Miroir, miroir, dis-moi, qui suis-je ?
Par Jean-Philippe le 21 June 2010
dans Changer les règles
Cet article constitue ma participation à cette rencontre amicale, “À la croisée des blogs” qui est un événement inter-blog dédié au développement personnel. Il est publié mensuellement et chaque nouvelle édition traite d’un thème original. Ce mois-ci c’est Mona Lisa, du blog Le bonheur pour les nuls qui en est l’organisatrice et qui nous a proposé de plancher sur “S’aimer soi-même.“
Quand vous vous levez le matin, est-ce que votre première pensée est pour vous ?
Ou alors, comme moi, vous pensez à tout ce que vous allez devoir accomplir ? Avec plus ou moins d’enthousiasme ?
Si je ne me trompe pas, nous sommes la personne avec qui nous passons le plus de temps sur terre, et pourtant, très souvent, nous finissons par nous oublier.
Et puis un jour, au détour d’un miroir, nous nous surprenons à regarder cette image plus sérieusement et pendant un bref instant, nous nous demandons, “C’est qui lui ?”, “C’est qui elle ?”
Où étions-nous passé ?
Se méfier des contes de fées
Peut-être que j’exagère un peu mais certains moments de notre chemin de vie y ressemblent. Le miroir de Blanche-Neige est parfois trop présent dans notre quotidien et risque de nous faire oublier ce qui est important. Pourtant, lorsque nous sommes enfants, nous nous intéressons peu à nous-même mais plus au monde extérieur qui est si grand et où il y a plein de choses à découvrir.
Lorsque l’adolescence arrive, avec ses incertitudes, la compréhension que le monde est un peu plus compliqué qu’il n’y parait, on a besoin de se rassurer. On a peu d’expérience dans laquelle puiser et donc c’est le physique, l’extérieur, l’apparence qui prennent le dessus.
Ici, au Japon, je suis très étonné par le temps que passent les ados à se regarder dans une glace, arrangeant une mèche par ci, rectifiant un col par là. Et pas une seule fois le matin, mais bien des dizaines de fois dans la journée. C’est la tyrannie du physique. On ne peut pas leur en vouloir car, à longueur de journée, ils sont bombardés par de la publicité vantant la beauté de corps sveltes, gracieux et stylés.
Le problème, c’est que s’ils restent trop fixés sur cet aspect extérieur, ils finissent par en oublier qu’ils ont aussi un monde intérieur riche, qui est le leur et qui n’a pas besoin d’être approuvé par qui que ce soit.
Une vie basée sur le physique, c’est à dire la validation par les autres – je lui plais, donc j’existe – ne peut conduire qu’à une vie fade et superficielle.
La société et nous
C’est ce qui se passe à l’intérieur qui est important. Or nous passons plus de temps à cultiver notre extérieur que ce qui se passe en nous. Je ne dis pas qu’il faudrait tous devenir des espèces d’ermites en haillons mais la balance devrait plus pencher dans l’autre sens, sur ce qui se passe en nous.
Et pour pouvoir s’y intéresser, il faut savoir s’apprécier et se respecter. Ça, ce n’est pas facile parce que notre société ne fait pas l’effort de nous donner les clefs d’accès à notre vie intérieure.
Il n’y a pas de publicité dans les magazines nous encourageant à réfléchir sur nous-mêmes, à apprécier nos qualités et à connaitre nos points faibles. Pourtant, c’est la base de toute vie épanouie. On commence, à mon avis, par soi et ensuite on va vers les autres et pas le contraire.
Il faut au moins s’aimer un petit peu pour pouvoir apprécier et donner aux autres.
Découvrir ses talents
Alors, commençons par creuser en nous. Comment nous nous trouvons ? Loin d’être parfait ? Pas si intelligent que ça ? Je suis prêt à parier qu’environ 90% d’entre nous, nous allons nous dire cela, à un moment ou un autre de notre vie. Les 10% restants ne sont, en général, que des narcissiques incorrigibles qui font le vide autour d’eux à cause de leur autosatisfaction. Douter est normal – c’est un très ancien système de sécurité pour nous protéger – mais rester dans le doute ne nous aide pas.
Alors pour ceux et celles qui comme moi font partie des 90%, cherchons un peu. N’avons-nous pas des talents ? Des savoir-faire dont nous pouvons être fiers ? En fait, pas besoin de chercher très loin. Tous les matins, nous répondons présent dans divers domaines, qu’ils soient professionnels ou familiaux.
Il y a des choses que nous pouvons faire avec confiance. Ce n’est pas donné à tout le monde. Que ce soit, résoudre une équation à deux inconnues, faire un riz pilaf du tonnerre, chanter dans une chorale, être talentueux avec une Gameboy ou avoir la main verte, ces talents-là sont à nous et nous devrions nous en souvenir plus souvent, plutôt que de méditer sur nos défauts.
Car de toute façon, nous ne serons jamais parfaits et heureusement. Dans notre vie, il y a des points forts et il y a des points faibles. Des hauts et des bas. Des joies et des vides.
La force de l’art nippon
L’art traditionnel japonais est célébré dans le monde entier. Cet style, beau, dépouillé, rempli d’espace qui nous pousse à la réflexion est basé sur un concept très simple : l’asymétrie. L’artiste japonais avait – et a toujours d’ailleurs – un rejet de l’équilibre parfait. Pour lui, la vie est un changement constant qui doit se retrouver dans les objets qu’il sculpte, peint ou dont il fait les plans. Et ce changement, ne peut venir que de l’asymétrie qui attire le regard et pousse à la réflexion vers un équilibre fugitif.
Nos asymétries intérieures sont donc également des richesses. Elles font notre force, elles font que nous sommes des êtres dignes d’intérêt auxquels les autres s’intéressent. Personne ne reste longtemps avec une personne lisse d’où rien ne dépasse. L’ennui pointerait vite. Non, notre rugosité, le relief plus ou moins escarpé de nos différentes expériences est ce qui fait notre charme et qui nous donne aussi l’envie de progresser, d’ajouter des cordes à notre arc, à la recherche d’un meilleur équilibre.
Si nous arrêtons de construire notre intérieur, d’y ajouter de nouveaux savoirs, nous somme comme morts. Généralement cela se produit le jour où nous donnons aux autres l’autorisation de nous juger, de nous dire si oui ou non, nous sommes dignes d’eux.
La vérité est en nous
Faites l’expérience.
Retournez devant un miroir – et pas celui de La belle au bois dormant s’il vous plait. 😉
Cette fois-ci, au lieu de regarder si votre coupe de cheveux est parfaite, si votre mascara fait bien ressortir vos yeux, si cette ride qui apparait là ne vous vieillit pas trop, si votre nez est trop long – ou trop court -, non, regardez-vous juste dans les yeux.
Observez-vous, sans ciller, sans détourner votre regard, sans penser à autre chose. Plongez votre regard en vous-même aussi longtemps que vous le pouvez. Je sais, c’est difficile. Trente secondes, 1 minute, 2 minutes regardez bien dans vos pupilles et vous verrez, à un moment, un déclic se produira – déclic parfois inconfortable. Vous vous découvrirez soudain tel que vous êtes réellement, c’est à dire un être avec un passé bien réel. Vous comprendrez que tout le reste autour, n’est qu’artifices culturels, utiles mais pas indispensables, mais que la vérité, notre vérité, se trouve au fond de ce regard.
Vous verrez, au bout d’un moment, si vous oubliez tout le reste, vous vous trouverez beau ou belle, conquérant ou conquérante, complet ou complète.
J’aimerais bien que, lorsqu’ils sont tout jeunes, on dise aux enfants combien ils sont talentueux tels qu’ils sont et que pour le reste de leur vie, ils ne feront qu’ajouter à cette richesse. Au lieu de boucher des trous, comme nous le faisons souvent, ils joueraient sur leurs asymétries, se rendant ainsi plus beaux, plus riches, et encore plus respectueux d’eux-mêmes.
Pour nous qui sommes des adultes, nous pouvons à tout moment recommencer à appuyer sur nos asymétries plutôt que d’aplanir, d’arrondir nos angles. Pour reprendre l’expression de Nicolas Pène, nous sommes tous et toutes, à un certain moment, des moutons noirs, plus ou moins scanneurs.
Cessons de rechercher l’équilibre stérile mais insistons outrageusement sur nos qualités pour montrer au monde notre valeur.
Si vous faites ça, votre confiance intérieure en sera renforcé et vos relations extérieures s’épanouiront, créant une personnalité vraiment unique : vOuS. 😉
(Photo : Richard0)
A lire et à relire…
Où comment sonder son ame et trouver qui l’on est vraiment pour s’aimere soi-même.
NB : merci Jean-Philippe pour le mouton noir 😉
Le seul fait d’exister est un vrai bonheur. Blaise Cendrars
@Nathalie Merci beaucoup pour le compliment !
@Nicolas Vive les moutons multicolores! 😉
@AMie Belle citation et ô combien vraie ! Qu’est-ce que nous attendons ? Pour vivre ? Il est bon de se poser la question et parfois d’oublier tout ce qui nous retient. 😉
Bonjour Jean-Philippe,
Ton article me rappelle l’obsession que les femmes, et maintenant de plus en plus, les hommes, ont pour la minceur. Combien de jeunes filles se désolent parce que leurs cuisses sont grosses, ou de jeunes mamans qui pleurent la perte de leur ventre plat. Des adolescents se demandent comment devenir musclés et des hommes mûrs se sentent handicapés par leur petit bedon.
Ces questions et ces souffrances de « l’image » sont répandues dans les forums partout sur le Web. Elles semblent prendre toute la place et font abstraction des qualités personnelles et du parcours de chaque individu dans ce qu’il a de plus précieux.
À cette recherche de l’image idéale, correspond une peur viscérale de ne pas être aimé, d’être abandonnée, de ne pas rencontrer “l’âme soeur”.
La jeune femme se dit, si je ne maigris pas, IL me laissera. Ou personne ne voudra de moi.
Et même les hommes ne sont plus à l’abri des nouveaux canons de l’apparence “aimable”: perdez du ventre, cachez votre calvitie et/ou teignez ce poil gris qui se fait trop envahissant.
C’est légitime de chercher à améliorer son apparence physique, quand bien même ce ne serait qu’au niveau de la santé, mais dans certaines formulations on sent tellement un profond désespoir existentiel, qu’on aurait envie de leur dire, comme les chinois: « Get a life !».
Découvrez qui vous êtes vraiment, réalisez les projets qui vous tiennent à coeur, et si votre entourage vous méprise à cause de votre apparence, changez d’entourage !!!
Et apprenez à aimer cette personne qui a besoin de vous tous les matins et qui vous fait signe … dans le miroir !
Merci pour ce long commentaire MarieBo ! Je suis tout à fait d’accord avec toi.
Je parlais dans l’article de Blanche-Neige. Rien que dans cette petite histoire à l’apparence anodine, on met en place des schémas qui vont former les idéaux des petites filles mais aussi des petits garçons. L’attente du prince charmant, être le prince charmant et, la vie heureuse pour toujours en se regardant dans les yeux. C’est avec ce type d’histoire que nous rentrons dans la vie adulte et que nous poursuivons cette chimère. Je pense qu’il y a toute une éducation (rééducation ?) à faire à ce niveau-là.
“Quand vous vous levez le matin, est-ce que votre première pensée est pour vous?”
C’est la phrase qui m’a le plus marquée dans ce très beau texte. Je l’avoue, dans mon cas, ça n’a jamais été ma première pensée en me levant, mais je crois que ce sera une nouvelle bonne habitude de vie à développer dès demain! Encore merci!
Merci Viviane !
En fait, j’aurais dû être plus précis. Penser à soi le matin est une chose, mais si c’est pour se culpabiliser sur ses erreurs de la veille, cela aura un effet inverse à celui recherché.
Ceci dit, je reconnais que penser à soi en premier, le matin au réveil, en se disant des bonnes choses, en se complimentant, n’est pas chose facile. Les problèmes de la vie quotidienne envahissent notre cerveau dès que nous ouvrons l’œil et il n’est pas aisé de les mettre de côté pour se dire combien nous sommes importants et combien nous devrions célébrer juste le fait d’être vivant, ici et maintenant. 🙂
Sujet très délicat que tu traites avec toujours autant de talent. Moi quand je te lis ça me picote les yeux (et c’est pas l’ennui ou la fatigue), j’imagine que je dois être sensible 😉
a+
Aurélien
Merci beaucoup Aurélien ! La sensibilité, c’est ce qui nous permet d’être plus proche des autres, de mieux les comprendre et de mieux pouvoir les aider. Les tiens ont beaucoup de chance de t’avoir parmi eux. 🙂
Petite pépite:
“Au détour d’un miroir, nous nous surprenons à regarder cette image plus sérieusement (…) Où étions-nous passés ?”
Heureux d’avoir découvert ce blog par le biais du festival.
Merci beaucoup pour ton commentaire Lô !
C’est une expérience vécue. Il m’est arrivé, entrainé par mes projets, d’oublier que derrière tout ça, il y avait moi, et que je devais aussi me remercier, apprécier mon propre travail, sans tomber dans le narcissisme. 😉
Cet article ma donné les larmes aux yeux.
Il m’a fait penser à l’adolescente que j’étais, torturée, mal dans sa peau.
Mais bon!! ça c’est du passé. Et j’ai fait pas mal d’efforts pour avoir un peu plus confiance en moi dans ce monde où le physique à plus d’importance que la personnalité.
Je suis sure que beaucoup de gens se reconnaitrons dans cet article.
Bonne Continuation
ps: le “je lui plais, donc j’existe” m’as fait bizarrement sourire
Merci beaucoup Rajaa d’avoir partagé tes sentiments. Cela me touche aussi que mon article ait provoqué cette réaction chez toi. “Je lui plais donc j’existe” résume bien, je pense, la situation de notre monde où l’on persiste à croire que notre valeur dépend des autres. On est loin du “Je pense donc je suis” de Descartes. 😉
Merciiiiiiii pour ces mots qui dansent la vie !!!! Tu es l’un des rares auteurs que je lis et relis toujours avec un grand sourire. Non pas car tu nous dis ce que nius voulons entendre mais car tu le dis avec la délicatesse du vent, la joie d’un enfant et avec humilité ! Demain matin, je me colle au jeu du mirroir 😉 Si si vraiment !!
De bien belles phrases. Comme d’habitude, je goûte avec joie la trame de tes mots :). Finalement quand on dit que les yeux sont le miroir de l’âme, ce n’est pas pour rien n’est-ce pas?
Merci pour cet article lumineux
@Thomas Merci beaucoup pour ces beaux compliments. J’espère que le jeu du miroir t’apportera des pistes. En tout cas, il ne laisse jamais indifférent. 😉
@Argancel Merci pour ce jeu de mots ! Excellent. 🙂
D’accord, mais et la mort de l’Histoire dans tout ça? Et les mutants? Et la guerre? Et le mobilier? Et l’architecture?
Please help
Duncan, si ça continue, moi j’appelle Macbeth, d’accord ? 😉
Macbeth ne me fait pas peur, pas plus que Malcolm ou n’importe qui d’autre.
Malcolm ? Le troisième ? Allons, c’est la nouvelle génération et elle n’est pas dangereuse. De toute façon, bientôt, une comète passe (isti mirant stella), …et le problème est réglé ! 😉
A la lecture de cet article, et à l’évocation de l’asymétrie ,je pense fort au portrait de Dora MAAR peint par PICASSO.Un visage ou les deux yeux sont différents.Une belle asymétrie, une belle différence.