Les 9 étoiles du désert (2)

Par le 2 September 2010
dans Des histoires

Là, se trouve la vérité, sans artifices.

Cet article est la deuxième partie d’une histoire qui a commencé ici.

Madani était fier ce soir.

Il était là, aux côtés de son père et de son oncle maternel, Elhadji. Ils regardaient en silence le petit feu autour duquel ils avaient mangé et partagé le thé. Tout autour d’eux, le sable et ses dunes formait un écrin dans lequel il était aisé de s’oublier. La température était basse mais, bien enveloppés dans leur bernouz, ils restaient silencieux.

Tout avait été dit. Il n’y avait plus besoin de parler. Seulement méditer pour respecter l’immensité aride qui les entourait et qui, à la moindre erreur de l’imprudent voyageur, pouvait l’engloutir en silence.

Depuis qu’il avait vu les 9 étoiles dans l’eau de la fontaine, tant de choses avaient changé pour Madani.

Dès le lendemain, le village avait retrouvé une certaine allégresse, les femmes laissant échapper leurs rires frais, les hommes s’apostrophant en haussant la voix plus qu’il n’était nécessaire.

Et puis, il y avait eu la cérémonie.

Cette longue suite de rituels entremêlés de chants et de danses avait duré jusque tard dans la nuit. Ce soir là, Madani, était aux yeux de tous, devenu un homme.

Un vrai Touareg.

Toute sa famille s’était réunie pour l’événement. Même les membres éloignés étaient arrivés d’autres villages, apportant chacun un présent. Mais, le jeune garçon n’avait que peu regardé les différents cadeaux qui avaient été déposés devant la tente familiale. Non, le plus important pour lui, c’était le signe qui le distinguerait des autres enfants comme étant maintenant un homme, prêt à affronter tous les périls de la terre et du désert. Prêt à commencer son apprentissage de ciseleur. Prêt à vivre sa nouvelle vie.

Ce soir, dans cette veillée familiale, il portait son tagelmoust dont il avait enveloppé sa tête pour la première fois tout laissant voir ses yeux et son nez en signe de respect envers son père et son oncle. Ces derniers ne laissaient apparaitre que leur regard, un signe qui indiquait leur rang. Leur tagelmoust s’enroulait étroitement autour de leur tête comme une deuxième peau, bleue, protection naturelle face au sable et au soleil du désert.

Son oncle, alors que le lendemain ils avançaient sur leurs montures en direction de Timia, lui avait rappelé que le tagelmoust était aussi une défense contre les différents esprits qui couraient le désert. Il avait particulièrement insisté sur les dangers du tehot, cette parole perfide qui sous une éloge cache l’envie et la jalousie.

Dans la famille, on complimentait avec parcimonie, à mots mesurés, en prenant soin de ne pas être hypocrite. Se répandre en compliments exagérés et peu sincères, ajouta Elhadji, risquait de blesser voire même de tuer la famille ou les animaux auxquels ils étaient adressés.

Le tagelmoust couvrant la bouche, servait de protection contre ces verbes aux sonorités séduisantes mais cruellement venimeuses pour l’âme. Madani, maintenant protégé par son voile, ne risquait plus d’être touché par ces paroles trop faciles qui ne pourraient s’infiltrer en lui par la bouche.

Pour faire bonne mesure, la mère de Madani lui avait aussi passé autour du cou une amulette qui renfermait un verset sacré du Coran. Deux protections valaient mieux qu’une. On était jamais assez prudent face au tehot.

C’est encore sa mère qui avait chanté pour lui le lendemain, jour de son départ. Avec les autres femmes du village, dans une mélodie lancinante reprise en chœur, entrecoupée de youyou aigus, rythmée par un claquement de mains rapide, elle lui avait souhaité la protection des esprits du désert et du Tout-Puissant.

Derrière son tagelmoust indigo, juché sur son dromadaire, Madani n’en menait pas large. Fatigué par toutes ces cérémonies, grisé par le vent du départ, il aurait juste voulu pour un moment être seul dans les bras de sa mère, sous la tente. Il aurait voulu la serrer fort pour lui dire combien, cette première séparation était difficile et qu’elle allait lui manquer.

Cette dernière, comme toute femme Touareg, seule propriétaire de la tente et de tous les biens de la famille, se devait tenir son rang et à ce moment précis, digne et belle, elle offrait son enfant devenu homme, à l’éducation du désert.

Alors, tous les trois, ils avaient cheminé. Ils avaient laissé la vallée de Tidène pour avancer dans ce qui pour le garçon, représentait l’inconnu. Sur la droite, les monts Bagzane s’étaient dressés, imposants, semblant veiller sur eux. Au bout de trois jours, ils avaient atteint Timia qui avait paru immense et bruyante à Madani. Il avait levé son tagelmoust haut, couvrant bien sa bouche.

Leur groupe était resté dans la ville juste le temps de faire quelques provisions, avant de repartir vers l’est.

Vers le désert. Vers le Ténéré.

Le jeune homme n’avait osé demander à son père ou son oncle quelle était leur destination. Il les suivait, observant simplement le paysage qui s’était mué de collines et rocs en sable fin et petites dunes, aussi loin que l’œil pouvait contempler. Il n’avait pas eu peur en pénétrant dans ce domaine interdit, cette étendue silencieuse, comme suspendue dans le temps.

Le sixième jour, leur rythme s’accéléra comme si son père et son oncle étaient pressés. Peut-être allait-on à la rencontre de quelqu’un ? Le pas plus rapide, la chaleur étouffante, la clarté éblouissante n’empêcha pas Madani, comme les jours précédents, de somnoler.

Un cri bref et perçant fit stopper leur petite caravane. Le garçon, émergeant de ses songes, regarda rapidement autour de lui, s’attendant à voir d’autres hommes surgir. Mais non, rien. Juste l’immensité lisse du sable avec devant eux, les premières dunes et derrière, très loin derrière, presque invisibles sur l’horizon, les monts qu’ils avaient laissé.

C’était la voix de son père qui avait réveillé Madani. Ce dernier consulta du regard Elhadji et ils repartirent d’un même rythme rapide.

Finalement, alors que la journée se terminait, les deux hommes arrêtèrent de nouveau brusquement leurs montures comme s’ils hésitaient. Ils examinèrent minutieusement le ciel où les premières étoiles se dévoilaient, encore vacillantes. Finalement, son père lui fit un signe, indiquant qu’ils allaient dormir ici. Le jeune garçon, avant de descendre, scruta les alentours. Rien, il ne voyait rien dans le lointain.

Mais maintenant autour du feu, oui, Madani était fier.

Après un repas frugal et le thé rituel, son père avait pris la parole. Il l’avait même complimenté.

Juste ce qu’il faut.

Il lui avait dit que les 9 étoiles qu’il avait aperçues dans l’eau de la fontaine allaient lui ouvrir d’autres mondes. Quand Madani lui avait demandé, en baissant les yeux, quelle était leur signification, son père lui avait répondu que, ciseleur ou pas, sa vie ne serait complète qu’après la découverte de ces 9 joyaux. Il lui avait expliqué que cela prendrait peut-être du temps mais qu’un jour, Madani reviendrait à Tidène avec dans son regard, les 9 étoiles scintillantes.

Lorsque son fils lui demanda où elles se cachaient, le père lui dit qu’il saurait les trouver, comme il avait pu les voir se baigner dans l’eau de la fontaine.

Enfin, dans un rare geste d’affection, il prit les mains de Madani dans les siennes et se rapprocha de son oreille, son tagelmoust touchant le sien, effaçant un instant toute barrière entre eux.

“Aman, iman,” lui souffla-t-il doucement.

Et tout avait été dit.

En s’endormant ce soir là, Madani ne put s’empêcher de sourire. Serein, il comprenait maintenant que son père le respectait vraiment. Qu’il le considérait comme son égal. Il se sentit fort et se laissa glisser dans des rêves où il attrapait par poignées des étoiles éblouissantes dont il allait ensuite orner la tente familiale.

Au petit matin, Madani ouvrit les yeux et sentit tout de suite que quelque chose n’allait pas. Il n’entendait pas les voix rassurantes de son père et de son oncle alors qu’ils devaient préparer le thé.

Le jeune garçon prit peur. Allongé sur le côté, il ne se retourna pas tout de suite, comme pour retarder l’inévitable, comme pour refuser encore un moment l’évidence que son orgueil ne lui avait pas permis de comprendre, hier.

Et puis, lentement, comme le combattant fait face à son ennemi, comme le condamné fait face à sa sentence, comme chaque homme fait face à son destin, il se redressa, regardant autour de lui.

Rien.

Pas l’ombre d’un père ou d’un oncle tant aimés.

Seuls, son dromadaire et un petit sac de vivres peinaient à remplir l’immensité du désert qui surgissait derrière eux, comme un monstre implacable qui sait que son heure est venue.

Les dernières paroles de son père lui revinrent alors à l’esprit.

“Aman, iman.”

“L’eau, c’est la vie.”

(Suite)

(Photo : Hamed Saber)

Commentaires

22 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (2)”
  1. Nathalie says:

    tu ne vas pas nous laisser comme ça ?? Certains passages me transporte dans le désert avec l’alchimiste 😉

  2. Nathalie says:

    Impatiente de lire la suite!!

  3. Jean-Philippe says:

    Merci Nathalie ! Peut-être que Madani va le rencontrer… 😉

  4. Nathalie says:

    oui!!! tu ne peux pas mette la suite aujourd’hui?? un petit cadeau pour la rentrée… 😉 🙂

  5. Bonjour Jean-Philippe,
    je ne suis ton blog que depuis quelques semaines, et c’est la première fois que je m’arrête pour lire l’un de tes posts “récits” (et j’aime bcp le style de ton écriture). Est ce qu’ils font partie d’un projet plus global, comme un livre par exemple ?

  6. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Maryan ! Oui à terme, j’ai bien l’intention de publier un livre, au moins pour me faire plaisir, comme je le fais à travers ces courts récits. Mais pour l’instant, j’essaie de m’améliorer et j’ai trouvé que le meilleur baromètre c’était dans les commentaires et les mails que je recevais.

    Je crois que Madani aurait justement besoin de ton site, là ! 😉

  7. fraZck says:

    Bientôt un ebook ?
    Tu nous feras voyager toujours avec d’aussi beaux textes 🙂

  8. Jean-Philippe says:

    @Nathalie L’attente fait aussi partie du plaisir, non ? 😉

    @fraZck Merci beaucoup ! Un ebook ? Tu veux dire regrouper toute l’histoire en un ?

  9. fraZck says:

    @Jean-Philippe Oui, tout à fait. Mais après publication de toute l’histoire sur ton blog, car j’aime bien ta “série” 😉

  10. kategriss says:

    Vraiment sympa cette histoire.
    L’écriture est fluide et tu nous transportes dans le désert.
    Et tu nous laisses en haleine à la fin, j’ai hâte de lire la suite en tous cas !

  11. nattie84 says:

    L’eau c’est la vie! Si on pouvait le réaliser vraiment au sens propre et au sens figuré! La vie est un cours d’eau qui nous emmène là où nous devons aller si nous nous laissons porter! Merci pour tes articles Jean-Philippe! J’y reviens toujours du vrai bonheur!

  12. Jean-Philippe says:

    @kategriss Merci pour les compliments !

    @nattie84 Très belle image que tu nous offres là. Merci beaucoup !

  13. Nathalie says:

    Bon pas le choix, j’attends jeudi.. 😉

  14. Jean-Philippe says:

    Madani te remercie ! (et ça rime en plus ;))

  15. Aimer Sa Vie says:

    Eh bé…
    Faut continuer, tu tiens un truc là.

  16. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Lô ! Toi aussi avec ta dernière vidéo – à voir – sur Aimer Sa Vie. 😉

  17. Thomas says:

    Hé Hé… que dire de plus que j’attends moi aussi la suite de cette expérience initiatique. Un grand merci à toi d’avoir partager la vidéo de Lô.

  18. Grégory says:

    La suite, la suite, la suite !

    Pour plus de détails, voir mon commentaire sur la première partie !

  19. Jean-Philippe says:

    Merci Grégory ! Même un tout petit mot de soutien tout simple comme ça, c’est très agréable et ça motive… je te garantis !! 😀

  20. Me says:

    Belle histoire j’espére qu’elle va durer aussi longtemps que possible.
    Par l’occasion j’aimerai signaler que dans la phrase ” la mère de Madani lui avait aussi passé autour du cou une amulette qui renfermait un vers sacré du Coran.” il vaut mieux peut etre remplacer le mot “vers” par “verset” car dans le premier cas on peut comparer le Coran avec de la poésie et ce n’est pas le cas.
    Et bonne continuation sur le chemin de la révolution ^^

  21. Jean-Philippe says:

    Merci Me pour les compliments ! Tu as raison pour ta remarque et j’ai donc rectifié. 😉

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