Je ne suis pas créative (2)
Par Jean-Philippe le 7 November 2011
dans Changer les règles
Cet article est le deuxième d’une série qui a commencé ici.
2 + 2 = ?
Ça commence mal.
Je vous avais promis des exemples concrets (nous allons en voir trois) où la logique d’Aristote pouvait être mise à mal et voilà que je vous attaque en traître, avec une des opérations les plus simples qui soit.
Non, vous n’avez pas besoin de vous tourner vers le petit dernier qui “étudie” au CP pour confirmer le calcul. Non, il n’y a pas de piège particulier…
Enfin, si quand même, car sinon nous resterions dans la logique d’Aristote et moi, je suis ici pour vous montrer que nous sommes bien tous et toutes des personnes créatives !
Alors, 2 + 2 ?
Les chats, les saucisses et l’eau
Effectivement, d’un point de vue “logique”, la réponse est 4. Mais pas toujours.
Et c’est là qu’il faut prendre en compte ce que je vous disais lors du précédent article où on nous apprend une solution et puis c’est tout. On ne nous encourage pas à penser différemment. A voir les choses sous différents angles. Les anglo-saxons appellent ça : think outside the box.
Par exemple : 2 chats + 2 chats (encore !) = quoi ?
Oui, on peut le dire sans risque, c’est égal à 4 chats.
Maintenant, 2 chats + 2 saucisses = quoi ?
Évidemment, il y a un piège. C’est égal à 2 chats. 😉
Oui, vous allez me dire, c’est un peu facile, car les éléments étaient différents. Bon d’accord. Alors, 2 gouttes d’eaux + 2 gouttes d’eaux = ?
… 😀 (Grand rire vengeur)
= 1 goutte d’eau ! Eh oui, dans ce cas, 2 + 2 = 1.
Ces deux derniers exemples ont été créés par le philosophe et pédagogue russe Georgy Shchedrovitsky qui voulait que les enfants développent leur esprit critique, c’est à dire qu’ils analysent ce qu’on leur expliquait sans juste ânonner, par exemple, les tables de multiplication. L’opposé de ce que recherche le système scolaire.
Un autre exemple ?
Les chaises changeantes (à prononcer très vite)
Je vous demande de me prêter une de vos chaises en bois. Si je vous la montre du doigt et je vous dis : “Qu’est-ce que c’est ?”, vous allez hausser les épaules en me répondant “Une chaise, mon garçon.” (Ne recommencez pas !)
Maintenant, j’enlève un barreau de la chaise. Si je pointe à nouveau vers elle et vous repose la même question, que me répondrez-vous ?
(Je sens que vous essayez de lire entre les lignes en vous disant, “où il est le piège ?… je veux pas me laisser avoir cette fois-ci !…”. Relaxez-vous, de toute façon, je vais vous avoir. C’est normal, vous avez été formé dans les mêmes moules sociaux que moi. 🙂 )
Bien entendu, vous allez encore une fois me dire que c’est une chaise, non ? Si j’enlève un deuxième barreau, vous allez encore répondre la même chose.
Mieux, vous allez me dire que je suis aussi fou que Van Gogh.
En fait, l’idée ici, c’est de savoir à partir de quel moment, une chaise n’est plus une chaise. Par exemple, quand j’ai fini de la démonter et qu’au sol nous avons une pile de bois, est-ce que c’est toujours votre chaise ? A = A ?
(Ou alors, est-ce que vous allez commencer à m’insulter en me disant que j’ai intérêt à remonter cette foutue chaise Ikea dans les plus brefs délais, sinon je vais devoir vous la rembourser ?)
Vous voyez maintenant un peu plus pourquoi la logique d’Aristote ne peut être parfaite. Il n’y a pas de frontière claire et nette. Les réponses peuvent varier.
Et puis, si j’amène ma propre chaise comme si j’allais vous la donner pour vous calmer mais, qu’au lieu de cela, j’y enlève un barreau et le remplace par un barreau de la vôtre (c’est une manie !), à qui appartient cette nouvelle chaise ?
A moi ? Un peu à vous ?
Enfin, si je continue ce démontage-remontage en remplaçant petit à petit, les pièces de ma chaise par la vôtre, à la fin, c’est la chaise à qui que je tiens entre les mains ?
A chacun “sa” logique
Avec tout le respect dû à Aristote, sa logique est souvent contraignante. Le grand philosophe et génie grec n’est pas infaillible, il n’est pas un dieu. Après tout, c’est bien lui qui nous a proposé que l’univers tournait autour de la terre et on l’a quand même cru (officiellement) pendant presque 2000 ans.
Il a fallu des gars comme Copernic, Galilée, Bruno ou même Toscanelli pour que finalement on voie les choses d’un œil différent. Pour le reste, c’est pareil.
Sinon, la chaise à Vincent, elle n’aurait pas pu ressembler à ce qu’elle est, avec des angles et des couleurs qui ont fait sa popularité.
Il ne faut pas oublier que notre pensée, c’est notre plus bel outil.
C’est celui qui nous a permis de survivre dans un monde passé, où nous étions pourtant les plus faibles physiquement, et de finalement dominer toutes les autres espèces.
Je ne dis pas ça pour affirmer la supériorité de l’homme. C’est juste que nous avons développé notre créativité pour trouver des solutions, là où nous avions des faiblesses.
Et évidemment, cette capacité existe encore intacte chez nous tous.
Évitons alors la solution de facilité. Notre confort de vie actuel, notre “formatage” scolaire font que maintenant, trop souvent, nous avons une sorte de pensée unique et qu’ainsi, nous ne cherchons pas plus loin que le bout de notre nez. Instinctivement, nous prenons la solution “facile” ou normale.
Quand vous avez un problème, quand vous êtes bloqué sur un projet, quand vous ne savez pas quoi faire dans une situation précise, rappelez-vous que vous êtes paralysé parce que vous pensez qu’il n’y a qu’une seule réponse.
La réponse logique.
Mais maintenant vous le savez. Il y a toujours plusieurs réponses. Plusieurs chemins. Plusieurs possibilités. Nous sommes extrêmement créatifs – je vais vous le montrer dans la suite de cette série – et nous pouvons toujours voir les choses sous un angle différent. 🙂
Alors, 2 + 2 = ?… *
(A suivre)
*On retrouve souvent dans la littérature ce problème du 2 + 2. Molière, Victor Hugo, Dostoïevsky, Orwell et d’autres en ont parlé. Néanmoins, celui qui a fait le plus fort, dans un autre domaine, c’est Nicolas Sarkozy en 2002, alors qu’il était le tout nouveau ministre de l’Intérieur. Parlant des peines exponentielles pour les récidivistes, il a expliqué que, 2 + 2 = 8… comme quoi, la créativité, ça paie. Il est quand même devenu président.
Salut Jean-Philippe
2 chats + 2 chats = ?
Voyons voir
2 chats + 2 chats = une famille de chats
2 chats + 2 chats = deux couples de chats
2 chats + 2 chats = deux couples de chats + une future flopée de chats
2 chats + 2 chats = à 95 %, 3 chats morfals et un qui en a marre d’entendre les autres gueuler
2 chats + 2 chats = deux pantoufles de trop ! :o)
Hum, soyons plus sérieux :
2 chats + 2 chats = bien des dégâts dans les rideaux et bibelots, une odeur tenace dans toute la maison, et une montagne de croquettes à fournir tous les jours, sous peine d’être, durement, rappelé à l’ordre.
Donc
2 chats + 2 chats = un nombre indéfini de problèmes ! Mais, plus de souris… éventuellement.
Par contre :
2 + 2 = …
Effectivement, d’un point de vue “logique”, la réponse est 4.
Eh bien non, ce n’est pas “logique”, c’est du présupposé. 😉
Car, en base 3, on a 2+2 = 11 (1 * 3 + 1)
La “logique” de ta réponse suppose que tu considères ce calcul en base 10 (ou au moins dans une base supérieure à 4.) Ce qui va de soi, si on le dit (“si et seulement si” on le dit 😉 )
Car toute mathématique suppose un ensemble de prédicats (de règles) pour fonctionner.
Le fameux si x est élément de N, R…, ou de l’ensemble de définition ]0 ; infini], fichu ensemble de définition qui coûte des points au bac si on oublie de le préciser.
Mais il existe des ensembles, voire des espaces mathématiques, où les règles ne sont pas les mêmes. La racine carrée de -1 existe dans l’ensemble C des Complexes.
Et ce n’est qu’une petite partie des ensembles. Comme on peut avoir des géométries non euclidiennes.
Pour ceux qui le souhaitent, la Wikipedia donne cette définition de la géométrie Euclidienne.
“Durant plusieurs siècles, la géométrie euclidienne a été utilisée sans que l’on mette en doute sa validité. Elle a même été longtemps considérée comme l’archétype du raisonnement logico-déductif. Elle présentait en effet l’avantage de définir les propriétés intuitives des objets géométriques dans une construction mathématique rigoureuse.”
Dans ces géométries
A //A peut alors avoir de très étranges répercussions.
Et c’est sous le signe égal ou parallèle qu’il se passe des choses étranges.
C’est tout à fait ce que tu décris quand tu dis
2 chats + 2 chats = ?
Ou une chaise = un tas de bois = un bon feu… ou un bon maillet pour t’assommer si tu continues à dévaster mon salon ! :o)
Tu changes l’ensemble de définition.
Pour le cas de la chaise, si tu enlèves un barreau, je te répondrai : une chaise fragile. Si tu en enlèves deux, je te dirai : une chaise très fragile. Trois, je te répondrai : une chaise cassée !
Et à quatre ?
– Cours vite ! Cette chaise ne m’appartenait pas. :o))
Bien amicalement
L’Amibe_R Nard
Là, l’Amibe, je te laisse la craie et je vais m’asseoir dans la classe. 😀
C’est une formidable démonstration que tu nous fais ici ! Je te soupçonne d’adorer les maths ou quelque chose comme ça… Mon but n’était que de montrer à tout le monde que notre façon de penser est très liée avec ce formatage scolaire de logique aristotélicienne, ce qui étouffe notre créativité. Mais là, avec toi, on a droit à un vrai cours. Merci !
Tu parles d’Euclide. Désolé mais mes connaissances sont très limitées à son sujet. Où se place-t-il par rapport à la logique d’Aristote ? (Si tu as un moment… 🙂 )
Bonjour,
Sur les chaises et les tas de bois :
Vous confondez l’objet chaise-ou-tas-de-bois et le mot qui sert à le designer “chaise” ou “tas de bois” qui va dépendre de la chaise-ou-tas-de-bois et de celui qui lui met une étiquette.
la chaise-ou-tas-de-bois est ou n’est pas, c’est le tiers exclu, il n’y a pas d’autres possibilités.
Le fait de l’appeler “chaise” ou “tas-de-bois” est une convention qui sert à me faire comprendre.
(vous devriez regarder du coté de la sémantique générale http://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9mantique_g%C3%A9n%C3%A9rale )
Et non, on ne peux pas dire “a chacun sa logique”. La logique est un absolu, il peut y avoir différente forme de logique en fonction
des prémisses ou des règles qu’on souhaite appliqué, mais c’est toujours la même logique.
Sur le fait que 2 + 2 ne ferais pas 4 :
Prémisses :
0 est un entier
si n est un entier le suivant de n est un entier
il n’existe pas d’autres entiers
1 est le suivant de 0, 2 le suivant de 1, 3 le suivant de 2 et 4 le suivant de 3
On défini l’opération +, comme :
* n + 1 est le suivant de n
* n + (suivant de m) est égale à n + 1 + m
Dans ces conditions :
2 + 2 = 2 + 1 + 1 = 3 + 1 = 4
Voilà ce que signifie 2+2=4, c’est toujours sous l’ensemble des prémisses que j’ai indiqué (qui s’applle l’arithmétique de Péano), vous pouvez changer les prémisses, mais dans ce cas, on ne parle plus de la même chose.
Donc je vous l’affirme 2 + 2 = 4 ( dans l’arithmétique de Péano )
Vos exemples sur les chat et les saucisses ne peuvent pas être dans l’arithmétique de Péano (qui ne parle ni de chat ni de saucisses) : vous devez d’abord définir l’opération + (bonne chance).
Sur le formatage à l’école :
Je suis d’accord, les élèves n’essayent pas de rechercher pourquoi 2 + 2 = 4. L’avez vous chercher vous-même ?
Merci beaucoup Eric et vraiment désolé d’avoir manqué votre commentaire lorsque vous l’avez publié.
Ceci dit, vous restez dans “votre” logique que vous définissez à votre façon. C’est exactement comme Aristote et son mouvement des planètes.
Appelons un chat, un chat. 😉
Super les commentaires ! 😉
@ Eric, personnellement je n’ai pas essayé de rechercher pourquoi 2 + 2 = 4 car la prof de maths, excellente, que j’ai eue en 6e, nous avait dit que 4 était un signe conventionnel hérité des arabes qui représentait la somme de quatre unités, tout comme 1 représente l’unité.
Autrement dit, le nom, et son corollaire le symbole, n’est pas la chose… 😉
@Eric Merci beaucoup pour ces longues démonstrations qui vont en satisfaire beaucoup et combler mes propres lacunes. (Merci pour le lien !)
C’est vrai que je n’ai jamais cherché moi-même à remettre en question le 2 + 2 quand j’étais à l’école. Une vérité m’était assenée par une autorité et je n’avais aucun esprit critique à l’époque. Aristote était bien là. 😀
@AMie Encore une excellente démonstration ! Ah, les conventions… 😉
oui, et on peut aussi chercher à définir ce qu’est un entier sans être dans une définition circulaire.
c’est ce qu’on apprend en cours de logique. en fait on part de zéro. À zéro est associé l’ensemble vide. Pour avoir 1, on construit un ensemble qui a pour seul élément l’ensemable vide. Pour 2, c’est un ensemble contenart l’ensemble vide et l’ensemble précédent. etc. On obtient ainsi les entiers de Peano.
Enfin’ ce qu,on a dit de convention sur 4 on peut le dire sur l’opérateur +. En fait, on l’a déjà un peu abordé dans un précédent commentaire (il faut définir l’addition) mais après tout, + n’est pas forcémert une addition. En logique, ça peut vouloir dire «ou» (mais ça se rapproche de l’addition courante, sauf que les valeurs sont dans { vrai, faux } (sauf les logiques ayant d’autres valeurs de base comme «peut-être»).
En conclusion’ 2 + 2 est un problème mal posé :o)
Merci Jean-Pierre ! Face aux experts, j’apprends de plus en plus. D’ailleurs je ne connaissais pas du tout ce mathématicien italien Giuseppe Peano qui était vraiment brillant puisqu’il a même créé le Latino sine flexione, une langue auxiliaire. 😉
Belle article, et l’exemple sur la goutte d’eau pas mal ^^
Merci Julien S. ! J’apprécie beaucoup le fait qu’avec toi, les compliments ne sont pas donnés au compte-goutte. (Oui, je sais, facile…) 8)
Bonjour,
Je découvre ce blog par ces deux excellents articles, et je voudrais vous féliciter et vous remercier : c’est tellement juste, c’est tellement ça. Je crois que je vais passer un certain temps à découvrir vos autres billets.
Bien que féru de logique, je regrette que la créativité débridée soit trop souvent considérée comme une anomalie lorsqu’elle provient d’un adulte, alors que c’est une chose précieuse et rare. Combien de fois avons-nous entendu de telle personne qu’elle est “adorable, mais un peu barrée”, tandis qu’aucune déviance n’est à noter dans son comportement mais qu’elle est capable, comme un enfant pourrait l’être, de s’imaginer en un instant un véritable monde ? Si votre réponse n’est “pas si souvent”, dites moi où vous vivez et où vous travaillez, j’arrive.
Et pour amener d’autres pièces à cet article, connaissez vous cette excellente présentation de Ken Robinson, au Ted Talks, et qui nous dit en quoi l’école tue la créativité ? Elle est ici, en VO sous-titrée en français : http://bit.ly/umiJ8M
A vous lire sous peu, et merci encore !
Merci beaucoup pour les compliments Le gazier ! Pour la vidéo de Sir Robinson oui, je la connais bien et je la regarde au moins une fois par an depuis 2006. Je ne dis pas ça pour me vanter mais, nous autres, tous pétris de bonnes intentions que nous sommes, avons tendance à oublier très vite. 😉
D’où pour moi la nécessité d’une piqure de rappel… d’ailleurs vous le remarquerez lorsque vous lirez la septième et dernière partie de cette série. 🙂
La chaise DE Vincent!
(Bon ok ok c’est sans doute dû au ton parlé, mais ça m’a hérissé le poil :p)
J’ai beaucoup aimé cet article, je m’en vais lire la suite.
A bientôt, garçon.
Salut bonhomme ! 😀
Merci beaucoup josh pour le commentaire ! Eh oui, c’est du langage parlé comme dans tout l’article pour prendre le contre-pied des discours pompeux des “scientificards”. 😉
Excellent article suivi de non moins excellents commentaires. J’en veux encore de votre connaissance et votre humour!!