Les 9 étoiles du désert (18)

Par le 23 December 2010
dans Des histoires

Est-ce que la valeur des choses est relative ?

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

C’était la fin du jour.

Des dizaines et des dizaines d’espèces d’oiseaux étaient apparues de toutes parts pour se joindre, se mêler et se chamailler sur les rives du lac Tamezguidat. La chaleur déclinante avait été le signal, d’abord pour les plus petits, les plus téméraires qui, venus d’on ne sait où , n’avaient pas hésité à braver les dernières chaleurs pour venir s’ébrouer et rafraichir leurs ailes sur les rives du lac.

Ensuite, le ciel s’était tacheté de nombreux points noirs indiquant l’arrivée d’oiseaux plus grands, plus prudents qui effectuaient plusieurs passages rapides avant de finalement se poser dans l’eau peu profonde.

Finalement, les seigneurs du lac, avaient fait leur apparition. Ils étaient toujours les derniers à se poser, laissant d’abord toute la masse piaillante reconnaitre les lieux. Alors que les autres espèces étaient déjà occupées à se restaurer, ils étiraient leurs interminables ailes roses et se posaient, leurs longues pattes effilées bousculant sans ménagement les plus petits.

Takamat aimait observer ce ballet quotidien. Elle venait s’assoir sur une pierre au bord du lac et observait cette nature vivante, bruyante et attachante. D’où  venaient-ils tous ces oiseaux gros comme le poing, piaillant à qui mieux mieux, comme si c’était la chose la plus normale du monde à faire au milieu du désert ? Où  passaient-ils leurs journées, ces grands échassiers roses au bec noir qui, dans le couchant, déroulaient leur long cou avec une élégance mesurée ?

La jeune servante soupira, sachant bien que ses questions resteraient sans réponses.

Mais elle aimait ce lac, très peu profond et immense, le plus grand qu’elle n’ait jamais vu. Elle l’aimait pour tous ces oiseaux qui venaient s’y baigner sans peur. Elle l’aimait parce que le simple fait de l’observer, la calmait, l’apaisait. Elle l’aimait surtout parce que s’il n’avait pas été là, juste sur leur chemin de souffrance, sa maitresse et elle-même auraient déjà rendu leur dernier souffle.

Takamat ne savait comment expliquer ce miracle des dieux qui les avaient sauvées mais elle se demandait maintenant si le pendentif de la princesse avait réellement une signification particulière. Et puis, que dire d’Ahaggas ? L’étoile les avait maintenues dans la bonne direction de manière infaillible. Est-ce que la reine, la mère de Tin, était elle aussi passée par cette oasis ? L’avait-elle manqué pour finalement errer à sa perte ?

Des pas la tirèrent de ses rêveries. Sa maitresse vint s’assoir à ses cotés.

Pendant quelques instants, elles restèrent silencieuses, observant le ballet aquatique qui se terminait. Petit à petit, les oiseaux s’envolaient, regroupés par tribus, partant dans des directions opposées.

“Bientôt, nous aussi nous devrons repartir,” murmura Tin.

C’était la phrase que Takamat ne voulait pas entendre.

Mais elle savait, alors que toutes deux récupéraient leurs forces grâce au soins prodigués par les villageois, qu’un jour sa maitresse donnerait le signal du départ vers un nouvel inconnu et de nouveaux dangers.

“Quand ?”
“Je ne sais pas mais je crois que nous sommes prêtes maintenant. Nous ne devons pas non plus abuser de l’accueil de nos hôtes. Ils n’ont pas hésité à partager le peu qu’ils avaient avec nous.”

Takamat baissa les yeux.

Les premières lueurs nocturnes montaient doucement.

La jeune servante se leva et retourna au village.

Tin resta seule face à un lac maintenant vidé de toute vie, silencieux, presque endormi.

La princesse s’en voulut d’avoir été un peu trop directe avec Takamat. Sa servante était une jeune femme courageuse qui n’avait pas vraiment d’autre choix que de la suivre à la recherche de sa mère. Sachant qu’elles allaient se lancer à nouveau dans cette immense inconnu devait la terroriser.

Tin avait peur aussi. Leur voyage jusqu’ici ne l’avait pas rassurée. Bien au contraire. Il s’en était fallu de peu qu’elles ne disparaissent à jamais dans les sables. Et elles étaient loin d’être arrivées.

Arrivées où d’ailleurs ?

Soudain, elle sentit une présence derrière elle.

Elle n’avait pourtant entendu aucun bruit.

Elle tourna doucement la tête et découvrit avec stupéfaction un homme qui s’avançait, le visage entièrement recouvert d’un voile sombre. Seuls ses yeux étaient visibles. Il observa quelques instants le lac puis fit avancer sa monture afin qu’elle s’abreuve.

“L’eau de l’outre n’a de valeur que pour celui qui s’y abreuve,” dit-il soudainement, sans la regarder.

Tin, surprise, se demanda si c’était à elle qu’il parlait.

Pendant les quelques jours qu’elle avait passés dans le village, elle avait remarqué que de temps en temps, des hommes, des sortes guerriers solitaires, s’y arrêtaient puis disparaissaient rapidement après avoir fait le plein d’eau.

Où allaient-ils ? Elle n’en avait pas la moindre idée mais c’était la première fois que l’un d’entre eux parlait.

Elle l’observa à nouveau. Il caressait le cou de sa monture qui continuait à boire l’eau du lac à grandes gorgées.

“Pourquoi dites-vous ça ?” demanda finalement la jeune princesse.

L’inconnu continua à regarder le lac.

“Parce qu’à cet instant, cette eau possède beaucoup moins valeur pour nous.”

Il avait raison. C’était vrai que, désaltérée et en sécurité dans la palmeraie, Tin en avait presque oublié le miracle qui faisait que ce lac se trouvait là, en plein désert.

“Demain, vous repartirez et cette eau bienfaisante prendra une toute autre valeur pour vous.”

Tin hocha la tête. Où voulait-il en venir ?

Sa monture désaltérée, l’inconnu fit demi-tour et commença à s’éloigner. Il s’arrêta un instant pour regarder la jeune femme.

“Les richesses changent. L’or peut perdre son attrait et le plomb peut devenir le plus riche des métaux. Une simple villageoise dans une oasis peut être une princesse dans une autre.”

A ces mots, Tin sursauta. Personne ne la connaissait ici et avec Takamat, elles avaient parcouru assez de distance pour que ne pas rencontrer quelqu’un qui était de Tafilalet, l’oasis où elle était née.

Elle se leva pour interpeler l’homme mais ce-dernier était déjà arrivé au sommet d’une petit colline où il s’arrêta à nouveau.

Brusquement, il leva le bras en direction du lac, pointant quelque chose du doigt.

Tin, surprise, tourna la tête pour regarder ce que cet inconnu lui montrait.

Fidèle au rendez-vous, Ahaggas, l’étoile de tous les espoirs, l’étoile de la vie, l’étoile d’un destin incertain brillait de tous ses feux et se reflétait dans le lac.

Stupéfaite, Tin faillit en oublier l’inconnu. Elle se retourna à nouveau mais, au sommet de la colline, il n’y avait plus personne.

Ébranlée, la jeune princesse se rassit lentement, entourant ses jambes pliées de ses bras, posant son menton sur ses genoux.

Elle eut soudain envie de revoir son père. Elle eut envie de se réveiller sous sa grande tente de Tafilalet et que Takamat lui apporte à manger. Elle eut envie de ne plus craindre le lendemain.

Des larmes roulèrent sur ses joues et tombèrent dans les eaux du lac.

A cet instant précis, les yeux fermés, sans un regard pour Ahaggas, Tin décida d’abandonner sa quête insensée.

(A suivre)

(Photo : Guo Qi)

Commentaires

10 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (18)”
  1. Joel says:

    Et encore une histoire qui m’a obligé à réfléchir! Je n’ais pas compris immédiatement pourquoi elle décide d’abandonner sa quête.

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Joel pour ton commentaire. 🙂 C’est vrai que l’on peut vraiment se poser la question. Tu as une idée ?

  3. Joel says:

    Oh oui, j’ai une très bonne idée. Il faut même beaucoup de courage pour prendre la décision qu’elle a prise, je ne crois pas que j’aurais agi de la même manière.

  4. Jean-Philippe says:

    Ah, je vois ! Merci pour ces détails supplémentaires qui me permettent de mieux comprendre ton cheminement. 🙂

  5. Joel says:

    De fait, je pensais laisser libre à chacun de trouver le message mais ton intervention me pousse à croire qu’en fait, chacun aura sa propre idée… Je tâcherais donc d’être plus clair:

    Elle était partie de son oasis, tombée entre les mains de l’ennemi, et avait été obligée de fuir tout en espérant retrouver sa mère dont les chances d’être toujours en vie étaient extrêmement minces. Elle devait donc s’accrocher à un espoir de retrouver la seule personne avec qui elle estimait encore avoir un lien. Elle a passé des jours dans le désert sans boire ni manger avec sa fidèle servante pour enfin trouver, alors que tout espoir s’amenuisait, une nouvelle oasis, synonyme de (sur)vie dans ce désert.

    Et après tous les efforts pour en arriver là, alors qu’elle compte encore continuer et revivre la même aventure pour sûrement y rester cette fois-ci, le cavalier lui fait comprendre que ce qu’elle cherche est déjà sous son nez.

    En fait, je pense être aussi en quête de quelque chose et il est possible que cette mission que je me suis imposée va à l’encontre de l’intérêt de ce qui est vraiment important. Mais je continue à penser que cela est la bonne direction et donc, je continue à suivre l’étoile.

    Alors que je devrais peut-être m’arrêter près d’une oasis et souffler un peu, mais je veux continuer car une personne qui a eu beaucoup d’influence sur ma vie m’a dit un jour: “il vaut mieux vivre de remords que de regrets”.

  6. Jean-Philippe says:

    Là, tu m’impressionnes Joel. 🙂

    Je te remercie de bien avoir voulu partager le fond de ta pensée qui pour moi, et je l’ai déjà dit pour d’autres, est une ressource inestimable. Maintenant, je suis fasciné par le fait que les aventures de Tin et Takamat rejoignent quelque peu ce qui t’arrive dans la vie.

    C’est pour cela que j’écris toutes ces histoires. Au-delà du coté détente, j’ai envie que les lecteurs et lectrices réfléchissent à leur propre vie et, peut-être, en tirent des idées. Apparemment, c’est ce qui t’arrive sur ce passage et j’en suis extrêmement heureux. 😀

    Je crois que dans la vie, ce qui est le plus important, au-delà de tout le reste, c’est d’avoir un impact, même modeste, sur un autre être humain. Une mère de famille possède un énorme impact sur ses enfants. Un prof aussi sur ses élèves. Un mentor sur une personne plus jeune. Une conversation entre deux inconnus dans un café peut être importante. Cette personne qui t’a parlé aussi.

    Moi, de temps en temps, lorsque je reçois un commentaire comme le tien, je peux te garantir que ma journée sera ensoleillée même s’il pleut dehors. 🙂

    Je te remercie pour ça et voyons maintenant dans quelle direction vont aller Tin et Takamat. 😉

  7. Coumarine says:

    Je viens de lire l’échange entre Joel et toi…
    et … ça me fait réfléchir à mon tour (suite au mail que je t’ai envoyé…)

  8. Jean-Philippe says:

    …en bien j’espère ? Merci Coumarine ! 😉

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