Les testamentés (2)

Par le 19 December 2011
dans Des histoires

Ciré et craquant comme...
Cet article est la suite d’une série qui a commencé ici.

17 février 2012.

La vieille est morte.

Et pourtant on dirait pas ! Elle nous fait dans la réincarnation tibétaine, une vraie résurrection de Lazare sur le retour.

Elle pouvait pas juste passer l’arme à gauche et me foutre la paix, non ?

Quelle putain de journée.

Que des emmerdes.

Si je pouvais revenir en arrière. Juste de 24 heures.

Je serais millionnaire.

J’en ai marre de toutes ces conneries qui s’accumulent. J’étais peinard moi ! J’demandais rien à personne. Je faisais mon boulot. J’obéissais à Tony. Je creusais là où y fallait creuser, c’est tout. Et pis l’soir, la Mounette elle me préparait ma tambouille, bien chaude que j’avalais en silence, l’œil sur la télé.

Et en commentant de temps en temps, quand même. Tous des cons.

Alors ce matin, j’enfile mon trois-pièces du dimanche, un peu élimé aux entournures. La Mounette, elle a fait c’qu’elle a pu pour le rendre présentable mais après la saucée d’hier, un saint aurait pas pu faire de miracle. Même les moineaux m’auraient pas voulu comme épouvantail, c’est dire.

Finalement, à l’heure pile s’il vous plait, je frappe, je me présente, on m’introduit, ça sent la vieille cire, ça craque sous les pieds, décorum rouge et dorures, on m’ouvre une grosse porte qui gémit et je me retrouve face à face avec voix-de-crécelle, mon notaire à lunettes.

Par-dessus son grand burlingue de bourgeois, y me tend la main que je prends avec circonspection – j’suis méfiant de ces gars-là – et y me fait signe de m’asseoir. S’y m’demande d’allonger pour les dettes de la vieille, je fous l’camp immédiatement.

Je suis assez énervé comme ça.

Déjà que le Tony y m’a fait une scène dans le bigot parce que je me reprenais une demi-journée d’école buissonnière, alors je vais pas trainer dans c’t’odeur de sarcophage avec ma momie à lunettes. Cette aprêm, je reprends le boulot.

Et tout rentre dans l’ordre.

A ce moment-là, j’entends comme des jérémiades sur la droite. J’avais pas remarqué mais le bureau du lunetteux a un coin canapé avec une petite table.

Et sur le canapé, y a un gars. Il a la tête dans les mains. Comme s’il pleurait.

Je me penche vers voix-de-crécelle :
“Qu’est-ce qui fout là ?”
“Il a eu comme un choc, alors je lui ai donné un moment pour se remettre.”

Je re-regarde le gars, toujours la figure dans ses battoirs. Je me repenche vers le notaire.
“Y va couiner longtemps comme ça ?”
“Monsieur, vous savez, il y a des nouvelles qui sont difficiles à accepter. Parfois mes clients ont ce genre de choc émotionnel. Il faut lui laisser un peu temps.”

Il réajuste ses petites lunettes en me faisant un petit sourire gêné.

Oh, ça j’aime pas ! Un notaire qui me fait un sourire et qui ne prend pas le temps de se débarrasser de son pigeon précédent. Je vais pas trainer, moi.

“Bon,” je reprends, “on règle mon histoire là ? J’suis assez pressé, vous voyez.”

Voix-de-crécelle me regarde, regarde l’autre sur le canapé, me regarde encore, parait hésiter.

“On pourrait lui laisser encore quelques minutes, non ?”

Je fronce les sourcils. M’énerve lui.

“C’était un orphelin à qui je viens juste d’apprendre qu’il ne l’était pas.”

Je fronce toujours les sourcils. M’énerve vraiment le notaire.

“Et puis, juste après, j’ai dû lui expliquer que c’était trop tard pour des retrouvailles familiales.”

Mes sourcils pourraient pas être plus froncés que ça. C’est comme la ligne d’horizon sombre au-dessus de la mer, un jour de typhon. Mounette me dit que j’ai l’air idiot quand je fais ça. Eh ben, j’espère bien ! Ses salamalecs, il peut se les copier en deux exemplaires et s’en mettre une devant, une derrière, pour bien passer l’hiver au chaud.

Alors, voix-de-crécelle, y voit bien que je suis sous pression, que le lait va déborder, que ça va être l’explosion de Vésuve. Le niais, y sourit un peu plus, en battant des paupières derrière ses petites lunettes.

“Laissons-lui encore quelques instants, par respect.”

J’explose.

J’émets un grognement qui surprend le notaire, lui faisant faire un petit bond en arrière. Dans ses yeux on voit son interrogation sur l’étrangeté du son. L’autre endive sur son canapé ça l’arrête aussi de couiner. Il relève la tête, surpris malgré lui.

Je vois enfin son visage de premier de la classe avec yeux humides et rouges. Mais le pire c’est la fine moustache. On le dirait tout droit sorti d’un film muet.

Clark Gable après une cuite.

Il se lève. Il est grand. Mais maigre. Il s’avance vers nous en vacillant.

Je rectifie : Clark Gable après une double cuite.

Mais merde, y va pas venir nous emmerder avec ses histoires de famille !

Je regarde de coté le notaire pour lui faire comprendre que j’ai pas envie de dealer avec Apollon en retraite, mais au contraire, voix-de-crécelle le tartine d’un grand sourire et lui fait signe de s’asseoir sur le deuxième fauteuil.

J’écarte prudemment le mien et je l’ignore. J’ai ma dignité.

Et puis, Clark Gable se met à parler. Mais alors, juste deux mots.

“C’est lui ?”

C’est lui, qui, quoi ? Les voilà qui me regardent tous les deux, l’index de l’acteur sur le retour qui pointe vers moi pendant que le notaire hoche doucement de la tête !

Quoi ? Qu’est-ce qu’y me veulent ? Qu’est-ce que c’est que ces salades ?

Je suis déjà au garde à vous, prêt à partir, lorsque Clarky, qui avait toujours le doigt pointé sur moi, pousse un grand cri et se remet à chialer le visage enfoui dans ses grandes mains.

“Bon, moi je me casse, j’ai vu assez de conneries pour aujourd’hui et j’ai Tony sur le dos ! Salut tout le monde !”

J’arrive à la porte du bureau quand j’entends voix-de-crécelle qui essaie de me rappeler.

“Mais attendez monsieur, nous n’avons même pas lu le testament de madame votre mère !”
“Rien à foutre, donnez tout à Emmaüs. De toute façon, la vieille était fauchée comme les blés.”

J’ouvre la porte qui gémit encore, je sors et je vais pour la claquer derrière moi lorsque j’entends la voix du notaire qui s’adresse au Clark Gable larmoyant.

“Dans ce cas, tout vous reviendra monsieur de Chibrans puisque votre frère renonce à ses droits.”

La porte claque. Je suis figé. Sourcils en ligne d’horizon, coup de typhon. L’air con.

Je vous l’avais dit : que des emmerdes.

(A suivre)

(Photo : stacya)

Commentaires

5 commentaires pour “Les testamentés (2)”
  1. Jean-Pierre says:

    De l’importance d’être ouvert pour ne pas passer à côté de sa chance. Voir de précédents billets et un petit ouvrage en vente sur amazon.fr

    Et du deus ex machina, aussi.

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Jean-Pierre ! Oui tu as tout à fait raison. 😉 Le livre sur Amazon, c’est lequel ?

  3. Arnaud says:

    Suspens bien maintenu, je vais me jeter sur la suite.

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Arnaud ! Bon, alors je t’attends au prochain épisode. 😉

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