Les 9 étoiles du désert (9)

Par le 21 October 2010
dans Des histoires

Le but est toujours si loin... si proche !

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

Les chants se firent plus forts.

Moins mélodieux.

Ils se transformèrent en cris.

Tin sentit comme un coup donné sur sa tête. Ceci lui fit reprendre un peu conscience. N’était-elle donc pas encore morte ? Qu’est-ce que c’étaient que ces hurlements lointains ?

Un autre coup violent sur la tête, lui fit brusquement ouvrir les yeux.

Dans la chaleur étouffante elle vit Takamat assise sur elle, qui la secouait et la frappait de façon totalement désordonnée. Tin se rendit aussi compte qu’une de ses propres mains était presque dans sa bouche, ses doigts essayant d’agripper sa langue boursouflée.

Elle n’avait plus une goutte de salive. Elle ne put déglutir.

Takamat, épuisée par les efforts qu’elle avait fourni pour réveiller sa maitresse, se laissa tomber sur le côté, haletante, dans la fournaise implacable.

Tin se redressa et voulut recracher le sable qui s’était introduit dans sa bouche. Mais rien ne sorti. Malgré la chaleur, elle ne transpirait pas. Son corps, vidé de son eau, n’avait plus de fraicheur à offrir. Sa langue gonflée par ce manque d’eau, semblait comme un gros caillou sec dans sa bouche.

Elle regarda Takamat qui continuait à souffler sur le côté. Elle avait dû faire un gros effort. Elle vit que les lèvres de sa jeune servante étaient toutes craquelées, presque en sang. Elle toucha les siennes. Elle sentit les mêmes déchirures là où dans une autre vie, elle avait senti finesse et douceur.

Reprenant un peu conscience, Tin se dit qu’il fallait qu’elles repartent. Rester ici s’était mourir. En avançant, elles se donnaient encore une petite chance.

Pendant combien de temps pourraient-elles encore marcher ?

Dans un immense effort, la princesse se redressa avec précaution, étourdie. Couchée sur le côté, Takamat la regarda sans bouger. Tin s’approcha d’elle. Elle voulut lui dire quelque chose mais aucun son ne sortit de sa bouche.

Alors elle tendit les mains vers sa servante pour l’aider à se relever. Ce geste, lui rappela immédiatement la vision de sa mère.

Sa mère ? Elle l’avait vue ! et elle lui avait parlé !

“Je suis toujours avec toi.”

Une énergie nouvelle saisit la jeune femme. Malgré leur situation désespérée, elles pouvaient encore avancer. Elles pouvaient encore marcher.

Encore un effort.

Un petit.

Le pendentif ne pouvait mentir. Il devait les mener au prochain point d’eau.

Tin se remit à marcher en tirant par la main une Takamat sans réaction. Leurs montures, livrées à elles-mêmes, les suivirent. Elles arrivèrent au sommet de la colline de rochers et de sables.

Au loin, ce n’était de nouveau que colline après colline.

Jusqu’à l’horizon.

Mais cela n’entama pas le regain d’énergie de Tin. D’un pied mal assuré, elle entama la descente, tenant toujours sa servante par la main.

Elles trouvèrent au plus profond d’elles-mêmes la force d’avancer pendant tout le reste de la journée. Elles ne s’arrêtèrent même pas pour souffler. De toute façon, il n’y avait plus rien à manger et à boire.

Elles marchèrent et marchèrent jusqu’à ce que la fatigue les saisisse à nouveau, jusqu’à ce que le soleil métallique et impitoyable commence sa descente, jusqu’à ce que la roche dure et coupante soit remplacée à nouveau par le sable.

Lorsque les premières lueurs de la nuit montèrent au loin, elles étaient en train de se hisser sur le versant d’une dune pentue.

Soudain Tin s’arrêta. Takamat qui avançait mécaniquement, buta sur elle, levant des yeux ternes, sans vie. Elle ne chercha pas à comprendre pourquoi on s’arrêtait. Elle suivit juste du regard ce que Tin, respirant rapidement, observait. Et là, malgré toutes ses fatigues, elle comprit.

La jeune servante se retourna lentement et regarda vers le bas de la dune.

D’un coup, elle se laissa tomber, comme un vieux sac usé que l’on jette dans un coin. Elle aurait voulu pleurer, avec de belles grosses larmes bien rondes roulant sur ses joues mais, ses yeux secs s’y refusèrent. Elle se contenta de geindre, comme un petit animal paniqué.

Tin aussi sentit une vague de désespoir l’envahir. Au bas de la dune, elle pouvait apercevoir leurs montures qui ne les avaient pas suivi, et pour cause.

Les bêtes paraissaient minuscules tout en bas.

Les deux jeunes femmes ne s’étaient pas rendues compte qu’elles avaient commencé l’ascension d’une dune exceptionnelle par sa taille. Là où elles se trouvaient, elles dominaient presque tous les paysages aux alentours et lorsqu’elles avaient regardé vers le haut, le sommet leur avait paru si éloigné, si lointain, inaccessible dans le ciel couchant.

Et puis, toutes les deux savaient aussi que plus on montait sur une dune, plus il était difficile d’avancer. Tin et Takamat avaient appris qu’il ne fallait jamais en gravir le flanc mais bien les arêtes, moins glissantes.

La dune sur laquelle elles se trouvaient étaient tellement énorme qu’elles n’en voyaient même pas les arêtes et que pour redescendre, il leur faudrait un temps fou, gaspillant sans doute leur dernières forces.

Tin se laissa tomber aux côtés de Takamat, déjà allongée. Sa maitresse fit de même et lentement, lui prit la main, dans un ultime geste de fraternité.

Sans y prêter attention, elles virent encore une fois les couleurs du ciel changer, passant du bleu à l’orangé et de l’orangé au noir profond. A nouveau, elles commencèrent à trembler de froid mais celà ne leur parut pas important.

Elles fermèrent les yeux.

Leur corps ne leur appartenait plus. Elles le savaient. Elles ne le contrôlait plus. Froid, chaud ? Cela depuis longtemps n’avait plus d’importance pour elles. Tin, eut encore la présence d’esprit de penser à leur étonnante résistance. Avant de quitter Tafilalet, elle n’aurait jamais pensé qu’elle aurait pu accomplir un tel voyage dans de telles conditions. Le corps humain possédait une incroyable énergie.

Le corps ou l’esprit ?

Mais toutes ces leçons ne serviraient à rien.

Le temps passa.

Machinalement, Tin ouvrit à nouveau les yeux.

La voute céleste était maintenant illuminée de milliers d’étoiles qui scintillaient, dans tous les recoins du ciel.

Ahaggas.

Où était Ahaggas ?

Tin voulut se lever mais sentit qu’elle n’en aurait pas la force. Son corps, qui avait déjà subi les assauts de la chaleur et d’un ventre depuis longtemps vide, s’était raidi dans le froid, ultime sursaut de vie.

Elle se pencha sur le côté. Takamat semblait dormir. Elle tenta de la réveiller en lui touchant l’épaule mais le manque de contrôle de ses membres fit que son bras s’abattit lourdement sur le front décharné de la servante.

Cette dernière entrouvrit les yeux, désorientée.

Tin, ne pouvant parler, se contenta d’émettre des gémissements en pointant sa main desséchée vers le ciel étoilé.

Takamat referma les yeux.

Tin faillit la frapper à nouveau mais se ravisa, pensant à conserver ses quelques forces restantes.

Dans un effort qui lui parut surhumain, elle se redressa sur un coude et, dans cet équilibre précaire, fit un rapide tour d’horizon avant de se laisser retomber.

Nulle part, elle n’avait aperçu Ahaggas.

Cela signifiait deux choses, eut-elle encore la force de penser, avant de sombrer dans le néant. Comme une bonne et une mauvaise nouvelle.

Elles étaient toujours dans la bonne direction.

Mais, il leur faudrait donc franchir cette dune gigantesque.

Et ça, c’était trop leur en demander.

(Suite)

(Photo : Rosino)

Commentaires

3 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (9)”
  1. Nathalie says:

    allez courage!!! elles vont finir par trouver non??! 🙂

  2. Jean-Philippe says:

    Je l’espère aussi !! Sinon l’histoire est terminée. 😉

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