Les 9 étoiles du désert (10)

Par le 28 October 2010
dans Des histoires

Ahaggas, toujours fidèle, toujours là où on l'attend. Et vous, avez-vous votre Ahaggas ?

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

Tin émergea lentement du néant après ce qui lui parut une éternité. Avant d’ouvrir les yeux, sans qu’elle sut pourquoi, l’image de sa mère lui apparut encore.

La soleil, déjà maitre du ciel, lançait ses rayons implacables à l’assaut du désert.

Pourtant, elle ne sentit pas trop la chaleur.

Elle comprit pourquoi en essayant de bouger. Un vent assez fort soufflait sur la dune et avait commencé à les recouvrir de sable, les protégeant quelque peu de la brûlure qui venait du ciel.

Avec difficulté, elle dégagea ses jambes qui étaient déjà presque complètement ensevelies sous la force de ce vent qui soufflait de face, directement sur le flanc de l’immense dune.

De Takamat, Tin ne voyait plus que le haut du thorax. Elle roula sur le côté et secoua sa servante qui semblait ne pas vouloir sortir de sa torpeur. Tin savait que chaque geste était compté et que, plus elle ferait d’efforts pour réveiller Takamat, moins elle en aurait pour poursuivre l’ascension.

Car elle était décidée à continuer.

Heureusement, sa jeune servante ouvrit enfin les yeux, ayant peut-être récupéré quelques forces pendant la nuit. Les yeux vides, elle sembla ne pas reconnaitre sa maitresse. Elle regarda autour d’elle mais son regard ne trahit aucun sentiment.

Tin l’aida à repousser le sable qui la recouvrait et, dans un effort à la fois dérisoire et empreint de beauté, les deux jeunes femmes reprirent leur ascension de la dune monumentale.

Il n’était plus question de but. Il n’était plus question d’oasis. Il n’était plus question de mère à retrouver.

Simplement faire un pas. Un autre. Et puis encore un autre, pour ensuite glisser un peu sur la pente et recommencer.

Ne pas s’arrêter.

Elles continuèrent ainsi pendant un temps qu’elles ne purent mesurer, avançant, se soutenant, glissant, repartant jusqu’à ce que, essoufflées et étourdies, elles durent à nouveau se laisser tomber contre la pente.

Tin regarda vers le bas pour mesurer leur progression et vit que les traces de la nuit passée étaient toutes proches. Elles n’avançaient pas.

La pente devenait trop forte et le sable les repoussait vers le bas. Heureusement, le vent leur évitait d’étouffer dans la fièvre qui écrasait le désert.

La princesse se releva, secoua Takamat mais cette dernière refusa de bouger, pointant une main tremblante à l’opposé de la dune, vers une vallée encaissée entre deux collines de rochers, usées par les vents.

Ce qu’y vit Tin la fit retomber sur le flanc de la dune.

Là-bas, se détachait nettement une surface brillante, avec sur le côté, comme des petits bâtons qui devaient être des arbres.

Une oasis.

Leur cœur se mit soudain à battre très fort. Takamat, pour la première fois depuis longtemps, se releva d’elle-même, transcendée par cette image. Elle commença à descendre la pente mais, trop faible, trébucha, roulant dans le sable.

Tin la rattrapa avant qu’elle ne glissât trop. Le fait de se pencher vers Takamat, fit rouler le pendentif hors de son vêtement, ce dernier se balançant au bout de son cordon. En le voyant, Tin comprit leur erreur.

Elle attrapa Takamat qui s’apprêtait à se relancer dans la pente et lui montra le pendentif. Face au visage de Takamat sans réaction, Tin en dirigea la pointe vers le haut de la dune.

Takamat secoua la tête et montra encore l’étendue brillante, au loin.

Tin la secoua par les épaules et tenta de prononcer le mot “mirage”. Elle ne put qu’articuler le son “mi” mais ce fut assez pour que sa servante comprît. Takamat se leva à nouveau et, avec une force surprenante, repoussa sa maitresse.

Elle regarda à nouveau au loin et, recommença sa descente.

A ce moment-là, la tache brillante disparut d’un coup.

Surprise, Takamat fit un autre faux pas et dévala encore un peu la pente.

Tin aussi fut surprise. Elle n’avait pas réellement su si c’était un mirage ou pas. Elle n’avait fait que suivre son instinct. Hier soir, elle n’avait pas vu Ahaggas, c’était donc que l’étoile se trouvait derrière la dune. Le pendentif, en apparaissant au moment opportun, venait de les sauver.

Sauver ?

Sauver de quoi, se dit-elle. Elles étaient toujours bloquées sur cette dune et se trouvaient maintenant plus bas que ce matin.

Tin rejoignit Takamat, prostrée. Elle l’aida à se relever et à repartir. Cette dernière regarda encore en arrière et vit à nouveau là-bas, cette tache lumineuse comme entourée de palmiers. Mais cette fois-ci, docile comme un petit animal blessé, elle se laissa emmener par sa maitresse.

Le visage d’Ighlaf, un vieux guide qui l’avait emmené, elle et son père, pour de longues promenades dans les dunes, lui apparut. Qu’aurait-il fait dans cette situation ? Avait-il seulement eu à franchir une pareille montagne de sable, si haute qu’on avait l’impression qu’elle touchait le ciel ?

Comment ses petits yeux durs et foncés, cachés derrière leur voile bleu auraient-ils jugé cette pente défiant les hommes les plus courageux ? Il n’aurait pas hésité lui. Tin se força à penser comme Ighlaf. Elle essaya de se glisser derrière son regard, d’être son ombre, de sentir ses réactions.

Tin oublia le temps. Le vent n’eut plus d’effet sur elle. Takamat disparut. Elle était le vieux guide des sables, qui d’un regard pouvait à la fois lire le paysage, discerner la moindre forme au loin et même, deviner ce qui n’était pas encore visible aux autres.

La princesse tourna légèrement la tête. Elle sut avec clarté que c’était par là qu’elles devaient avancer. Quitter la pente fourbe pour avancer par les côtés. Tin cligna des yeux comme si elle sortait d’un rêve. Comment n’avait-elle pas compris ça plus tôt ?

Entrainant Takamat, elle se mit à avancer sur le versant de la pente. Ce n’était pas aisé, il fallait garder l’équilibre et puis le vent, soufflant maintenant de côté, leur envoyait des poignées de sable dans le visage, piquant leurs yeux déjà douloureux.

Au bout d’un moment, Tin, les fit tourner et elles repartirent de l’autre côté, cette fois-ci vers la droite de la pente.

A mesure qu’elles avançaient, elles pouvaient voir en contrebas leur traces s’éloigner. Cela dut leur redonner un regain d’énergie car Tin n’eut plus besoin de soutenir Takamat qui avança seule, ouvrant même la marche.

Combien de temps, tournèrent et retournèrent-elles ?

Tin remarqua seulement que le sommet semblait se rapprocher. Il paraissait maintenant possible de l’atteindre avant la nuit.

Elle avait besoin de voir Ahaggas.

Au moins, une dernière fois.

La chaleur sembla augmenter. Takamat aussi le sentit et s’arrêta. Quelque chose avait changé. De minute en minute, la chaleur devenait de plus en plus oppressante.

Le vent était tombé.

Ce vent qui leur avait permis de monter sans trop souffrir de la chaleur, avait disparu. Et maintenant, livré à lui-même, le soleil métallique écrasait la dune de tout son poids, la vidant de son air et de sa vie.

Elles n’eurent pas besoin de se regarder. Continuer à avancer sur les côtés sous cette chaleur était suicidaire, car cela rallongeait énormément le temps qu’il faudrait pour atteindre le sommet.

En même temps, elle se mirent à quatre pattes et commencèrent à avancer tout droit en direction du sommet. Immédiatement, elles glissèrent. Mais elles s’accrochèrent. Le sommet était proche.

Si proche maintenant.

Elles passèrent les heures qui suivirent à lutter d’une énergie presque animale, refusant de se laisser dompter mais, rapidement, elles épuisèrent le peu de forces qu’elles avaient pu préserver avant que le vent ne tombât.

Elles finirent par ramper dans le sable brûlant.

Cette fois-ci, Tin sentit la fin approcher.

C’était comme si la dune essayait de les avaler. Comme si elle les aspirait. Les deux femmes s’enfonçaient dans le sable, glissant sur la pente, leurs bras et leurs jambes disparaissant à chaque recul. La lutte semblait inégale. Le monstre de sable n’avait qu’à attendre. Elles finiraient bien par abandonner et il n’aurait qu’à les engloutir.

Le soleil commença à décliner. La chaleur se fit moins lourde.

Cela n’avait plus d’importance.

Takamat était déjà immobile un peu plus bas.

Tin s’arrêta aussi et décida que c’était suffisant.

Elle s’était assez donnée pour mériter le respect de sa mère et de son père.

L’heure de dormir était venue. La dune avait gagné.

Son corps ne la faisait même plus souffrir, comme s’il ne lui appartenait plus. Boire, manger ? Cela n’avait plus d’importance depuis longtemps. Elle n’attendait plus rien. N’espérait plus rien.

Allongée dans le sable, les vêtements couverts de sable, Tin aperçut un coin de ciel. De minute en minute, il perdait ses teintes azures.

Quelque chose en elle, affleura. Une dernière pensée.

Ahaggas.

Elle voulait savoir.

Avant de s’éteindre, elle voulait savoir si elle avait raison, elle voulait savoir si elle avait bien suivi la voie de sa mère. Rampant à nouveau sur le sable, elle se traina sur les coudes, les dents serrées, gémissante.

Le ciel tournait au bleu profond lorsque sa main toucha le vide au-dessus d’elle.

Tin se contenta d’agripper l’arête de la dune pour hisser son regard au-delà de la montagne de sable.

Ses yeux ne virent d’abord que du ciel. Un ciel d’un bleu profond. Immense et dans lequel elle faillit se noyer, tellement il était beau. Pur. Fier.

Poussant un peu plus sur ses bras, elle aperçut quelques sommets très loin.

Elle resta ainsi quelques instants, haletante et soudain entre deux pics elle aperçut une faible lumière, encore tremblante dans le jour finissant.

Elle se laissa retomber et ferma les yeux.

Ahaggas était au rendez-vous. Tin aussi. Pour la dernière fois.

Elle voulut se rendormir. Un bruit l’en empêcha. Comme un aboiement lointain.

Malgré son état, elle eut encore la force d’ouvrir les yeux et de tirer à nouveau sur ses bras.

Ses yeux arrivant au niveau de l’arête de la dune retrouvèrent Ahaggas qui, maintenant majestueuse dans la nuit tombante, semblait l’appeler de tous ses éclats.

Tin poussa un peu plus et regardant en dessous de l’étoile découvrit quelque chose qui l’aurait fait pleurer si elle avait encore eu des larmes à verser.

Un lac.

Un lac vaste, tout en longueur.

Et une palmeraie.

La vie.

Elle se laissa retomber, hébétée.

Elle resta prostrée quelques instants, les yeux fermés, le souffle court.

Tin hésita longtemps avant d’oser regarder à nouveau. Elle savait que sa vie se jouait sur cette trop belle image. Dans un instant, elle saurait si elle vivrait ou elle mourrait. Haletante, elle attendit que la nuit fut complète. Il n’y a pas de mirages la nuit.

Ses mains agrippèrent à nouveau l’arête.

Elle se hissa.

Ahaggas, toujours fidèle, brillait très fort et, dans les eaux du lac, Tin vit le reflet de l’étoile de sa mère.

Le reflet de la vie.

(A suivre)

(Photo : Rosino)

Commentaires

5 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (10)”
  1. Nathalie says:

    Encore un épisode qui donne envie de poursuivre et de savoir … 🙂

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Nathalie ! Ma plus dévouée des lectrices. 😉

  3. Me says:

    Allons nous revenir a Madani ou continuez avec notre chere Tin apres

    dans tout les cas c’est encore un passionant chapitre

    bonne chance pour la suite !

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Me ! Waow, tu lis dans les reflets du lac pour connaitre la vérité… 😉

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