Les 9 étoiles du désert (11)

Par le 4 November 2010
dans Des histoires

Dans quelle direction allez-vous ?

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

Madani se laissa tomber sur les genoux, stupéfait.

Lentement, il plongea sa main dans le sac et en retira une poignée de sable.

C’est tout ce qu’il contenait.

Pas d’eau, pas de dattes, pas de fromage, pas de tagellas.

Une nouvelle fois, il sentit la colère monter en lui.

Mais, peut-être parce qu’il était encore fatigué par sa rage de toute à l’heure ou, peut-être parce qu’il devenait plus sage, il ne la laissa pas éclater.

Il la sentit en lui. Elle prenait possession de tous ses membres. Elle s’engouffrait dans son cœur. Elle troublait son regard et brouillait ses pensées.

Madani dut vraiment faire un effort pour ne pas la laisser exploser. Mais, malgré la chaleur qui maintenant écrasait le Ténéré, le jeune garçon sentit qu’il pouvait décider de ne pas laisser sortir cette fureur qui essayait de s’emparer de lui, de le contrôler.

Comme il avait vu parfois faire son père et son oncle, il prit une grande inspiration. L’air chaud s’engouffra dans ses poumons. C’était une sensation désagréable comme si un feu commençait à vouloir brûler ses entrailles. Mais, en même temps, il nota que sa colère se calmait.

Comment était-ce possible ?

Il reprit une bouffée de cet air chaud et ensuite, expira longuement. Il constata qu’il était déjà bien moins en colère. Il en voulait encore à son père et à son oncle mais il remarqua qu’il pouvait dissocier cette idée de celle de la colère, qui elle, envahissait tout le corps.

Sous son tagelmoust, il inspira encore une fois et lorsque l’air ressortit de ses poumons, il se sentit beaucoup plus en paix. Serein. Presque heureux.

Pourquoi ?

Il était pourtant dans une terrible situation mais, non, cela ne l’affectait presque plus. Il se sentait comme cette dune au creux de laquelle ils avaient bivouaqué hier. Elle était solide, à peine touchée par les vents en son sommet. Pourtant, alors qu’elle n’était faite que de sable, elle n’allait pas s’effondrer d’un coup comme cela s’était déjà produit pour Madani.

Maintenant, lui non plus, il ne s’écroulerait plus.

Il était libre comme le sable et fort comme la dune.

Le dromadaire commença à s’éloigner. Madani, sans s’affoler cette fois-ci, le rattrapa et ramena la bête vers le sac. Il l’apaisa de quelques tapes sur son long cou. Calmée et cherchant sans doute quelque chose à manger, sa monture plongea son long museau dans le sac pour l’en retirer tout aussitôt.

Elle tourna ses grands yeux noirs vers Madani. Ce dernier se demanda si elle aussi était surprise de ne trouver que du sable dans un sac qui sentait encore les victuailles. Néanmoins, elle restait calme, acceptant cette situation. Le jeune garçon se dit que lui aussi devait réagir de la même façon. La colère ne le contrôlerait plus. Il le savait maintenant.

Son calme lui fit presque peur. C’était un peu s’il se découvrait une nouvelle enveloppe, et comme il n’y était pas habitué, cela le troublait. Il aurait presque voulu se recouvrir de l’ancienne, se remettre en colère, pour retrouver des émotions familières.

Madani chassa de son esprit toutes ces pensées. Il avait d’autres choses plus importantes à décider.

Que faire maintenant ?

Immobile, il se concentra sur l’horizon. Il comprenait maintenant qu’il y avait un moyen de s’en sortir, qu’il existait une clef. Son père ne l’aurait pas laissé au milieu du Ténéré comme ça. Il devait suivre les signes.

Mais quels signes ?

Le désert est un lieu qui parait vide. Mais Madani savait qu’il était plein de vie. Pour celui qui savait voir. Voir loin. Voir au-delà de ce que l’œil pouvait déceler.

Il monta sur la dune. De là, il avait un point de vue sur tous les alentours. Il se figea et scruta l’horizon. Pendant de longues minutes, il garda cette position. Ni le soleil métallique qui étouffait le paysage, ni la soif qui s’était emparée de lui ne le firent vaciller. Après un long moment, lentement, il tourna sur lui-même, balayant le paysage, tentant de voir l’invisible.

Il sentit la sagesse de ses ancêtres tout doucement monter en lui. C’était comme si un voile se levait, comme s’il entrait dans une nouvelle dimension où les règles n’étaient plus les mêmes, où voir ne voulait plus dire voir et où ressentir les choses devenait bien plus important.

Tous les sens en alerte, il se laissa porter par cette vague ancestrale, composée de toute la sagesse de ses pères, de tous ceux qui avaient traversé le désert des milliers de fois et qui, petit à petit, avaient bâti une mémoire vivante des lieux. Il suffisait de s’y glisser pour immédiatement apercevoir des choses invisibles aux autres.

Madani se trouvait maintenant presque dans un état second. La chaleur ne le dérangeait plus. Il ne savait même plus ce que c’était. Le “chaud”, le “froid”, c’était juste une idée prise quelque part dans la tête qui circulait jusqu’à la main ou au bras. Il suffisait d’arrêter les messages envoyées par son esprit. Il suffisait de s’élever au-dessus de toutes ces sensations terrestres.

Et Madani s’éleva.

Il ne s’éleva pas comme un oiseau prend son envol. Non, l’ensemble de ses sens s’ouvrit sur une nouvelle dimension, sur quelque chose qu’il ne connaissait pas et qui lui permettait de sentir les choses avec une acuité redoublée.

Il s’ouvrit et attendit.

Le temps parut s’immobiliser.

Longtemps.

Soudain, son œil enregistra quelque chose d’infime.

Madani lui-même ne put comprendre ce qu’il avait vu. Tout là-bas, il n’y avait absolument rien, si ce n’était dune après dune. Pourtant son œil avait perçu quelque chose.

Il hésita.

Avait-il le choix ? Il comprit que non et que, tout simplement, il devait faire confiance à son instinct, à ses sens. Quelque chose les avait fait vibrer lorsqu’il s’était concentré dans cette direction. Il n’y avait plus à douter. Il devait suivre ses instincts.

Pour le meilleur.

Madani redescendit de la dune et ramassa le sac qu’il commença par vider de tout ce sable. Il regarda son dromadaire qui l’attendait placidement, l’observant toujours, de ses grands yeux noirs impénétrables. Est-ce que les animaux eux aussi comprenaient ce genre de chose ? Est-ce que sa monture avait pressenti que Madani avait trouvé un sens, une direction ? Est-ce qu’elle avait déjà réalisé qu’il n’était plus cet enfant paniqué qui se mettait en colère pour un rien ?

Alors que toutes ces pensées s’agitaient dans son esprit, l’œil de Madani fut à nouveau alerté par quelque chose de fugitif.

Là où il avait vidé son sac, quelque chose avait bougé. Il y avait eu un semblant de mouvement. Le garçon se rappela toutes ses bonnes intentions et essaya de respirer profondément. Malgré tout, la peur s’immisça à nouveau en lui.

Il eut envie de bondir sur le côté, de crier de panique mais encore une fois, il se força à ne pas réagir et, contrôlant sa peur, doucement, il s’agenouilla.

Lentement, il avança une main.

Je suis fou, pensa-t-il. Je fais me faire mordre par un serpent ou par un scorpion. Et pourtant, d’instinct, il continua à avancer sa main et la glissa dans le tas de sable juste vidé du sac.

Sentant des gouttes perler sous son tagelmoust, Madani l’enfonça de plus en plus dans le sable et soudain, il se raidit.

Il venait de toucher quelque chose de dur et de froid.

(A suivre)

(Photo : wonker)

Commentaires

10 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (11)”
  1. Nathalie says:

    oulala!!! le pendentif? j’ai lu trop vite ! je recommence 😉 vivement jeudi prochain 🙂

  2. Jean-Philippe says:

    😀
    Nathalie, tu vas plus vite que moi… je n’arrive plus à te suivre ! 😉

  3. Nathalie says:

    🙂 ce serait quand même génial si tu en faisais un livre ! tu écris tellement bien !

  4. Coumarine says:

    Mandani me manquait ;-))
    Je suis contente que tu sois revenu à lui
    …en attendant que tu reviennes à Julien… et à la princesse..
    En tous cas tu sais ménager le suspense… et morceler l’action…
    Je trouve cet épisode très intéressant pour autre chose encore que l’histoire…
    Pour le message que tu donnes…
    – sur la mémoire ancestrale à laquelle il semble que nous, humains urbains et stressés, nous n’ayons plus tellement accès
    – sur ce ralentissement des ressentis primaires par une sorte de mise en transe… de méditation…encore une chose que nous avons perdue!
    Bref, cet épisode est très riche et va plus loin que la simple histoire, par ailleurs passionnante…

  5. Jean-Philippe says:

    @Nathalie Merci pour ton soutien indéfectible ! 😉

    @Coumarine Merci beaucoup de me confier tes impressions ! Cela m’aide beaucoup à savoir si je fais mouche ou pas lorsque j’avance dans l’histoire. 🙂

  6. Magnifique, inspiré, mystique. Ton style s’améliore à chaque visite que je fais sur ton blog unique. Et là, tu es au top : bravo !

    J’aime la scène de la colère : elle est très juste. On peut toujours se dissocier de sa colère pour ne pas devenir son esclave. Mais quelle belle façon tu as de l’exprimer !

  7. David says:

    Je me suis perdu dans un désert pendant 5 épisodes, devenant complètement infidèle à tes écrits… j’ai pris mon courage à deux mains et je viens juste de rattraper mon retard…
    Certaines longueurs m’ont fait un peu peur et le blog rend parfois compliqué la lecture en plusieurs épisodes. Le choix de 3 récits parallèles est lui aussi un peu risqué. Malgré cela, ton style à la fois simple et juste m’a permis de passer les dunes les unes après les autres, sans boire, ni manger par solidarité ;).
    Je retrouve également avec plaisir des métaphores qui soutiennent des conseils avisés, celui de ne pas perdre le courage d’avancer pas après pas, même si l’objectif nous paraît inatteignable, ou celui encore de l’importance de maîtriser sa colère.
    Promis, j’ai hâte de reprendre la lecture dès Jeudi !

  8. Jean-Philippe says:

    @Monalisa Merci pour te compliments qui me touchent beaucoup ! Oui, la colère et nous, un vaste programme… combien de fois on voudrait bien l’arrêter mais on ne peut s’arrêter ? Je crois que c’est le travail d’une vie. 😉

    @David Merci pour ta solidarité ! et aussi pour te remarques. Je pensais qu’un lien en bas de chaque épisode était suffisant pour suivre, mais peut-être qu’il faudra que je revois cela. En tout cas, merci pour ta fidélité. 🙂

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