Les 9 étoiles du désert (7)

Par le 7 October 2010
dans Des histoires

Suivre son destin, aller vers son but, trouver son refuge.

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

Takamat, dans la nuit calme, attacha les deux sacs aux montures qui patientaient près du lac.

La jeune servante retourna sur ses pas et se glissa sous la grande tente plongée dans le noir. Il lui fallut quelques secondes pour apercevoir sa maitresse, Tin, qui l’attendait patiemment.

“Nous pouvons encore renoncer,” souffla la servante en s’asseyant lentement à ses côtés.

Cette dernière ne la regarda pas. Son regard fixe, perdu dans la pénombre.

“Si nous ne partons pas, tu sais ce qui nous attend,” répondit-elle enfin doucement.

Takamat baissa les yeux.

Tin repensa à son enfance heureuse, ici, dans l’oasis de Tafilalet.

De mémoire d’homme, c’était la plus luxuriante, la plus belle, la plus riche, la plus grande de toutes les oasis.

Et jusqu’à tout récemment, la plus paisible aussi.

Depuis toujours, les voyageurs arrivaient ici de tout le monde connu pour décharger leurs biens précieux qui allaient, soit enrichir la cour du roi son père, soit repartir dans d’autres directions, vers d’autres royaumes.

Tafilalet avait été, jusqu’à maintenant, un carrefour respecté où s”échangeaient marchandises et savoirs.

N’ayant connu qu’opulence et richesse, Tin était effrayée à l’idée de quitter les lieux où tous les souvenirs de sa jeune vie étaient réunis. Pourtant, il le fallait. Elle n’avait jamais connu sa mère et, son père, protecteur tolérant et bienveillant, était tombé sous les coups d’envahisseurs envieux.

Elle n’avait plus rien à attendre ici, prisonnière de la bonne volonté des nouveaux maitres de Tafilalet, et pour elle, rester c’était comme mourir. L’envahisseur prévoyait déjà de la marier pour que son sang noble se mêle à celui du général victorieux, afin de pacifier le royaume.

Tin serra les lèvres.

Sans un mot, elle se leva et Takamat comprit que l’heure du départ était arrivée.

Sans bruit, elle sortirent de la tente.

Pas de gardes, pas de feux.

Ce n’était pas nécessaire. Le voyageur assez fou pour quitter la sécurité de l’oasis savait ce qui l’attendait : des jours et des jours de marche dans un désert composé de sable, de rochers et de vents capricieux.

Seuls les guides affutés par des années de voyages pouvaient surement guider leurs caravanes. Mais une jeune femme sans expérience ? Même princesse ?

Takamat respectait le courage de sa maitresse, à peine plus âgée qu’elle, mais ne se faisait que peu d’illusions sur l’issue de leur fuite. Elle avait déjà préparé ses prières et savait que leur destination finale, elles ne l’atteindraient jamais.

Se dirigeant sans bruit vers le lieu où étaient cachées leurs montures, Tin soudain s’arrêta. Elle changea de direction et se dirigea droit vers le petit lac de la palmeraie, celui où elle aimait se baigner. Takamat, un peu inquiète, la suivit.

La princesse s’approcha et s’agenouilla. L’eau, limpide et lisse, se flétrit légèrement sous l’effet d’un petit vent. Tin recueillit un peu d’eau dans le creux de sa main et la but comme l’on boit pour la dernière fois à la fontaine de la jeunesse insouciante.

Elle leva la tête vers le ciel. Sa servante, pourtant préoccupée, ne put s’empêcher de faire de même et toutes deux, admirèrent encore la majesté de la nuit étoilée. Pas un seul nuage. Pas un bruit.

Les dieux paraissaient les aider.

La jeune princesse se souvint des leçons de son père. Il lui avait appris le nom des étoiles. Il lui avait appris à dialoguer avec la lune et à embrasser les effluves subtiles qui circulaient entre les dunes.

De ce savoir, dépendait maintenant leur survie.

La plus brillante, tout là-bas, presque à l’horizon, c’était Ahaggas, celle qui ne bougeait jamais, fière et scintillante, toujours prête à aider le voyageur égaré.

C’est elle qui les guiderait dans leur périple.

Ahaggas était leur destination.

Un soir, alors qu’elle était encore adolescente, son père, pris par une mélancolie soudaine, lui avait révélé que sa mère était en fait partie un matin, avec une petite escorte, vers Ahaggas. Tin avait à peine trois ans, mais sa mère avait promis de revenir pour son quatrième anniversaire.

La reine et sa suite avaient disparus dans les sables à la poursuite de l’étoile luminescente et nul n’avait plus jamais entendu parler d’elles.

Tin, face à cette confession tardive, n’avait pu retenir sa colère. Ainsi, sa mère était peut-être vivante ! Elle en avait voulu à son père pendant longtemps. Mais, le jour où elle lui avait demandé pourquoi sa mère l’avait abandonnée, sa réponse, pleine d’émotion, changea son destin.

Elle pardonna à son père et n’eut plus qu’une envie, partir à la recherche de sa mère.

Ce désir, dans les années qui suivirent, ne cessa de grandir. Trop jeune pour que son père la laisse s’aventurer dans le grand désert, Tin en avait profité pour apprendre à survivre dans cet immense univers figé, accueillant pour ceux qui savaient, impitoyable pour les ignorants.

Elle avait affiné ses connaissances en interrogeant les voyageurs, à l’insu de son père, cultivant ainsi son sens de l’orientation. Tin n’avait pas eu l’impression de le trahir. Après tout, il avait lui-même toujours insisté pour que l’on réponde à toutes ses questions, pour que l’on respecte sa curiosité.

A Tafilalet, tous le savait et, que ce soit la petite fille timide, l’adolescente espiègle ou la jeune femme posée, chacun avait satisfait à sa soif de connaissance. Certains, à voix basse, s’étaient plaints du nombre de questions qu’elle pouvait poser. Il semblait ne pas y avoir de fin à ses “pourquoi ?”. Elle ne s’arrêtait que lorsque son interlocuteur, homme ou femme, jardinier ou sage lettré, restait sans réponse face à son ultime interrogation.

Finalement, le vent avait tourné.

Le moment de recourir à son savoir était arrivé.

Le jour pour lequel elle s’était tant préparée s’ouvrait devant elle.

Saurait-elle en être digne ?

Agenouillée devant le lac de son enfance, Tin ouvrit son bernouz et saisit le pendentif en argent qu’elle portait autour du cou. Très simple, composé d’un cercle surmonté de trois pointes en croix, le pendentif était percé, sur toute sa longueur, d’une série de petites alvéoles rondes, bien alignés. La première d’entre elles, un peu à l’écart des autres, servait à passer le cordon, quatre autres suivaient, puis trois, pour terminer avec une dernière, elle aussi légèrement isolée et entourée d’un cercle finement ciselé.

Takamat s’approcha de sa maitresse.

Voilà, pensa-t-elle, tout était là. Leur survie, ou plus surement, leur agonie.

Liée à ce pendentif.

Tin leva l’objet devant elle, aussi loin que lui permit le cordon autour de son cou.

Elle en aligna verticalement la pointe avant sur Ahaggas, toujours lumineuse à l’horizon.

Et pendant un instant, au travers des petites alvéoles, elle aperçut neuf reflets.

Les neuf reflets de la grande étoile sur le lac.

Les neuf reflets de leur destinée.

(A suivre)

(Photo : Rosino)

Commentaires

5 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (7)”
  1. Nathalie says:

    hummm!!! c’est le pendentif qui se trouvait dans le sac??? vite la suite!!!!! génial vite jeudi!

  2. Jean-Philippe says:

    Ah, merci Nathalie !… tu es peut-être dans le vrai. 😉

  3. Argancel says:

    C’est intriguant tout cela, comme le dit Nathalie, vite jeudi 🙂

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Argancel ! Je vois que tu viens de lire tous les épisodes, alors merci encore d’avoir fait une place dans ton emploi du temps pour Madani. 😉

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