Le grand saut

Par le 27 June 2011
dans Des histoires

Une forme lumineuse et magique

Shunya est sous l’eau.

C’est tout bleu. C’est silencieux. C’est beau.

Il resterait bien comme ça, au fond de la piscine pendant longtemps, très longtemps.

Soudain, sur sa gauche, dans un geyser de bulles, un petit garçon coiffé d’un bonnet blanc, tout comme le sien, apparait. Comme tombé du ciel. C’est Akinori, l’un des meilleurs copains de Shunya. Il vient se poser au fond de la piscine, à côté de lui. Les yeux grands ouverts, ils se regardent. Puis Akinori fait un geste ouvert de la main, pour lui demander ce qui se passe.

Au même instant, un autre geyser secoue le calme de l’eau. Un troisième garçon fait son apparition. C’est Kodaï, qui se demande bien ce que font ses copains au fond de l’eau. Il vient se poser à la droite de Shunya et leur fait aussi des signes, rapides, pointant le doigt vers le haut, comme s’il fallait remonter d’urgence. Face aux sourires de Shunya et d’Akinori, Kodaï penche la tête sur le côté, se demandant pourquoi ils rient comme ça. Une bulle d’air s’échappe de sa bouche.

Finalement, un quatrième geyser apparait par le haut, un peu plus large. Avant de le voir toucher le fond, les trois autres ont compris que c’est le quatrième copain de la bande qui s’est finalement décidé à venir voir ce que les autres faisaient sous l’eau. Tetsuya, plutôt bien en chair, touche lui aussi le sol et regarde ses amis d’un air surpris. Il ne comprend pas. Qu’est-ce qu’ils attendent comme ça sous…

Et soudain, il comprend. De l’autre côté de cette piscine réservée aux plongeons, il y a une forme qui bouge. On dirait un fantôme. Les yeux de Tetsuya s’arrondissent et il va pour donner un grand coup de talon afin de remonter au plus vite lorsque Akinori lui attrape le bras et lui fait des signes dans tous les sens pour lui expliquer quelque chose.

Tetsuya comprend. C’est le soleil. Il tape déjà très fort en ce dimanche matin d’été et ses rayons, pénétrant par la baie vitrée se mêlent à l’eau et rebondissent sur les parois de la piscine pour créer cette étrange figure en 3D. Du moins, c’est ce qu’il croit comprendre.

Alors, Tetsuya lui aussi se pose au fond et les quatre amis regardent cette ombre de lumière dansante, mi-fantôme mi-sirène qui, devant leurs yeux plein d’innocence s’anime et les emmène vers des rivages inconnus où seuls des petits garçons à l’imagination fertile peuvent accéder.

Finalement, ayant épuisé tout l’air que pouvaient contenir leurs poumons, les quatre copains remontent un à un, presque à regret.

Le silence, la paix et la douceur de l’illumination sont brutalement brisés lorsqu’ils émergent à la surface du bassin. Les bruits d’eau et des plongeons qui résonnent, les cris de leurs camarades de classe qui s’élancent du plongeoir de 3 mètres, les ramènent d’un coup à la réalité. Mais ils gardent au fond d’eux un nouveau secret, quelque chose qu’ils partageront juste entre amis et qui renforcera encore les liens de leur amitié.

Leur moniteur leur fait un grand signe en direction des plongeoirs. Ah oui, il faut encore aller se lancer de là-haut. Ce stage de plongeons est devenu trop facile et presque ennuyeux. Au début oui, c’était un peu inquiétant parce que ça semblait vraiment haut, mais maintenant, après avoir sauté des dizaines de fois de cette plate-forme, c’est banal. Bon, il y a bien l’ombre du grand plongeoir en dur des 5 mètres qui les toise, impressionnante, mais ça c’est pour les grands.

Tranquillement, les quatre copains nagent vers le bord du bassin sans faire d’effort, tout en douceur, fluides. Ils sortent de l’eau en discutant de leur nouveau secret et grimpent l’escalier en métal qui conduit aux différents plongeoirs. Ils se dirigent ensuite vers le bord de la plate-forme des 3 mètres et, en arrivant au bord pour sauter, ils se rendent comptent que leur moniteur leur fait de grands gestes vers le haut.

Akinori demande au moniteur qu’est-ce qu’il veut mais dans le brouhaha aquatique, il n’entend pas la réponse. Par contre, il voit très bien le bras de son prof pointer au-dessus de sa tête. Et au-dessus, il n’y a qu’une seule chose : l’inaccessible plongeoir des 5 mètres.

Pour être bien certain, Akinori montre du doigt son groupe puis ledit plongeoir et quand le moniteur hoche la tête, les quatre garçons sentent leur cœur qui commence à battre un peu plus fort.

“Wahou ! On va aux 5 mètres,” lance Akinori en faisant demi-tour et en entrainant derrière lui ses trois copains.
“C’est vrai ? On va enfin voir ce que ça fait depuis là-haut,” dit Kodaï, en riant.
“Ça doit être super haut, on doit avoir une sacré vue,” ajoute Shunya.

Seul Tetsuya traine un peu des pieds. “Qui c’est qui va sauter en premier, parce que moi je le sens pas trop ce truc.”

Les autres rigolent et le poussent en avant pour repartir vers l’escalier. Ils se bousculent joyeusement pour monter et arriver en premier au plongeoir des 5 mètres. Ce dernier possède une longue et large plate-forme en dur. De chaque côté, il y a une rambarde qui s’arrête à deux mètres du bout. Ensuite, sans sécurité, il faut s’avancer jusqu’au bord.

Lorsqu’ils déboulent en riant sur le plongeoir, il y a un instant de flottement. Puis un grand silence.

C’est haut.

C’est même très haut. Le moniteur leur apparait si petit maintenant. Leurs camarades de classe, massés autour de lui, semblent minuscules tout là-bas, en bas. On voit surtout leurs bonnets blancs.

Akinori et Kodaï, le rire un peu plus nerveux, s’avancent lentement en serrant très fort la rambarde. Shunya attend en arrière et Tetsuya lui, s’est prudemment assis sur la dernière marche des escaliers, regardant ses deux amis progresser vers le bord.

Ces-derniers continuent leur marche, mi-rieurs mi-effrayés par la hauteur, s’interpelant et s’encourageant de la voix.

Qu’est-ce qui les pousse à avancer ainsi ? Sans doute est-ce la même force qui poussa les tous premiers hommes devant une grotte inexplorée, Alexandre le Grand aux portes de Babylone, Marco Polo à l’entrée d’une Chine mythique, Christophe Colomb devant l’île de San Salvador, Edmund Hillary au pied de l’Everest ou Antoine de St-Exupéry au-dessus du Sahara.

Ou plus simplement, c’est cette même force qui fait que chaque jour des millions d’êtres humains se lancent dans des aventures, grandes ou petites, un peu difficile pour eux, avec un mélange d’appréhension et de curiosité.

C’est ce désir d’accomplir qui est fort. C’est ce désir de nous sentir vivant qui nous guide.

Akinori arrive au bout de la rambarde. Doucement, il la lâche et continue à marcher bien au centre du plongeoir qui lui parait maintenant immense, comme suspendu dans les airs. Il ne peut même pas voir la piscine dessous. Finalement, il fait un pas, puis un autre, encore un autre et, se plaçant de côté, bien calé sur ses pieds, il ose se pencher lentement et passer un œil par-dessus le bord de la plate-forme.

Il le retire très vite.

La tache bleue du bassin apparait toute petite et si loin, tout en bas ! Il revient rapidement sur ses pas et se cogne à Kodaï qui le suivait, bras écartés comme s’il était en équilibre sur une poutre. Les deux amis sursautent et courent vers l’arrière de la plate-forme en riant où les attendent Shunya et Tetsuya.

“Alors, c’est haut ?” demande ce-dernier.

Les deux autres font des petits bonds sur place, tout excités.

“Ah oui, c’est super haut !” crie Akinori. “Il faut que vous voyez ça, venez.”
“Nous ?” demande Shunya, que l’excitation des autres gagne. Il s’avance alors derrière ses amis qui sont déjà repartis sans même se tenir à la rambarde. Quand il arrive au bord, Akinori et Kodaï s’écartent en effectuant de petits pas prudents.

Lorsqu’il découvre la vue, les sourcils de Shunya se dressent tout seuls. “Zut, c’est vraiment haut,” murmure-t-il. Il reste figé sur place, incapable de décider s’il doit rester là ou reculer. Soudain, il entend une autre voix au niveau de ses mollets. C’est Tetsuya, qui lui non plus, n’a pu résister à la curiosité et s’avance à quatre pattes vers le bord.

“Je peux voir ?”

Ce dernier passe juste la tête au-delà du plongeoir et la retire très vite. C’est immensément haut.

Les quatre copains battent en retraite et se retrouvent au niveau de l’escalier pour tenir un conseil de guerre.

“qui y va le premier ?” demande Kodaï.

Shunya et Tetsuya regardent leurs pieds. Seul Akinori semble hésiter. “Bon d’accord, j’y vais. Mais vous me suivez, hein ?”

Les trois autres hochent la tête comme un seul homme.

Des cris se font entendre tout en bas. Le reste de la classe s’impatiente.

Il faut y aller.

(Suite et fin)

(Photo : HAMACHI!)

Commentaires

7 commentaires pour “Le grand saut”
  1. Jeanne says:

    Akinori est un grand guerrier, il va plonger. Un magnifique plongeon. Ses copains vont suivre, mais ce sera dur. Mais ils y arriveront tous les trois, sous les vivas des autres élèves qui restent en bas. Voilà mon avis!

  2. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Jeanne pour ton commentaire ! et en plus tu donnes ton avis donc c’est certain, maintenant il y aura une deuxième partie. 😉

  3. nana fafo says:

    J’aimerais que les 4 compères fassent le grand saut, qu’ils se motivent et s’entraident dans ce challenge, ensemble c’est tellement mieux, ensuite ce serait bien qu’ils partagent leurs émotions, ressentis…
    Quel talent pour nous tenir en haleine, tes histoires sont passionnantes. Mon prochain cadeau lorsque j’aurais chercher et trouver ce nouveau job sera un de tes livres (et oui il faut rentrer des sous avant d’en dépenser), lundi j’ai été fouillé dans tes archives et suis tombée sur l’article de cette école aux mauvaises notes, tout simplement “excellent”

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup pour tes compliments Nana ! …et tu as découvert Une étrange école alors ? Ça me fait plaisir que tu passes un bon moment en lisant mes histoires ; c’est tout ce que je souhaite à mes lecteurs et c’est pour ça que je les écris. 🙂

    (La seule histoire que je vends pour l’instant c’est Como el viento. Il faudra que j’étoffe ça !)

  5. Amibe_R Nard says:

    Oui, Akinori va sauter.

    C’est un frimeur casse-cou, il a besoin de spectateurs pour se lancer, et si les autres le suivent ou l’observent tout va bien. Il agit suivant ce qu’il a dit et surtout il va/veut être le premier.

    Kodaï va sauter si Akinori saute. C’est un suiveur, il ne se dédiera pas. Si son copain saute, il saute. Il copie-colle Akinori.

    Shunya est plus prudent, plus observateur (s’il raconte l’histoire, ce n’est pas pour rien 😉 ). Cependant, si ses amis sautent, il y a de fortes chances qu’il saute lui aussi. Surtout après avoir évalué les risques et vu Akinori et Kodaï vaincre l’obstacle.

    Tetsuya est gros dans sa tête, plein de doutes et de peur. Seul, il ne sauterait pas. Avec l’exemple de ses amis, peut-être, mais s’il est le dernier il devra combattre toute sa peur et il a peu de chances d’y arriver.
    La démesure gains vs risques lui paraît évidente, et il sait que briller ne lui apportera rien. Pourtant, c’est lui qui a tout à gagner dans cette aventure. Il peut vaincre sa peur et se laisser aller au premier pas.
    Avec l’aide de Shunya, il sautera. 🙂

    Dans tous les cas, les quatre enfants vont au devant d’un risque terrible : la piscine va perdre son dernier charme, son dernier obstacle majeur, sa pointe ultime.
    Ils l’auront explorée de fond en comble.

    Et il leur faudra trouver un autre défi. 😉

    Bien Amicalement
    L’Amibe_R Nard

  6. Jean-Philippe says:

    Ah L’Amibe ! Tu me surprendras toujours, quel talent ! Avec le peu que j’ai raconté tu arrives déjà à cerner les petits garçons de l’histoire. Et tu vas même plus loin en m’aidant à avoir une image plus claire d’eux-mêmes !

    Pour tout ça, merci beaucoup. 🙂

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