Les 9 étoiles du désert (5)

Par le 23 September 2010
dans Des histoires

9 étoiles ?...

Cet article est la cinquième partie d’une histoire qui a commencé ici.

“Qu’est-ce que vous voulez ?” lui demande Julien, toujours paniqué.

L’homme ne répond pas tout de suite. Ses yeux restent pénétrants comme rarement Julien en a rencontrés.

“Vous n’avez personne qui vous attend,” répond enfin l’inconnu. “Et vous ne savez pas où aller.”
“Qu’est-ce que ça peut vous faire ?”
“Rien, mais comme j’ai besoin de vous, je suis venu vous attendre ici.”

Julien baisse les yeux une seconde, ne comprenant pas où l’autre veut en venir.

“Pourquoi ?” lance-t-il d’un ton qu’il veut agressif, sans vraiment y parvenir.
“Je peux vous expliquer mais nous pourrions partir tout de suite, puisque vous allez venir avec moi. En plus, il n’y a plus de vols aujourd’hui et l’aéroport va fermer.”

L’apprenti-courtier hésite. Ce n’est pas comme ça qu’il imaginait sa première soirée au Niger. En même temps, il ne sait pas pourquoi, il y a quelque chose qui fait que l’homme aux yeux perçants ne lui parait pas dangereux.

“On irait où ?”
“J’ai de la famille à Agadez.”
“Agadez ? Vous plaisantez ? C’est loin ça ! et il fait presque nuit !”
“On pourra parler en route.” Il fait une pause. “Ou alors, prenez un taxi pour Niamey.”

Quelques minutes plus tard, les deux hommes sont entassés dans un vieux 4X4 poussiéreux dont les phares n’éclairent que très peu la piste en latérite, laissant Niamey derrière eux.

Julien se dit qu’il est fou. L’autre va s’arrêter lorsqu’ils seront loin de tout, il va sortir un grand couteau, il va le voler et… Mais en même temps, il sent en lui une certaine excitation. Après tout, c’est ça qu’il voulait ! De l’aventure ! Bon sang, ça va faire de sacrés histoires à raconter en rentrant.

L’inconnu ne semble pas être pressé de s’expliquer. Il reste silencieux et Julien ne sait pas trop quoi dire.

“Vous êtes d’Agadez ?” lui demande-t-il enfin.
“J’ai de la famille là-bas.”
“Comment vous saviez que j’allais arriver par cet avion ?”
“Je ne le savais pas.”
“Mais alors, pourquoi ?…”

L’inconnu ne répond pas et Julien sent à nouveau l’inquiétude monter en lui. Cette fois-ci c’est une réelle angoisse qui le prend. Une de celle qui vous empoigne lorsque vous avez misé beaucoup sur le dollar et que le billet vert est en train de dégringoler.

Perdu dans ces pensées, fatigué par l’excitation du voyage et bercé par le ronronnement du moteur, Julien finit par s’endormir, dans un rêve peuplé de dollars qui le pourchassent avec des coupes-coupes.

Quand il se réveille en sursaut, il lui faut quelques secondes pour se rappeler où il est. Une fois qu’il retrouve ses esprits, il comprend que quelque chose n’est pas normal.

Le silence.

Un silence incroyable, un silence qui vous enveloppe et étouffe tous les sons.

Le moteur du 4X4…

Soudain, tout redevient clair.

Il est dans le véhicule arrêté, complètement dans le noir. Il fait un peu froid. Cherchant à comprendre où est passé son chauffeur, il regarde autour et aperçoit derrière lui une lueur. Tout ankylosé, il ouvre la portière et descend difficilement du 4X4. Il s’avance tout en se massant le bras gauche sur lequel il a dû dormir pas mal de temps.

Il y a un petit feu.

L’inconnu est assis. Il ne bouge pas. On dirait qu’il médite.

Julien s’approche un peu plus et l’autre, sans même bouger la tête, lui parle.

“Vous avez dormi. Vous en aviez besoin.”
“On est où ?”
“Arrêtez donc de poser des questions et venez manger. Nous sommes entre Niamey et Agadez. Nous venons de passer Filingué mais je sais que ça ne vous dit rien. Il se fait tard et moi aussi, je suis fatigué. Alors, nous allons dormir.”

Julien se dit que cet inconnu est soudain bien bavard. Il regarde autour de lui. Rien. Juste le noir total et un silence assourdissant.

“Je ne vois pas d’hôtel.”
“J’ai déjà préparé nos bernouz.”

Des sortes de gros manteaux sont posés non loin de là. Julien comprend enfin. Ils vont dormir à la belle étoile.

C’est vraiment l’aventure.

Il prend les quelques dattes que lui tend l’inconnu, en mange une ou deux par politesse mais il n’a pas faim.

Son chauffeur en a aussi terminé. Il se lève, range ses affaires, donne un des bernouz au jeune homme avant de revêtir le sien et de se coucher, à même le sol.

Julien s’allonge et s’enroule du mieux qu’il le peut dans son manteau, face au ciel. Il est fasciné par le nombre d’étoiles qu’il peut distinguer et par leur luminescence.

C’est vraiment beau. Il n’en a jamais vu autant de sa vie.

Il se sent minuscule.

Il lève la tête pour voir ce que fait son chauffeur mais ce dernier semble déjà dormir.

Un nouveau doute surgit. Et s’il allait profiter de son sommeil pour le voler, ou même pire ?… Il respire profondément. Il aurait déjà pu le faire à de multiples reprises. Non, il y a quelques chose d’intrigant dans cet homme.

On verra bien demain.

Tout doucement, il se relaxe et il repense à ce matin. Il était dans le métro bondé, avec tous ceux qui partaient au travail et le voilà, ce soir, au beau milieu de l’Afrique en train de dormir autour d’un feu, loin de toute civilisation moderne. Ses lèvres esquissent un sourire.

Oui, c’était une bonne idée.

Julien s’endort d’un sommeil profond et réparateur. D’un sommeil comme il n’en a plus connu depuis son enfance, un de ces sommeils qui vous emmène au plus profond de votre âme, là où on ne peut plus se mentir. Là où on se redécouvre tel que l’on est.

Et dans son sommeil, Julien se détend. Il commence à récupérer de ces 5 années de stress intense. Son sommeil est pur et réparateur comme seuls peuvent l’être ces sommeils dans la nature, à la belle étoile, en communion avec les éléments.

Il ne se réveille que lorsque son compagnon lui secoue un peu l’épaule.

“Levez-vous, il faut partir avant le lever du soleil.”

Julien se redresse doucement. Il est surpris, parce que d’habitude après une nuit aussi courte, il aurait mal au crâne. Il serait pâteux. Mais non, ici sa tête est claire, légère. Il se demande si c’est dû juste à l’excitation du voyage ou à l’air du Niger.

Son chauffeur est accroupi devant le feu qu’il a ranimé et est en train de nettoyer des petites galettes. Il lui en tend une.

“C’est une tagella.”
“Merci.”
“Et là, il y a des dattes et un peu de fromage de chèvre.”
“Merci.”

C’est tout ce que Julien peut répondre.

Merci.

Il est de plus en plus déstabilisé par la gentillesse austère de cet inconnu dont il ne connait même pas le nom. Il va pour lui demander mais l’autre déjà, lui parle encore.

“Je prépare le thé.”
“C’est gentil.”
“Nous allons en boire 3 verres chacun, tirés des mêmes feuilles.”
“…pourquoi ?”
“Chez nous, c’est la tradition. Ce serait une insulte de refuser. Nous disons que le premier thé est amer comme la vie. Le deuxième est fort comme l’amour et le troisième est doux comme la mort.”

L’homme commence à verser le thé.

“Et après ces 3 verres, nous serons amis.”

Il lève ses yeux perçants et, pour la première fois, il sourit.

Julien prend son petit verre brûlant et porte le liquide à ses lèvres. C’est vrai que c’est amer. Mais c’est bon, dans ce matin frais où, tout autour de soi la nature se réveille, de boire quelque chose de chaud.

L’aube est là et il commence à distinguer dans ce bleu profond le paysage qui les entoure, aride, avec des montagnes basses et des vallées.

L’inconnu lui verse le deuxième verre.

Julien boit silencieusement. Le goût fort lui fait repenser à sa famille. Elle est loin de se douter. . S’ils le voyaient, là, maintenant !

Malgré lui, il sourit.

L’autre l’a vu et l’interroge du regard.

“Non, non,” répond Julien. “Je pensais juste à ma famille.”

L’inconnu hoche de la tête et lui verse le troisième verre.

Effectivement, la douceur de ces dernières gorgées lui fait songer que, vu sous cet angle, la mort doit être bien agréable.

Julien repose son verre et regarde à nouveau son chauffeur qui est en train de finir sa tagella avec un peu de fromage.

“Merci pour ces 3 thés.”

Il tend la main.

L’autre pose sa tagella et la prend fermement.

“Et merci pour tout. Je m’appelle Julien, et vous ?”

“Madani. Bienvenue en pays Touareg.”

(Suite)

(Photo : Jesse?)

Commentaires

6 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (5)”
  1. Coumarine says:

    “Julien s’endort d’un sommeil profond et réparateur. D’un sommeil comme il n’en a plus connu depuis son enfance, un de ces sommeils qui vous emmène au plus profond de votre âme, là où on ne peut plus se mentir. Là où on se redécouvre tel que l’on est.”
    Ton histoire n’est pas une simple histoire… rien que pour ces mots que je cite, ça vaut la peine de te lire…
    Et ici tu fais le lien entre les deux personnages… mais comment Mandani s’est-il débrouillé après avoir été “abandonne” par son père… Je suppose qu’on va le savoir au fil de tes mots..

  2. AMie says:

    Ouf ! Le petit Madani s’en est sorti… 😉
    Et Julien ? Il va s’en sortir aussi de sa pseudo-civilisation, quitter la table 12 par exemple ? 😉

  3. Jean-Philippe says:

    @Coumarine @AMie Merci beaucoup pour vos commentaires et surtout vos analyses. Vos extrapolations sont très intéressantes et utiles pour moi. 😉

  4. Nathalie says:

    ahahhaha je savais que c’était Madani !!!! je suis en retard cette semaine!! mais bon j’imagine bien la suite!! comme nous sommes samedi, j’ai pas trop à attendre jusqu’à jeudi la suite! 🙂
    il y avait quoi dans le sac??? j’ai des idées mais bon… j’attends! bisous 😉

  5. Jean-Philippe says:

    Merci Nathalie ! Ton enthousiasme fait vraiment plaisir. 😀

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