Les 9 étoiles du désert (6)

Par le 30 September 2010
dans Des histoires

Où sont les étoiles ?

Cet article est la sixième partie d’une histoire qui a commencé ici.

Le reste du voyage se poursuit tranquillement.

Madani reste souvent silencieux.

Julien lui, commence à apprécier ce silence qui les entoure lorsqu’ils font des pauses soit pour manger, soit pour dormir. Les mouvements de foule auxquels il est habitué à Paris s’estompent petit à petit.

Un calme nouveau remplit doucement son esprit. Il se détend.

Et lorsqu’il arrivent à Agadez, il n’est déjà plus tout à fait le même qu’à l’aéroport de Niamey.

Une seule tour domine la principale ville du peuple Touareg. Madani lui explique que c’est la mosquée, construite en argile il y a très longtemps et restaurée au XIXe siècle. Le reste de la ville, lui, s’étale en couleurs ocres tout autour.

Il passent la nuit chez un oncle, mi-maitre d’école, mi-marabout qui raconte d’étranges histoires à Julien sur les gloires passées de son peuple et, dès le lendemain matin, ils repartent vers le nord.

“Où allons-nous ?” demande Julien, qui maintenant a complètement renoncé à comprendre ce que Madani attend de lui.
“Nous allons dans le berceau de ma famille. A Tidène, là où les Sadeck ont leurs vraies racines,” répond son chauffeur avec une pointe de fierté.

Julien a noté que l’oncle marabout et le reste de la famille se sont comportés d’une façon particulière avec Madani. Il y avait une certaine réserve, une certaine distance. Quelque chose d’infime, mais qu’a bien perçu l’apprenti-courtier.

A mesure que l’on approche de la vallée de Tidène, le paysage commence à changer quelque peu. De plus en plus de sable, de moins en moins d’arbres. Certes ils sont encore entourés par des monts rocailleux mais Julien a la sensation de rentrer dans un autre monde.

Le village de Madani est tout simple, fait de quelques habitations dispersées. Finalement, ils s’arrêtent devant une grande tente, un peu à l’écart des autres maisons.

“Voilà,” dit simplement Madani.

Il coupe le moteur et à nouveau un silence dense emplit instantanément l’atmosphère. Seuls quelques chiens aboient au loin.

Une jeune femme sort de la tente, suivie d’une enfant.

“Ma femme,” murmure Madani.

Cette dernière s’avance vers Julien, son voile ne cachant pas du tout son visage, à l’inverse de son époux. Ses traits fins et une bouche qui parait lui sourire, lui donnent une certaine élégance.

Elle le salue doucement, sans mot dire. La petite fille s’accroche à la jambe de sa mère et jette un œil suspicieux à Julien.

Il a lu quelque part que les Touaregs sont originellement une société matriarcale. C’est l’épouse qui possède la tente et les bêtes et l’arrivée de l’Islam n’a que peu modifié ces règles.

Ils entrent sous la tente. Le thé est prêt.

Ils boivent en silence les 3 verres.

Et maintenant ?, se dit Julien. Me voilà arrivé au bout de mon voyage. Au-delà, c’est le désert, le Ténéré.

Un bruit de pas rapide se fait entendre et soudain un petit garçon d’une dizaine d’années fait irruption sous la tente, un grand sourire aux lèvres. Son regard pétillant et curieux dévisage le jeune parisien.

“Bonjour !”, lance-t-il de sa voix fluette.
“Bonjour,” répond l’apprenti-courtier en riant. “Je m’appelle Julien, et toi ?”
“Madani !” dit-il fièrement.

Julien fronce les sourcils et regarde l’autre Madani, le père.

“C’est une tradition de porter le même nom comme ça, de père en fils ?”

L’homme aux yeux perçants regarde sa femme puis parle, lentement.

“Non, ce n’est pas une tradition chez nous.”

Le silence se fait plus lourdement sentir sous la tente. Même le petit Madani ne sourit plus. Sa petite sœur garde les yeux fixés sur Julien. Ce dernier sent une gêne s’installer.

“Nous parlerons ce soir,” conclut Madani qui se lève et quitte rapidement la tente.

Julien seul, avec le reste de la famille Sadeck, se sent encore une fois, perdu.

C’est étrange comme dans le désert, un moment vous êtes à l’aise et l’autre, vous vous sentez comme un complet étranger. Il n’y a pas de demi mesures comme à Paris. Là-bas, le jeune homme connaissait beaucoup de monde, un peu.

Ici cela change constamment.

Quelqu’un avec qui vous vous sentez bien, devient un inconnu à cause d’une parole, d’un geste.

Ce doit être parce que je viens de loin, pense Julien.

Le soir, une fois le repas terminé, une fois le soleil couché, Madani, le père, se lève et regarde Julien. Ce dernier comprend et se dresse aussi pour le suivre hors de la tente. Ils marchent jusqu’au centre du village.

En chemin, passant devant une autre tente, il entend des voix d’enfants murmurer “takafirt, takafirt !” dans sa direction, mais il n’y prête pas attention.

Finalement, ils s’arrêtent devant quelque chose qui ressemble à un large puits, sauf qu’il est rempli d’eau, presque à ras bord.

“Notre bien le plus précieux, notre fontaine” dit simplement Madani.

Il s’assoit devant elle et Julien fait de même.

L’eau est pratiquement immobile à la surface. Le jeune courtier peut voir une grande étoile s’y refléter.

“Les Sadeck avaient la réputation d’être de grands forgerons. Nous étions connus comme les plus talentueux tout autour du désert, bien au-delà du Ténéré à l’est et des montagnes de l’Ahaggar au nord.”

Julien hoche doucement la tête.

“Chaque fils ainé de la famille doit répondre à une simple question, avant de commencer son apprentissage. Il doit découvrir les 9 étoiles qui baignent dans cette fontaine.”

Le jeune parisien fronce les sourcils et regarde fixement l’eau sur laquelle il ne voit miroiter que cette grande étoile.

“La réponse est simple, une fois que l’on peut penser autrement.”

Julien perplexe, commence à se pencher en avant, essayant de voir 9 étoiles dans l’eau immobile.

“J’en vois trois,” dit-il, concentré sur le reflet.
“Oui,” sourit tristement Madani, “on commence par en voir trois, et ensuite quatre, parfois cinq ou six.”

Il fait une pause.

“Mais jamais 9 étoiles.”

Julien se tourne vers lui.

“Et la solution ?”
“C’est à vous de la trouver. C’est la tradition.”
“Mais je ne sais pas, moi…”
“Réfléchissez. Pensez différemment. Quand vous aurez trouvé, je vous expliquerai le reste.

Madani se lève et s’éloigne.

Julien, un peu bougon, reste assis devant la fontaine.

Je ne suis quand même pas venu au bout du monde pour jouer aux devinettes, se dit-il.

La température tombe. Le jeune homme commence à frissonner. Il a envie de retourner sous la tente mais quelque chose le retient. Il aime bien Madani père et fils ainsi que le reste de la famille.

Comme l’ont fait de nombreuses générations de Sadeck avant lui, Julien se penche dans tous les sens, essayant de trouver le meilleur angle pour voir 9 étoiles se reflétant dans l’eau de la fontaine.

Et bien sûr, il n’y arrive pas.

Au bout de deux heures, le jeune homme en a assez. Il a froid et commence à somnoler devant le rebord de la fontaine. Je vais rentrer, se dit-il, j’aurai au moins montré que j’aurai essayé.

A ce moment, il entend un petit bruit derrière lui. Quelque chose lui touche le dos. Il sursaute un peu et se tourne brusquement.

Le jeune Madani, fait un bond en arrière, sa main lâchant prestement l’épaule du garçon. De l’autre, il tient un bernouz.

Julien lui sourit. “Désolé, je crois que je m’étais endormi.”

Le petit garçon retrouve immédiatement son sourire et ouvrant le bernouz, couvre les épaules de l’apprenti-courtier.

Il s’assoit à ses côtés.

“Merci Madani.”
“C’est normal,” répond le jeune Sadeck avec une grande assurance pour son âge, “vous êtes notre invité.”

Il fait une pause et enchaine.

“Vous savez, il faut vraiment, que vous trouviez les 9 étoiles…”
“Mais pourquoi ?”, chuchote Julien, un peu agacé par tous ces mystères.
“L’avenir de la famille en dépend,” répond Madani d’un ton sérieux.
“Mais pourquoi, moi ?” demande le jeune homme. “Je n’ai rien à voir avec les Touaregs et vos histoires.”
“Mon père vous a choisi. C’est tout.”

Julien ne répond pas. C’est tout !, pense-t-il, c’est tout ! et me voilà pieds et poings liés dans des histoires d’un autre âge qui ne m’intéressent ni ne me concernent pas. Je suis en vacances, moi !

Il reprend la parole.
“Combien de temps faut-il pour trouver la solution ?”
“Environ 5 ans,” répond Madani, le plus sérieusement du monde.

Julien manque de s’étouffer.

“Quoi ? Cinq années ?” articule-t-il en essayant de ne pas crier. “Mais moi je pars dans une semaine !”
“Oui, et comment ?” dit le garçon d’une voix calme.

Le jeune parisien essaye de garder son calme. Il ne veut pas croire ce qu’il est en train de comprendre. On va le garder prisonnier, ici ? Jusqu’à ce qu’il résolve une stupide énigme ? Mais c’est de la folie !, pense-t-il.

Malgré tout, il comprend qu’il est bel et bien pris au piège, loin de tout.

En plus, personne en France ne sait exactement où il est.

Personne ne va le chercher.

“Ne vous inquiétez pas,” tente de le rassurer Madani, “ce n’est pas si grave.”
“Ah oui ? Je risque de passer toutes les nuits de mes 5 prochaines années devant ce puits à chercher des étoiles dans une fontaine et je devrais peut-être me réjouir ?”

Julien laisse retomber sa tête et soupire bruyamment.

“Je peux peut-être vous aider,” lui dit Madani.

Le jeune homme ne réagit pas.

“Je connais la solution de l’énigme.”

(Suite)

(Photo : Zach Dischner)

Commentaires

11 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (6)”
  1. David says:

    Pour être honnête, l’épisode 5 ne m’avait pas spécialement emballé. Un peu “expédié” en raison de ses dialogues courts et d’un style un peu trop allégé. Avec ce nouvel épisode, je replonge complétement au coeur de l’intrigue et de ses mystères… Tu as l’art de générer l’interrogation et tu as su remettre la touche de suspens que tu maîtrises parfaitement ! Les questions sont nombreuses… Vivement les réponses !

  2. Jean-Philippe says:

    Merci David pour ton retour très franc ! et heureux de te voir replonger dans l’intrigue. 😉

    PS : Levé tôt, non ?

  3. Nathalie says:

    encore un très bon épisode avec de nouveaux mystères…

  4. Jean-Philippe says:

    Merci Nathalie ! Je te sens perplexe là… Madani ? 😉

  5. kategriss says:

    Toujours aussi sympathique et intéressante ton histoire, on plonge dedans sans se poser de questions 😉
    J’ai hâte d’en voir la fin 🙂

    J’espère que ça va “bien” se finir car je trouve un peu “dur” de la part de Madani père de choisir un étranger et non pas son fils pour sa succession, mais je suppose qu’on en saura plus dans la suite 😉

  6. Jean-Philippe says:

    Merci kategriss ! et merci aussi de donner ton opinion car c’est toujours intéressant pour moi de savoir ce que chacun pense. 😉

  7. Nathalie says:

    Perplexe quant à la solution de l’énigme oui … c’est un peu près à quel épisode où ont va savoir ce qu’il y avait dans le sac? 😉

  8. Jean-Philippe says:

    Ah Nathalie, ce qu’il y avait dans le sac de Madani te tracasse vraiment ! 😀

  9. fabrice says:

    Toujours aussi bien écrit!

  10. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup fabrice ! 🙂

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