Les génies que nous sommes (7)

Par le 11 October 2010
dans Changer les règles

En lançant les dés assez longtemps, on finit toujours par gagner...

Cet article – le septième d’une série qui a commencé ici – constitue ma participation à cette rencontre amicale, “À la croisée des blogs” qui est un évènement inter-blog dédié au développement personnel. Il est publié mensuellement et chaque nouvelle édition traite d’un thème original. Ce mois-ci, c’est Aurélien, du blog Web entrepreneur débutant, qui en est l’organisateur et qui nous a proposé de plancher sur “Apprivoiser la chance“.

Le monde du rock doit beaucoup à Bruno Koschmider.

Ce dernier, d’origine polonaise et habitant à Hambourg en Allemagne avait vraiment envie de réussir dans la vie.

Or la ville allemande, à l’époque de la guerre froide, avait la réputation la plus sulfureuse d’Europe, étant une plaque tournante de trafics en tous genres. Mais cela n’empêcha pas Bruno Koschmider de se lancer à fond dans “l’entreprenariat”.

J’écris le mot entre guillemets parce que les activités dans lesquelles il plaça toute son énergie ne sont pas vraiment du type de celles qu’on enseigne dans les écoles de commerce. Salles de cinéma X, clubs de strip-tease, plus quelques maisons closes sur le côté bref, rien à voir avec le jeune auto-entrepreneur d’aujourd’hui.

Alors, entre Bruno Koschmider, ses “affaires” et la musique rock, il y a quand même un fossé… Malgré tout, il a vraiment eu une influence indirecte énorme sur ce que nous écoutons sur nos iPods, aujourd’hui. Sans lui, le rock et même, la musique populaire, auraient peut-être pris une direction différente.

Et tout ça est dû à un simple coup de dés.

Providence et génie

Bruno Koschmider avait besoin de musique “live” dans ses clubs de strip-tease parce qu’il pensait que cela ferait rester la clientèle plus longtemps. Et pour recruter des groupes, il fit un voyage à Londres là où, au début des années 60, le rock était en pleine effervescence. Alors qu’il était en pleine prospection dans le quartier de Soho, il fit la rencontre fortuite d’Allan Williams, le manager d’un club de musique de Liverpool, lui aussi de passage le même jour dans la capitale londonienne et, ce dernier, lui promit de lui envoyer des musiciens.

Promesse tenue.

Parmi tous les groupes qui firent, au fil des mois, le voyage, il s’en trouve un qui n’aurait pas vraiment dû y aller. Tout d’abord, parce que ses membres n’étaient pas, techniquement, de très bons musiciens et ensuite parce qu’ils étaient un peu jeunes pour ce retrouver dans le quartier chaud de Hambourg. En effet, le benjamin n’avait pas encore 18 ans.

Et pourtant, en mai 1960, ce groupe “joua” pour la première fois à l’Indra, l’un des clubs appartenant à Bruno Koschmider. Dans l’année et demie qui suivit, ils revinrent 5 fois à Hambourg. Ils s’y produisirent en tout 270 fois – selon les chiffres de Malcolm Gladwell dans son livre Outliers – et à chaque prestation, ils jouèrent entre 5 et 8 heures !

Pas mal pour une pratique délibérée.

Et c’est ainsi que les Beatles, devinrent, les Beatles.

Apprivoiser la chance ?

Si Bruno Koschmider n’était pas tombé sur Allan Williams à Soho, il y a peu de possibilité pour que les Beatles, tels que nous les avons connus et tels qu’ils ont influencé l’univers du rock, aient jamais existé.

Ainsi, on peut dire que les Beatles ont eu de la chance par 2 fois à quelques mois d’intervalle. Une fois à Soho – indirectement – et une deuxième fois lorsqu’ils furent engagés pour aller à Hambourg, alors qu’ils étaient loin d’être musicalement au point.

Et, grâce à la pratique délibérée, on sait maintenant que le temps qu’ils passèrent en Allemagne fut capital pour les transformer.

En fait, on utilise le mot chance de façon rétrospective parce qu’avant de partir, personne n’était allé voir John, Paul ou George pour leur dire : “Vous en avez de la chance, vous allez pouvoir pratiquer intensément, vous améliorer et devenir ultra célèbres !” Leur parents étaient même contre ce voyage. Rappelez-vous, Harrison n’avait pas encore 18 ans.

Donc, on parle toujours de chance – ou de malchance – après les faits. Parce qu’avant, comme dans le cas des Beatles, on a aucune idée des conséquences d’une décision.

Provoquer la chance

D’abord cette chance n’est pas également distribuée. Certains, parmi nous, en ont plus que d’autres. C’est un fait de la vie. Bien sûr, on dit toujours, “à force de travailler, cela finit toujours par payer”, mais je ne pense pas que ce soit exact de voir les choses comme ça.

C’est surtout ce que l’on dit pour se rassurer.

C’est aussi ce que disent – à juste titre – ceux ou celles qui pensent avoir réussi grâce à elle. Mais cela ne veut pas dire que ce soit une règle absolue. Quelques exemples ne forment pas une loi générale. Ce phénomène d’assimilation s’appelle d’ailleurs l’induction, c’est à dire qu’à partir d’un où plusieurs exemples, on tire des conclusions générales – notion chère à Nassim Nicholas Taleb, l’auteur du livre Le cygne noir – .

L’induction permet ainsi de créer des lois, des règles, des crédos, “après”. Avant, comme on l’a vu, on n’en a strictement aucune idée. Même un plan bien léché pour maitriser, contrôler, guider ce qui en fait s’appelle réellement le hasard, ne peut le faire.

Il n’est pas maitrisable, autrement cela ne s’appellerait pas “hasard”.

L’illusion de contrôler le hasard

Le hasard qu’est-ce que c’est ? C’est un évènement absolument imprévu qui, s’il tourne en notre faveur, devient de la chance. Mais, bien sûr, le caractère aléatoire du hasard fait qu’on ne peut pas savoir quand il va se produire. En plus, s’il n’est pas favorable, on va alors parler de malchance, ce qui n’arrange pas le moral.

Je ne pense pas qu’il faille parler en positif ou négatif. Il y a simplement des situations auxquelles nous devons, si nous le voulons, faire face. A moins d’être croyant – ce qui est bien pratique dans un sens – nous n’avons aucun explication sur leur caractère aléatoire.

Pourtant, dans toutes les biographies de personnes célèbres, on trouve toujours un moment où, une rencontre fortuite, un évènement inattendu ont fait bouger les choses.

C’est donc que le hasard est nécessaire pour avancer. Non seulement il est nécessaire mais à moins de rester enfermer dans une boite, il va de toute façon vous trouver et comme il est aléatoire, il frappera donc plus ou moins souvent à votre porte.

Mais il frappera toujours.

Sinon, il n’y aurait pas de génies.

Sans Bruno Koschmider, l’homme d’affaires louche, il n’y aurait sans doute pas eu de Beatles.

Le hasard en liberté

En 1970, un ingénieur chimiste du nom de Spencer Silver travaillant pour les laboratoires 3M essayait de trouver une meilleure colle, plus forte que celles présentes sur le marché. Après quelques tests, il finit par obtenir un mélange complètement raté qui adhérait très mal car on pouvait facilement décoller les objets qui en étaient badigeonnés.

Ce n’était pas du tout son objectif.

Ceci dit, en bon scientifique qui connait les lois du hasard, il distribua cette mauvaise colle tout autour de lui dans les bureaux de 3M, afin que d’autres puissent peut-être s’en inspirer. L’un d’entre eux, Arthur Fry, eut l’idée d’en mettre au dos des feuilles de bloc-notes et c’est ainsi que naquirent les Post-its, qui furent mis officiellement en vente en 1980.

Ainsi, dans le domaine de la découverte, le hasard est le moyen par excellence d’avancer, et si vous n’en êtes pas convaincu, il suffit de lire cette liste sur wikipédia. Tous ces inventeurs ne cherchaient pas à inventer ce qu’ils ont finalement découvert.

Qu’est ce que cela signifie pour ceux ou celles comme nous qui veulent s’améliorer, devenir des experts dans leur domaine ?

Le hasard est une pièce importante de notre vie. Nos rencontres importantes ne peuvent être contrôlées. Nous n’avons aucune idée de quoi sera fait notre futur. On pense qu’on le sait mais, en réalité, on ne fait qu’imaginer pour se donner du courage.

Et parfois, le hasard nous emmène même au-delà de tout ce qu’on avait osé imaginer.

La solution ? Faire comme ces scientifiques ou les Beatles. Choisir et nous consacrer à des choses plutôt plaisantes, qui nous apportent des petits bonheurs sans grand calcul à long terme.

Parce qu’à travers la pratique délibérée – pour adultes – il nous faut créer cette myéline dans notre cerveau, cette myéline qui nous permettra de devenir des experts. Il nous faut donc du temps, qui nous permet aussi d’être plus longtemps exposé au hasard et, si on n’aime pas vraiment ce que l’on fait, on ne tiendra pas longtemps.

Mais si on s’accroche, réussirons-nous ? Cela dépend de la signification que nous donnons au mot réussir. Dans le monde du hasard, il n’y a pas de critère, pas de logique. Il vaut mieux se concentrer sur son art et accueillir les aléas avec philosophie.

Car si nous nous concentrons sur des activités qui nous plaisent, nous sommes au moins certains d’une chose : c’est qu’on en aura retiré du plaisir et, directement ou indirectement, donné du bonheur à d’autres.

Y a-t-il quelque chose de plus important dans la vie ?

Le hasard et la patience

Finalement, on se dit que la vie est un grand jeu de patience. On fait ce que l’on pense être intéressant du mieux que l’on peut tout en valsant avec le hasard. Le reste n’est vraiment qu’illusion.

Néanmoins, rappelez-vous les Beatles. Hasard ou pas, ils ont quand même dû jouer pendant des heures, 7 jours sur 7. Et je n’ai même pas parlé des conditions de vie à Hambourg, qui étaient exécrables. Beaucoup d’autres groupes de Liverpool refusèrent d’ailleurs d’y retourner pour cette raison.

Pas les Beatles.

En plus, ils avaient été arrêtés et expulsés par la police allemande à la fin de leur premier voyage, grâce à l’amicale dénonciation de l’inévitable Bruno Koschmider, qui n’avait pas apprécié qu’ils aillent jouer dans un club rival.

Hasard… 😉

Et pourtant, ils y retournèrent. Ils s’accrochèrent. Ils ne lâchèrent pas le morceau.

Alors, pour pouvoir réellement tenir dans sa pratique délibérée, il faut de la ténacité, de la persévérance.

Et cette persistance, d’où vient-elle ?

Est-elle dans nos gênes ou peut-on l’acquérir ?

(A suivre)

(Photo : fdecomite)

Commentaires

15 commentaires pour “Les génies que nous sommes (7)”
  1. Je crois que la persistance provient du fait qu’on aime se retrouver dans l’état de « flow » où l’on éprouve tellement de plaisir à se concentrer sur l’activité choisie qu’on oublie tout le reste.

    Texte passionnant, comme toujours !

  2. Jean-Philippe says:

    Merci MarieBo ! Oui, tout à fait d’accord avec ton état de flow. 😉

  3. Lukpapanne says:

    La persistance……un état d’esprit , une conduite à essayer de tenir!!
    Enfin pour ma part j’essaye!
    merci de ce post et de ce blog passionnant que je découvre !!
    bises

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup pour le compliment Lukpapanne ! La persistance est un sujet brûlant et qui nous passionne tous et toutes. 😉

  5. Toujours aussi plaisant. Nous vivons souvent de grands moments de solitude ou de “storm” juste avant de franchir un grand cap. Est-ce un hasard si de nombreux génies ont connu la misère juste avant de connaître la réussite. Je me laisse penser parfois qu’en touchant le fond de la piscine nous trouvons l’énergie et la force de remonter … très haut.

  6. Jean-Philippe says:

    Merci Fadhila ! Oui c’est un fait assez courant. Peut-être aussi qu’en prenant des positions radicales ou nouvelles, on se met la société à dos… pour un moment. Donc difficile d’être compris et de vivre décemment. Ceci dit, de nos jours, je pense que c’est plus facile grâce aux nouvelles technologies. 🙂

  7. Mestizaje says:

    Cette série me tient en haleine depuis 7 semaines déjà !
    Vraiment, c’est passionnant et très bien écrit : il me tarde de savoir d’ou vient cette persistance et si on peut la développer (même si je me doute bien que oui !!), car c’est vraiment ce qui me manque pour réaliser mes objectifs… Je vais pratiquer, voire pratiquer “délibérément” une activité quelques jours, quelques semaines, quelques mois et puis passer à autre chose… ! Pas super pour devenir un “génie”!
    A lundi prochain alors 🙂

  8. J’espère bien que tu vas nous dire que l’on peut acquérir la persistance, sinon ce serait trop déprimant…
    Pour ma part, j’ai un petit truc, c’est de repenser au pourquoi je fais ça ou plutôt pour… quoi. Quand je me souviens que j’ai commencé ce que je fais parce que j’avais un projet qui dépassait ce premier pas, je suis incitée à continuer. OK, c’est peut-être dur maintenant mais si j’abandonne, j’aurais tout perdu. J’en aurais bavé et en plus pour rien !

  9. Jean-Philippe says:

    @Mestizaje Un peu scanneuse peut-être ? Je vais aussi en parler car nous sommes dans la même situation. 😉

    @Sophie Merci pour cette astuce ! Je suis certain que cela va en aider certains. 🙂

  10. Coumarine says:

    scanneur ou pas (oui je suis allée voir ce que c’était!)… je m’aperçois que tu es “collé” à tes objectifs, avec une régularité de métronome (je dis ça comme une qualité hein! pas comme une rigidité!)
    Ton article du lundi..
    La poursuite du récit le jeudi…
    D’autres tâches que, j’en suis sûre, tu fais de la même manière, avec régularité!
    Pour moi, c’est très important, ça aide pour ce que tu appelles la persistance (la persévérance?)
    Merci Jean-Philippe, pour ces articles bien documentés, bien écrits et très intéressants!

  11. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Coumarine !

    Le scanneur que je suis, tente toujours de trouver des astuces pour pouvoir avancer. Parfois ça marche, parfois cela ne fonctionne pas. J’en parlerai plus en détail dans mon ebook sur le sujet, qui lui, tu vois, a du mal à rentrer dans le rythme du métronome. 😉

    Mais, je sais pourquoi et je vais – enfin ? – y remédier !

  12. Nico says:

    Bon j’ai enfin rattrapé l’intégralité de mon retard sur la lecture des “génies” 🙂

    J’apprécie beaucoup ta vision sur la chance et le hasard.
    On retrouve beaucoup, dans l’univers du dév perso notamment, cette non-croyance vis-à-vis de la chance. Probablement une manière de se rassurer.

    Pour ma part, j’ai tendance à croire aux signes, un peu tel que décris dans “l’alchimiste”.
    NB : À ce propos, je tiens à te remercier pour m’avoir donné envie, quelques mois plus tôt, de lire ce livre. Celui-ci m’a énormément apporté.

    Tout cela pour dire, qu’il est parfois bon de laisser le hasard faire sans forcément essayer de tout contrôler. Ce dernier apporte souvent du renouveau et parfois, comme pour les Beatles, des opportunités en or.

    Je terminerai avec une de mes citations préférées :
    « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. »
    Paul Eluard

  13. Nathalie says:

    J’en apprends des choses !!
    Comme Nico j’ai rattrapé mon retard sur les “génies” ! J’ai beaucoup aimé lire “l’Alchimiste”
    une de mes phrases préférées:
    “Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve impossible, c’est la peur d’échouer.»
    Paulo Coelho – Extrait de L’Alchimiste
    NB : C’est aussi Jean Philippe qui m’avais donné envie de lire ce livre 🙂

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