Les 9 étoiles du désert (27)

Par le 24 February 2011
dans Des histoires

L'arbre des possibles ?

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Julien ouvre doucement les yeux.

Le ciel, qui remplit tout son champ de vision est d’un bleu foncé frais, rassurant.

Où est-il ?

Il lui faut quelques secondes pour se rappeler de tout.

Il cligne des yeux à mesure qu’il se remémore ce qui s’est produit hier soir. Il n’ose pas bouger. Il sent qu’il est encore à la frontière. La frontière entre réalité et illumination. Il lui suffirait de pas grand chose. Juste un petit effort, pour basculer dans l’autre monde.

Il comprend encore plus tous les grands prophètes des temps passés. Et ceux qu’on a traité de fous, qu’on a emprisonné ou qu’on a sacrifié sur l’autel de la raison. Il partage encore leurs sensations, leurs vibrations. Mais avec le soleil qui va se lever, il sait qu’il doit rapidement faire un choix.

Il sent un vague mouvement, non loin. Il tourne un peu la tête vers la gauche, vers le haut de la dune et il aperçoit son dromadaire, l’air tranquille, qui est en train de se redresser. La nature reprend ses droits. Le soleil va apparaitre et avec lui, la chaleur reprendra sa domination implacable.

Julien n’a pas envie de bouger. A ce moment-là, il est bien, allongé. Il a du sable un peu partout mais, cet instant, il veut le garder encore un peu. Il sait que plus jamais, il n’en aura de pareil. Plus jamais, il ne sera sur cette frontière qui doucement est en train de s’évanouir.

Finalement, il réfléchit et il comprend que sa décision, il l’a déjà prise. Il va retourner vers le monde des hommes, vers la réalité, sa réalité. Il se dit que tous ses hommes qui ont franchi cette limite étaient bien courageux de choisir l’illumination.

Courageux ou fous ?

Il comprend aussi que cette frontière, tous et toutes nous l’effleurons à un moment ou à un autre de notre vie. Beaucoup ne doivent sans doute pas s’en rendre compte, perdus qu’ils sont dans les effluves de l’alcool ou noyés dans une drogue. Mais oui, pense-t-il, nous la touchons tous cette frontière, cette barrière au-delà de laquelle le réel disparait pour laisser la place au magique, là où  soudain on se sent invincible, nanti de tous les pouvoirs de l’univers.

Comme un être suprême.

Alors Julien, il reste encore un peu là, dans le sable, pour goûter une dernière fois à cette ivresse, comme un demi dieu déchu qui sait qu’il va retomber dans le monde des humains.

Le dromadaire s’ébroue.

Julien lève un peu la tête, cherchant encore cette étoile qui l’a tant impressionné hier soir. A l’horizon, il n’y a plus rien, juste le ciel bleuté, souligné par une ligne de dunes dorées. Ça lui fait un petit coup au cœur. C’est comme s’il avait perdu “sa” preuve. D’un coup, il sent la réalité qui revient avec insolence, qui s’empare de son corps, qui s’incruste dans chaque cellule de sa peau, qui se loge dans son cœur.

C’est un peu douloureux.

Cela ne fait pas mal comme une douleur vive mais plus comme quelque chose qui se brise tout au fond de soi-même. Mais cela ne fait aucun bruit.

C’est fini, c’est tout. Et puis, on ressent un grand vide. On sent que sa vie aurait pu être différente. Ceci dit, est-ce que l’on aurait eu le courage de la vivre cette existence toute en bravoure, est-ce qu’on aurait eu la force de l’honorer à fond ?

Julien remarque que sa bouche est pâteuse. Il a faim. Son corps lui dit qu’il faut bouger, qu’il en a assez d’être ainsi, tassé dans le sable.

Alors, presque à contrecœur, le jeune homme se redresse doucement. Il note qu’à mesure que son corps retrouve sa position naturelle, il sent ses angoisses remonter.

Il retrouve cette peur d’être seul, abandonné à son sort. Il sent la panique s’immiscer à nouveau dans son sang.

Comment vais-je m’en sortir ? Je suis loin de tout. Je n’ai aucune chance.

Il se met debout, titubant légèrement et, lentement, remonte la pente en secouant ses vêtements gorgés de sable. Son dromadaire s’assit doucement, comme pour l’inviter à monter.

Julien s’arrête, perplexe. C’est bizarre ce qu’il ressent. C’est comme s’il savait qu’il pouvait faire confiance à sa monture. Son instinct lui dit d’y aller.

Il hésite.

Et s’il se trompe ? Et si cette bête n’a aucune idée d’où aller ? Et si nous allons errer jusqu’à la fin. La panique le saisit un peu plus.

Le dromadaire toujours assis, tourne son long cou vers lui, calmement.

Julien essaie de réfléchir, d’analyser la situation, comme il ferait normalement. Mais là non, quelque chose ne veut pas s’enclencher, quelque chose en lui refuse de tirer des conclusions, de prendre des décisions.

Et puis soudain il comprend. Il n’a pas de choix. Il n’a jamais eu de choix. C’est la croyance en sa monture ou rien. Et cette dernière a besoin de sentir cette confiance. C’est pour ça que le dromadaire est assis. C’est pour ça qu’il attend.

Pour accomplir ce qu’il est né pour faire, se dit le jeune homme, il a besoin que je lui fasse confiance totalement. Je dois monter sur son dos et le laisser me guider. Il sait. Je ne sais rien. Ici.

Julien monte et s’accroche pendant que son dromadaire se redresse sur ses quatre pattes. Sans hésiter, celui se lance vers le soleil levant, à petits pas presque légers comme s’il voulait dire qu’on avait assez gaspillé de temps comme ça et qu’il fallait rattraper les heures perdues.

Le jeune homme, agrippé à la selle, va pour attraper l’outre d’eau, avant de se rappeler qu’il l’a vidée hier. Dans le petit sac, il y a quelques dattes, des taguellas et du fromage de chèvre. Il mange un peu, mâchant lentement, comme le lui a appris Madani.

Tiens, qu’est-ce qu’il est devenu, lui ? J’aurai deux mots à lui dire quand je le reverrai. Julien sourit un peu. Il se surprend par son optimisme. Je suis donc persuadé que je vais le revoir ?

De son point de vue en hauteur, il observe la tête de sa monture et son cou, qui paraissent si fins. Sous ses jambes, il sent les muscles fins du dromadaire qui avance à bonne allure. Et dans ce mouvement régulier, il n’y a aucun signe de doute. Il sent la résolution.

Un peu calmé, il déroule son taguelmoust pour le secouer au vent et en ôter tout le sable qui s’y est glissé pendant la nuit. Il le réajuste ensuite au plus près de sa peau, y glissant sa tête comme dans un casque de vainqueur, comme un vrai guerrier du désert.

Les heures passent. La chaleur est intense. Mais le dromadaire n’interrompt pas son rythme soutenu.

Julien, trempé de sueur et assoiffé, s’accroche. Souvent, il somnole sous la pression du soleil métallique. A certain moments, il lui semble presque retrouver ces vibrations qui ont parcouru son corps la nuit dernière. Il les accueille sans peur, dans un demi sommeil.

Le paysage change. On abandonne les dunes pour entrer dans une zone beaucoup plus plate. Julien se demande comment sa monture peut continuer à ce rythme sans s’arrêter.

Elle doit savoir.

En fin d’après-midi, il remarque quelque chose dans le sable. Comme des marques, le long de la direction qu’ils suivent. Le regard enfiévré, il essaie de distinguer ce que sont ces sillons. Il cligne des yeux plusieurs fois, instinctivement, pour bien être certain.

Non , se dit-il, ce n’est pas possible.

Et pourtant oui, au fond de lui-même, il le sentait. Sa monture savait où aller.

La trace d’un véhicule.

De simples rayures dans le sable brûlé qui donnent à Julien une joie intense, intérieure, contenue.

Ça fait combien de temps qu’ils suivent cette piste ? Il ferait presque le reproche à son dromadaire de ne rien lui avoir dit, tellement il est content. Il donne une petite tape sur les flancs de sa monture et, malgré la soif, malgré la fatigue, malgré ses lèvres desséchées, il sourit.

Il lève les yeux vers l’horizon et n’est même plus surpris parce qu’il voit.

Un arbre.

En plein désert.

Seul.

Enfin presque.

A ses cotés, il distingue un dromadaire qui attend et un homme qui regarde dans sa direction.

Et la silhouette de cet homme, il la connait bien.

(A suivre)

(Photo : Nomad Photography)

Commentaires

6 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (27)”
  1. Nathalie says:

    Madani ? 😉

  2. Jean-Philippe says:

    Ah Nathalie ! En temps qu’experte numéro 1 des 9 étoiles, tu dois sûrement être dans le vrai. 😉

  3. AMie says:

    “Pour accomplir ce qu’il est né pour faire, se dit le jeune homme, il a besoin que je lui fasse confiance totalement.”
    C’est ça, c’est exactement ça, et ça peut s’appliquer à soi-même. Merci Jean-Philippe ! 😉

  4. Jean-Philippe says:

    Merci encore une fois, pour ce nouveau compliment, AMie ! Je crois qu’on a tous et toutes besoin de ça. De le sentir de la part des autres et surtout de le ressentir en soi. 😉

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