Les testamentés (3)

Par le 26 December 2011
dans Des histoires

La clef du paradis ?

Cet article est la suite d’une série qui a commencé ici.

17 février 2012 (suite).

“Tout ?”

Ma tête est déjà à travers la porte ré-ouverte. Si y’a un pactole à rafler, bibi y va passer à la caisse. En premier.

Voix-de-crécelle est surpris par ma brusque réapparition.

“Monsieur Périer, si vous preniez un siège, je pourrais vous expliquer.”

Je tente de faire la ré-entrée la plus digne possible et je me laisse tomber dans le fauteuil rouge capitonné où j’étais encore assis quelques secondes auparavant. J’croise les jambes. Ça fait relax.

“Combien qu’elle a laissé la vieille ?”

Le notaire secoue la tête.

“Monsieur Périer,” y me dit sur un léger ton de reproche. “Vous n’avez pas envie de faire la connaissance de votre frère ?”

J’l’avais oublié Clarky. Il a séché ses larmes. Il a l’air tout propret maintenant sauf pour cette ridicule moustache.

“J’ai pas de frangin moi, m’sieur le notaire. J’suis fils unique. Pas que ça lui a permis de s’occuper de moi, à la vieille. Elle a toujours délégué son boulot de mater. Quant au pater… voyez les abonnés absents.

L’acteur de films muet, renifle un grand coup. Y va pas s’y remettre non plus ?

Voix-de-crécelle enlève ses lunettes. Quand un notaire fait ça, en général, c’est pas bon signe.

“Vous savez, madame votre mère, a eu une jeunesse aussi. Et le fruit de cette, comment dirais-je, vitalité, a été la naissance de monsieur qu’elle a malheureusement dû donner à l’adoption. Elle m’a révélé ce fait, sous le sceau du secret, il n’y a que quelques années, tout en me remettant les papiers nécessaires pour contacter monsieur de Chibrans, ici présent… votre… donc, demi-frère.”

Y a comme un long silence dans le burlingue du notaire.

Que voulez que je fasse, moi ? On m’apprend, ni une ni deux, que la matouze elle a pris du bon temps et qu’elle a gagné au tirage. La famille s’agrandit. Comme ça. D’un coup. Clark Gable est mon frérot. Ça me donne presque envie de rire tellement c’est idiot. A tel point d’ailleurs que j’ai plus que du mal à y croire.

“Elle vous a fait marcher la vieille. Déjà qu’elle en avait rien à foutre de ma pomme, l’abonné des pensionnats pour moutards délaissés, alors qu’est-ce qu’elle en avait à faire de rajouter des membres à la fratrie ? Elle vous a bien fait marcher, oui !”

Le notaire y remet ses lorgnons en soupirant.

“Monsieur Périer, soyez raisonnable, madame votre mère n’était pas aussi mauvaise que vous le prétendez. La preuve, même si elle a dû se séparer de monsieur votre frère, elle a toujours gardé sa trace et, sur les papiers d’adoption de monsieur de Chibrans qu’elle détenait, c’est bien son nom qui apparaît comme mère biologique.”

Ch’suis sceptique. On le serait à moins. Surtout quand on a été son rejeton et tâté de sa “fibre” maternelle.

“Elle vous a bien eu ! C’est encore un coup de sa folie des grandeurs. Elle aurait toujours voulu être une princesse la vieille, alors elle s’est inventée un mouflet dans la haute.”

Voix-de-crécelle, y l’en a de la patience. Moi je me serais déjà mis à hurler en me disant de me la fermer et d’écouter. Mais non, lui y garde le même ton, haut perché, pour continuer ses explications.

“Je vous assure que ce n’est pas vrai. Monsieur ici présent est bien légalement votre demi-frère même si madame votre mère a caché cela toute sa vie.”

Devant le calme du notaire, j’commence à douter. J’aurais donc vraiment un frérot ? Purée, c’est la Mounette qui va être surprise d’avoir un beauf !

J’ose plus regarder à droite. Qu’est-ce que j’vais lui dire moi à Clarky ? On s’connait pas. J’vais pas lui révéler tous mes secrets non plus, sous prétexte qu’on est frangins.

“Et l’oseille ?”
“Pardon, monsieur Périer ?”
“Oui vous avez dit qu’il garderait tout. Mais maintenant j’suis là et bien là. Alors ? 50% de quoi ?”

J’crois que j’ai fini par l’ébranler voix-de-crécelle. Y soupire, jette un œil sur le nouveau membre de la famille qui moufte toujours pas – il a pas intérêt – , et ouvre le dossier qu’il a devant lui.

“Combien ?”

J’insiste. J’enfonce le clou. Ils m’emmerdent tous les deux et j’vais pas jouer les aimables avec des types que j’connais pas. Famille ou pas.

Le notaire y m’ignore. Il se contente de tourner les pages du fichu dossier et s’adresse à tous les deux en nous regardant alternativement, la voix posée. J’dois reconnaitre : un vrai pro voix-de-crécelle.

“Madame Hortense Périer, votre mère messieurs, m’a donc contacté il y a une quinzaine d’années afin d’établir ce testament qu’elle n’a jamais modifié, sauf pour quelques détails. Le contenu en est très simple et si vous le permettez, je vais vous le résumer en omettant tous les paragraphes légaux.”

“Ouaip !” que j’fais en pensant à Tony.

Le regard du notaire se tourne vers Clark Gable. Celui-ci, nous fait un “ouiche” quasi inaudible entre deux petits soupirs.

Voix-de-crécelle hoche la tête et reprend.

“Elle m’a donc remis tous les papiers confirmant que monsieur Emmanuel de Chibrans était bien son fils légitime, enfant remis à l’adoption dès sa naissance.”

A nouveau, Clarky se fait sentimental et étouffe un sanglot.

“Mais elle ne m’a remis aucun titre, aucun acte, aucune somme d’argent.”

J’fronce les sourcils.

“Quoi ? C’est bien c’que j’disais, la vieille était fauchée comme les blés. Elle avait tout bouffé !”

Le notaire, j’crois qu’il a décidé de m’ignorer. Y continue sans relever.

“Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne possédait aucun bien. Elle m’a remis ces deux clefs.”

Il lève la main pour nous les montrer. Elles sont toutes petites, attachées à des chaines.

“Et, selon ses souhaits, il vous en revient une à chacun, avec ces instructions.”

Le notaire, y tend le bras au-dessus du bureau et nous donne notre clef, avec une feuille de papier.

“C’est la chasse au trésor ou quoi ?” que j’fais, goguenard.

Voix-de crécelle hoche à nouveau la tête.

“En quelque sorte… vous avez un peu raison. Elle m’a remis une adresse, contenue dans les instructions, celle d’une banque ici à Albi. Les clefs ouvrent un coffre privé.”
“Et y a quoi dedans ?”
“Je vous l’ai déjà dit monsieur Périer, elle ne m’a donné aucune information sur le contenu mais…”

D’un coup, j’me lève, interrompant le notaire et j’décampe.

“Salut la compagnie, j’ai à faire !”

A nouveau, voix-de-crécelle essaie de me retenir.

“Attendez, monsieur Périer !…”

Rien à cirer. Si la vieille elle m’a laissé quelque chose – et je l’mérite – je veux passer à la caisse illico presto.

A nouveau, sortant en trombe, je fais voler la porte d’entrée qui gémit, pendant que le notaire continue du fond de son bureau.

“… il faut lire les instructions,” lance-t-il loin derrière. “Le coffre ne peut être ouvert qu’avec les deux clefs simultanément engagées.”

A nouveau la porte claque derrière moi et, à nouveau, je reste figé dans le couloir.

Que des emmerdes.

(A suivre)

(Photo : Nina Wöss)

Commentaires

7 commentaires pour “Les testamentés (3)”
  1. Amibe_R Nard says:

    L’art du suspens mené à son apogée !

    Excellent !
    l’Amibe_R Nard

  2. Florence says:

    Du suspense, en effet…
    Je n’ai qu’une question : la porte claquera-t-elle trois fois ? 😉
    Il commence à devenir sympathique, ce testamenté.

  3. Mwarf quel suspens, je n’ai pas pu décrocher les yeux du texte ! pas mal l’article :p

  4. Jean-Philippe says:

    @Amibe_R Nard Merci pour les compliments ! et ce n’est pas terminé… du moins pour moi qui suis un peu en avance sur la lecture. 😉

    @Florence J’ai essayé mais je n’ai pas réussi à lui faire claquer la porte une troisième fois. Concernant la sympathie du testamenté, j’essaie d’appliquer un principe mien : chez chacun d’entre nous, il y a des choses intéressantes. Parfois, il faut creuser profond pour les découvrir. Cela va être le boulot du demi-frère.

    @Vivien Merci pour le compliment et j’espère que la suite ne te décevra pas. 😉

  5. Arnaud says:

    Vraiment sympa cette histoire, je rejoins les commentaires précédents pour l’art du suspens qui nous fait revenir sur ton blog pour connaître la suite.
    C’est vrai que ton personnage devient sympathique par ses réactions et son comportement.

    J’attends la suite avec impatience.

  6. Jean-Philippe says:

    Merci Arnaud de te tenir ta parole ! Tu es bien là, présent sur l’épisode 3, comme tu l’avais promis précédemment… et merci encore pour les compliments. 😉

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