C’est pas moi !” que j’lui jette tout de suite, les mains mi-levées.

Y relève pas.

“Ce sont des francs…” qui commence à murmurer.

Bravo Einstein. Tout ce cinoche pour nous dire ça ?

“… et vous savez bien que nous ne changeons plus les francs en euro depuis longtemps ?”

Là, j’ai cru que mon cœur il allait m’lâcher. J’essaie d’aspirer comme un putain de poisson qu’on a jeté sur le pont d’un bateau. Mes millions ! Mes croisières ! Ma belle vie !

En fumée !

J’vais pas m’en r’mettre, c’est sûr. La vieille elle a gagné. Hosanna et je vais clamser là, tout de suite !

“Mais, mais, mais,” qu’y continue, “vous avez une chance incroyable, car on peut toujours changer ses francs en euro dans toutes les succursales de la Banque de France.”

Putain, je revis. Je renais. J’suis comme Jésus, sans passer par la case crucifixion. J’ai envie de faire une génuflexion et d’embrasser le banquier.

“Ah, vous savez qu’vous nous avez fait une de ces peurs, vous !” que j’lui dis.
“Attendez… vous savez qu’aujourd’hui c’est le 17 février ?”
“Et alors ? C’est pas férié chez les banquiers ?”
“Non mais c’est le dernier jour prévu par la loi pour pouvoir échanger vos billets. Demain, vos francs, ils ne vaudront plus rien !”

Je vire au pâle.

“Alors,” y continue, “la succursale de la banque de France d’Albi ferme ses portes à 17h00 et il est…”

Y regarde sa montre.

Je suis blanc comme un cierge.

Il hausse les sourcils.

“… et il est… 16h30.”

(A suivre)

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(Photo : b.e.n.)

Commentaires

13 commentaires pour “Les testamentés (5)”
  1. Florence says:

    C’est bon de finir sa journée sur un éclat de rire 🙂

  2. Ha, franchement Jean-Philipe !

    Et on saura le reste de l’histoire dans 30 minutes … euh, 72 heures ?

    Alors te voilà devenu le Maître du Temps !

    Comme dirait Florence, ça fait du bien de rire en fin de journée 😉

  3. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup à toutes les deux ! Je suis vraiment très heureux que cela vous ait fait sourire comme cela s’est produit pour moi. 😉

  4. Amibe_R Nard says:

    Ah, le fameux coup de l’héritage qui ne vaut plus rien !

    Trop bon. 🙂
    l’Amibe_R Nard

  5. Jean-Philippe says:

    Merci l’Amibe pour ton soutien indéfectible ! L’héritage qui ne vaut rien ?… le tout, c’est peut-être de savoir de quel “héritage” tu parles. 😉

  6. NAd says:

    Bon, je le sentais venir le coup de francs plus valables. Mais ça n’empêche pas que j’attends la suite avec impatience. Je m’étais pourtant dit que je ne lirais plus tes histoires que quand elles seraient finies et je me suis encore laissée avoir 😉

  7. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup NAd ! Comme il est joliment photographié sur ton blog, il suffit de suivre la flèche. 😉

  8. Arnaud says:

    Un peu comme Nad, bine sur on sent le coup venir, mais je suis curieux de connaître la suite.

  9. Gérald says:

    J’adore ! Tu as le même style que Pénac dans sa période Mr Malausène. Ben pour tout’dire, j’en prendrais bien une aute rasade…

  10. Jean-Philippe says:

    @Arnaud Merci pour ton commentaire ! Tant qu’il y a de la curiosité, je continue. 😉

    @ Gérald Merci beaucoup ! Mais bon, je suis loin d’avoir son talent. Son livre “Comme un roman” est d’ailleurs l’un de mes favoris. 🙂

  11. Alexis says:

    Hey J-P ! Je suis de retour :p

    Voilà, je me suis enfilé les 5 chapitres d’affilé, le style est un peu troublant mais l’histoire est sympa, assez rocambolesque tout de même, bon c’est un style :p

    Wouaw, le jour de ma fête c’est le dernier jour de valeur des francs, si c’est pas un signe ça ! …bon ok, s’en est pas un :p

    Pour en revenir à l’histoire, tu fais marcher à merveille le paradoxe du héros qui est … un vrai connard, mais que personnellement j’apprécie quand même un peu !
    Tu retranscris bien le côté fainéant de la plupart des gens, jamais là pour les papiers mais toujours pour l’argent ; où la considération des gens se fait surtout à ce qu’ils nous apportent de matériel. Donner de l’argent est un bon dopant relationnel tant que ça ne rentre pas dans l’excès !

    À bientôt 🙂
    Alexis

  12. Jean-Philippe says:

    Merci Alexis, content de te revoir !

    J’apprécie toujours tes analyses et crois-moi, je prends bien note de tout ce que vous tous me dites.

    Alors… joyeux anniversaire en euros ! 8)

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