Les 9 étoiles du désert (12)

Par le 11 November 2010
dans Des histoires

La lune, amie fidèle de la nuit.

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

Madani retira instinctivement la main, comme s’il avait été mordu.

Mais non, la sensation avait été plutôt froide.

Prudemment, il commença à écarter le sable. Ses nouvelles sensations lui disaient que ce n’était pas dangereux, qu’il n’avait rien à craindre mais il restait quand même sur ses gardes.

Un reflet apparut.

Du métal ?

Il retira doucement du sable un petit objet qui ressemblait à une croix du sud comme celle qui portait. Pourtant elle était un peu plus longue avec plusieurs trous. Il n’en avait jamais vu une comme ça.

Madani fronça les sourcils.

Ce ne pouvait être que son père qui avait glissé cet objet dans le sac. Pourquoi l’avoir caché dans du sable ? Pourquoi ne pas lui avoir donné directement ?

Il compta 8 trous dans cette croix du sud, le dernier étant un peu séparé des autres et entouré d’un cercle. Sans plus se poser de questions, il défit le nœud de son cordon et y glissa sa nouvelle possession, qui alla rejoindre son autre croix du sud, celle qu’il avait reçue des mains de son père, quelques nuits plus tôt.

Rapidement, il ajusta ses vêtements, rangea le sac dans une de ses poches et grimpa sur son dromadaire. Confiant, il prit la direction choisie un peu auparavant et sa monture, trop contente de bouger, s’élança avec souplesse dans les sables du Ténéré.

Les heures qui suivirent furent monotones.

Malgré tout, Madani, tous sens aiguisés, essayait de retrouver les mêmes vibrations, de voir au-delà, pour savoir s’il était bien dans la bonne direction. A chaque fois la même sensation de confort, d’assurance, l’envahissait. Il était bien sur le bon chemin.

Il n’avait aucune connaissance du désert aussi loin de chez lui, mais il était quand même surpris qu’il puisse y avoir une oasis dans cette direction. Pourtant, il savait maintenant que c’était bien par là qu’il fallait aller.

Lorsque le soleil se coucha, Madani sentit la fatigue peser sur ses épaules et dans son ventre. Il n’avait ni mangé, ni bu de la journée et même s’il se savait résistant, il se devait de trouver un point d’eau rapidement.

Cette solitude aussi lui coutait.

Dans son village, à Tidène, il avait été habitué à la compagnie des autres enfants, à jouer ou à apprendre avec son père ou sa mère.

Ici, il n’était qu’un point minuscule dans un paysage immuable qui finissait par vous étourdir. Dune après dune, la volonté s’usait. Dune après dune, les forces s’épuisaient. Dune après dune, la confiance disparaissait.

Après une nuit courte et un départ dès l’aube, pour profiter au maximum de la fraicheur, la volonté de Madani commença à fléchir. Il avait de plus en plus de doutes sur ses capacités à naviguer dans la grande étendue de sable et ceci, sans aucun point de repère.

Par rapport à la position du soleil, il savait qu’il s’éloignait de plus en plus de son village de Tidène et cela le chagrinait. Il comprenait maintenant, qu’il lui faudrait beaucoup de temps avant qu’il puisse enfin revoir les siens.

Dans cette direction, s’il se souvenait bien des paroles des anciens, il n’y avait rien et ceci pendant des journées et des journées de marche avant d’atteindre le pays des Kanuris. Et encore fallait-il bien être dans la bonne direction.

De toute façon, sans eau, Madani ne pourrait tenir aussi longtemps. Il le savait.

Aman, Iman, pensa-t-il. L’eau, c’est la vie.

Ces mots avaient été les dernières paroles de son père. Quand la force brute du soleil qui frappait les dunes ne l’abrutissait pas trop, Madani essayait de comprendre ce que son père avait voulu accomplir.

Le laisser dans le Ténéré, sans vivres et avec cet objet de métal devait bien signifier quelque chose. Mais quoi ? S’il ne trouvait pas rapidement un point d’eau, il n’aurait même plus l’opportunité de se poser ces questions qui lui paraissaient bien dérisoires maintenant.

Au soir de sa deuxième journée sans boire ni manger, le jeune garçon, descendit de sa monture, titubant légèrement. Son dromadaire s’assit au creux d’une dune, lui aussi fatigué par cette longue marche monotone et hypnotique, tandis que Madani se laissait tomber à ses côtés.

Son sommeil fut lourd et profond, peuplé d’images irréelles, où les dunes se mettaient à avancer vers lui, menaçantes et où deux croix du sud lui chuchotaient des secrets.

Il se réveilla en sursaut à l’aube de sa troisième journée de solitude.

Il eut du mal à trouver son équilibre sur le dos de sa monture et surtout à ne pas tomber lorsque cette dernière se leva pour partir. Étrangement, l’animal ne bougea pas tout de suite. Il semblait attendre les ordres de Madani, là où les jours précédents, il avait suivi la même direction que la veille.

Le garçon dut lui donner un coup du plat du pied sur son long cou pour lui indiquer la direction à prendre. Le dromadaire hésita un peu, puis s’élança, allant droit vers un paysage où les dunes laissaient peu à peu place à une plaine aride, mélange de sable et de rocaille.

Madani somnola toute la journée. Il avait du mal à garder ses sens en alerte. Le manque de nourriture se faisait maintenant cruellement sentir et sa gorge était complètement desséchée. Il essayait de garder le bon cap mais ne savait plus très bien s’il était dans le bonne direction.

Quel direction ?

Celle entrevue dans une sorte de délire au sommet d’une dune au plus chaud de la journée ?

L’enfant de Tidène sentit que, rapidement, ses forces et sa confiance déclinaient.

Peut-être que je vais vraiment mourir ici, seul, loin des miens, se dit-il. Comme pour de nombreux autres guerriers Touaregs, le sable sera mon tombeau.

Je porte le tagelmoust. Je suis un homme bleu. Je suis fier de mon sang et de mes ancêtres, eut-il encore la force de penser, pris dans la somnolence oppressante de la chaleur brutale.

Si le sable s’ouvre devant moi pour m’accueillir en son creux, je ne lutterai plus. J’accepterai et m’allongerai lentement, scellant pour toujours mes paupières avant que le vent ne me recouvre de son voile de poussière dorée.

Dans les plaines de sables infinies, un Madani délirant, agrippé à sa monture, continua son voyage ultime. Le soleil déclina, mais il ne le vit point. Les étoiles jaillirent dans le ciel, mais il ne le sut pas. Le froid offrit sa caresse mordante, mais il ne la sentit pas.

Affaibli, épuisé et perdu, le jeune garçon se sentit glisser. Lentement.

C’était donc ça la mort ? Un long glissement sans fin vers le néant ?

Pourtant une vive douleur au dos qui lui coupa le souffle le ramena à la réalité. Il lui fallu quelques instants pour comprendre qu’il venait de tomber de son dromadaire et qu’il était maintenant étendu sur le sable de cette plaine infinie.

Au-dessus de lui, tout là-haut, le disque énorme d’une lune conquérante régnait sur la nuit. Madani l’observa pendant quelques instants, impressionné par sa majesté, se demandant si elle était bien réelle, si blanche et brillante. Presque aveuglante. Fasciné, il resta allongé pendant un long moment, comme s’il se nourrissait de cet éclat intense offert par cette mère dominante.

Finalement, il redressa lentement son corps douloureux sur un coude. Il essaya de s’asseoir, profitant de la lumière pâle pour regarder autour de lui et, ce qu’il eut à peine le temps de deviner juste devant lui, fit disparaitre toute sa douleur, sa faim, sa soif.

Il voulut hurler sa terreur mais aucun son ne sortit de sa gorge desséchée.

Devant lui, l’ombre géante d’un guerrier ennemi s’apprêtait à le frapper de ses grands bras écartés.

(A suivre)

(Photo : jurvetson)

Commentaires

11 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (12)”
  1. Nathalie says:

    Intéressant ce guerrier 😉 voilà… je dois attendre jeudi ! grrrr 🙂

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Nathalie ! Oui, dans notre vie de tous les jours, nous voyons des guerriers partout. Sont-ils nos amis, nos ennemis ? Nous veulent-ils vraiment du bien ? C’est parfois difficile de le savoir, en un coup d’œil. 😉

  3. AMie says:

    Le guerrier serait-il le dromadaire ? 😉

  4. Jean-Philippe says:

    Réponse la semaine prochaine, bien sûr ! Merci AMie. 😉

  5. Nathalie says:

    Beaucoup nous veulent du mal et bien moins du bien. Je commence à discerner les deux mais pour les plus nombreux, ça reste cependant pas évident car ils cachent bien leur vraie nature.

  6. Jean-Philippe says:

    Merci pour ton commentaire Nathalie. Je crois que les autres peuvent nous faire du mal uniquement si nous les autorisons. Bien sûr, c’est plus facile à dire qu’à faire. Mais j’ai remarqué que selon les circonstances des choses qui ne me touchent pas, peuvent me heurter dans d’autres circonstances.

    Je crois que c’est bien là la preuve que les autres ne peuvent pas réellement nous blesser, sauf si nous acceptons. Pour aller à l’extrême de ce raisonnement, je pense à Viktor Frankl, un psychiatre autrichien d’origine juive qui fut interné dans un camp de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale.

    Il se rendit compte dans les pires conditions que ce n’étaient pas les plus résistants physiquement qui survivaient l’horreur des camps mais bien ceux qui pouvaient séparer leur réalité de leur vie intérieure. Les gardes ne pouvaient pénétrer dans leur esprit et les briser moralement. Ils souffraient mais en eux, ils gardaient une petite lumière, comme une bougie que personne ne peut éteindre d’un souffle.

    J’ai pris un exemple extrême, pour bien faire comprendre que nos pensées sont à nous. On a l’impression que les autres ont une influence sur elles, on finit par y croire, alors que ce n’est pas vrai, nous avons tous et toutes eu l’occasion de le remarquer.

    Merci, en tout cas pour ta remarque Nathalie, qui me donne une nouvelle idée d’article ! Et puis, jeudi prochain, Madani saura quel sort ses pensées lui réservent. 😉

  7. Nathalie says:

    Merci Jean Philippe ! tes messages sont très utiles pour moi et m’aident toujours à voir les choses sous un autre angle 🙂
    C’est peut-être ce Viktor Frankl qui a inspiré Roberto Begnini pour “la vie est belle” 😉 on ne sait jamais 😉

  8. Nathalie says:

    Et vivement la suite !!

  9. Jean-Philippe says:

    Tu as raison Nathalie, je n’y avais pas pensé. En tout cas cela vient de la même idée, notre façon de voir les choses. 🙂

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