Le grand saut (suite et fin)

Par le 4 July 2011
dans Des histoires

Il l'a fait ?

(Ceci est la suite et fin d’une histoire qui a commencé ici)

“Vous me faites le décompte ?”

A nouveau, les trois autres hochent très vite la tête.

Alors, ils s’avancent tous ensemble vers le centre de la plate-forme, Tetsuya fermant la marche, le dos un peu courbé, pour paraitre moins haut. Ils font plusieurs fois l’aller-retour vers le bord comme pour se familiariser avec la hauteur, comme pour bien vérifier que c’est aussi haut qu’ils le pensent.

Non, cela n’a pas diminué. Shunya se demande même si ce n’est pas encore plus haut.

Tout là-bas, tout en bas, le moniteur fait de grands signes pour les encourager à sauter.

Il faut vraiment y aller.


Akinori lâche le bout de la rambarde et ce met en position de départ comme s’il allait partir en sprintant. Les autres le regardent éberlués.

“Tu… tu vas courir ?” lui demande Shunya.
Akinori, fait oui de la tête. “Comme ça, je n’aurai pas le temps d’hésiter au bord du plongeoir. Allez-y faites le décompte.”

Ses trois copains se regroupent à ses côtés et commencent à compter de 1 à 5. Pourquoi 5 et pas 3 ou 4 ? Ça aussi c’est un secret. Ils sont quatre copains, à la vie, à la mort mais il faut toujours garder une place pour accueillir quelqu’un. Qui sait, un nouvel ami. Le cinquième. Donc les décomptes ce font toujours jusqu’à 5.

“Un !…” crient ensemble les trois copains d’Akinori. Ce dernier fronce un peu les sourcils. Maintenant, il va y aller. Il ne faut plus penser qu’à ça, ne pas se laisser déconcentrer par autre chose. C’est son grand-père d’Hokkaido qui lui a appris ça.

“Deux !…” Kodaï, Shunya et Tetsuya donnent tout ce qu’ils ont dans les poumons pour l’encourager, pour le soutenir. C’est un peu leur honneur de groupe qui est en jeu. Et puis, juste après lui, ils devront aussi y aller.

“Trois !…” Tout en bas, le moniteur, qui les distingue à peine derrière le grand plongeoir en dur se demande pourquoi ils comptent. Il sait pourtant bien que c’est Akinori qui sera le premier à sauter. Et c’est bien pour ça qu’il les a envoyé en éclaireurs, pour montrer aux autres que c’était possible.

“Quatre !…” Les trois amis d’Akinori sont serrés l’un contre l’autre, penchés en avant vers leur copain, comme s’ils voulaient lui transmettre leur propre énergie, leur propre courage avant le grand saut.

“Cinq !…” Akinori serre les lèvres. Il y a une demie-seconde de flottement dans l’air alors que le “cinq” résonne et rebondit de mur en mur tout autour du bassin.

Son grand-père, son Ojii-chan, le lui avait bien dit. “Dans ta vie, tu feras face à des situations nouvelles qui te demanderont de faire quelque chose de spécial, quelque chose qui te parait impossible et ainsi, d’avancer vers l’inconnu. Tu verras Aki-kun, ce n’est pas si difficile car tu as tout ce qu’il faut en toi pour réussir. La preuve ? Après, tu trouveras qu’en fait, c’était facile à faire.”

Et c’est vrai.

A chaque fois, qu’il a tenté quelque chose de nouveau, quand il a changé d’environnement, il a toujours eu un peu peur au fond de lui-même mais, après, très rapidement, cette angoisse a disparu et, ce qui paraissait impossible ou effrayant, devenait presque banal.

Même après la mort de son père.

Il ne pensait pas qu’il pourrait vivre sans son papa. Mais Ojii-chan avait raison. Il est bien là aujourd’hui, vivant et un peu effrayé devant son défi.

Alors à chaque fois que le challenge est un peu dur, il se dit qu’il va le faire pour son papa, que ce dernier aurait été fier de lui. Fier de son fils.

Akinori s’élance.

Ses trois amis hurlent de toutes leurs forces pour l’encourager, le regard plein d’admiration teinté d’inquiétude pour leur copain.

Au moment où Akinori jaillit du bord de la plate-forme, le moniteur, en-bas, ne peut s’empêcher d’avoir une pointe d’émerveillement pour le garçon. “Mince quand même,” se dit-il, “il n’a pas froid aux yeux le petit. Je pourrais en prendre de la graine.”

Il semble même que pendant un moment le temps s’arrête. Akinori parait suspendu dans les airs, maitre de l’instant, maitre de son destin, maitre de sa vie. Les bras bien écartés, on dirait qu’il va s’envoler dans les airs, plutôt que de redescendre.

Toute peur oubliée, ses trois amis se sont précipités vers le bord de la plate-forme pour voir leur copain dans son envolée devant la grande baie vitrée, illuminé par un rayon de soleil.

Et pendant un instant, ils sont bouche bée.

La forme mystérieuse est là, tout contre Akinori, semblant le soutenir dans son effort pour aller plus loin. C’est comme si elle se fondait en lui, ne faisant plus qu’un avec celui qui a osé et dont le père serait fier.

Puis, d’un coup tout s’accélère et une grande gerbe d’eau accueille Akinori qui se laisse aller dans les profondeurs bleutées du bassin. Oui, c’était vraiment haut.

Le fond, où ils étaient tout à l’heure n’est pas loin mais Akinori n’y voit plus la forme mystérieuse.

Où est-elle passée ?

Il chasse vite cette question de son esprit, trop content d’avoir sauté. Il remonte lentement, fluide, bougeant à peine son corps, presque calme, maintenant.

Au moment, où il va déboucher à la surface, un premier geyser apparait non loin de lui dans l’eau, puis un deuxième et, après un plus long instant, un troisième.

Akinori sort la tête de l’eau et sourit.

Non pas parce que la classe le salue par de grands cris de joie et que son moniteur l’applaudit doucement non, mais bien parce qu’il sait qu’il a les meilleurs copains du monde.

Alors que les petites taches blanches des bonnets de Kodaï, Shunya et Tetsuya apparaissent autour de lui, les quatre copains éclatent de ce rire frais, pur, que seule l’innocence de l’enfance permet et que les adultes se forcent trop vite à oublier.

Ils sont heureux d’être ensemble, d’avoir franchi unis ce challenge et de savoir que de nouvelles aventures, inconnues pour l’instant, les attendent sans doute, demain.

(Photo : HAMACHI!)

Commentaires

4 commentaires pour “Le grand saut (suite et fin)”
  1. AMie says:

    Difficile à commenter sous la forme habituelle…
    Touchée, mais pas coulée. 😉
    Identification à Akinori avant et pendant son plongeon.
    Confiance de l’enfance en ses propres ressources.
    Réaffirmation du soutien de ses (vrais) amis.
    Est-ce bien le même Akinori qui revient à la surface ? 😉

  2. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup AMie ! Toujours aussi talentueuse pour les images riches à ce que je vois. La question est excellente et, moi-même j’ai envie d’en savoir plus sur Akinori et ses amis… Peut-être une autre histoire, plus tard. 😉

  3. nana fafo says:

    je suis bien contente… ils ont sauté, ils sont forts ensemble, j’avais pas encore eu le temps de te le dire. Les mots sages du grand-père m’ont touchée, le comptage aussi, il laisse toujours une place un peu comme couvert en plus que mettait ma grand-mère.
    Je me ballade dans tes archives ces derniers temps… copier coller au boulot, impression et le soir je lis dans mon lit. là je vais attaquer la série des 9 étoiles du désert, mais avant un nouvel article m’attend plus haut.
    A bientôt

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup nana fofo ! J’avais manqué ton commentaire lorsque j’avais écrit cette histoire et je m’en excuse. Alors avec un long retard je viens te remercier pour l’image de ta grand-mère et les mots sages de ton grand-père. 🙂

    On a tous et toutes, autour de nous, des personnes qui nous ont influencé de manière positive. Famille ou inconnus, ils ont eu un impact sur nous. Quand je rencontre des enfants, c’est ce que je me dis. “Attention, tu ne sais pas quel poids tu peux avoir sur leur avenir. Un mot peut changer beaucoup de choses dans une jeune vie.” 🙂

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