Depuis quand n’avez-vous pas vu votre grand-mère ?

Par le 26 October 2009
dans Changer les règles

Regardez dans les yeux de cette grand-mère. Qu'y voyez-vous?

Ou votre grand-père?

Notre société éclatée et isolée fait que le liens familiaux deviennent de plus en plus ténus. Déjà qu’entre parents et enfants il est difficile de garder le contact, on peut se poser la question de savoir ce qu’il en est avec la génération antérieure: les grands-parents. Oui, vous savez, les anciens qui ont l’air un peu à côté de la plaque. Si vous ne les voyez que peu, vous perdez quelque chose d’important.

Nos grands anciens

Je parle ici de votre grand-père ou de votre grand-mère, mais si vous n’en avez plus et que vous-même vous ayez des enfants, votre père ou votre mère sont aussi inclus dans l’esprit de cet article. Tous comme les grands-oncles, tantes ou même les amis aux cheveux blancs. Bien sûr tous les grands-parents ne sont pas taillés dans le même roc. Ils ne sont pas tous joviaux et ne profitent pas tous à fond de leur retraite. Ils peuvent aussi être très âgés, diminués physiquement, aigris, etc…

Pourtant en à peine un siècle nous sommes passés d’une cellule familiale dont les grands parents faisaient partie intégrante à une situation où ils sont maintenant casés dans des maisons de retraite, de façon à ce qu’ils ne gênent pas. C’est vrai que notre société actuelle valorise tout ce qui est jeune et plein de vitalité. A défaut de la sagesse.

Le rôle clef d’un ancien

Il n’y a pas si longtemps que ça, avoir un grand-père ou une grand-mère sous la main était une chose courante. Trois générations vivaient sous le même toit. Ça vous parait peu attirant? Pourtant c’est quelque chose qui est encore normal dans certains pays comme en Amérique latine. Je ne dis pas que nous devrions revivre tous ensemble mais au moins passer plus de temps à nous voir.

Pourquoi? D’abord parce qu’un petit-fils ou une petite-fille a besoin de comprendre et d’intégrer ce qu’est la vie. Pour beaucoup d’enfants ou même d’ados, les “vieux” ce n’est pas chez eux, c’est ailleurs. Ils ne mesurent pas toujours qu’une vie est marquée d’étapes auxquelles on ne peut pas échapper. S’ils voient régulièrement leur grand-mère et ils partagent un peu leur vie, ils vont mieux appréhender cette idée du temps qui passe. Ils vont comprendre que c’est normal d’être âgé et qu’il a plein de choses que l’on peut faire.

Instinctivement, ils sont attirés par les anciens. On efface pas des millénaires de traditions en une ou deux générations. Les grands-parents savent certaines choses que seul le temps permet de comprendre. Je ne dis pas qu’ils sont des puits de science et qu’ils ont toujours raison. Mais à leur façon, souvent maladroite, ils peuvent faire passer des messages aux plus jeunes.

Les petits-enfants sont très à l’aise avec leurs grands-parents, souvent même, bien plus qu’avec leurs parents. Ces derniers sont stressés et poussent leur enfants à la réussite. Les premiers ont le temps et peuvent écouter. Des petits secrets sont ainsi passés. Des petits conseils. Des choses banales de la vie quotidienne mais qui sont utiles et tissent des liens vers un futur qui fait moins peur.

De plus, la médecine aidant, les retraités restent très actifs beaucoup plus longtemps qu’avant. C’est une bonne chose de pouvoir compter sur eux en grandissant, d’avoir toute leur expérience à portée de téléphone, pour longtemps. Même à l’âge adulte. Un petit doute? Une question? Un besoin d’épancher son coeur? On peut vite se confier.

Souvenirs indélébiles

J’ai eu très peu de contacts avec mes propres grands-parents. Mais le peu de souvenirs d’enfance que j’en ai sont très positifs. Des petits cadeaux, des jeux, des rires, des promenades. Des choses d’apparence anodine mais que je chéris et qui gardent une place importante dans ma mémoire. C’est un peu avec eux que je me suis construit, que j’ai eu mes premières interactions avec des adultes hors du cocon parental.

C’est aussi avec eux que j’ai compris qu’avec un rien on peut faire passer du bonheur. Quelques noix sur une table, une canne qui les casse bruyamment, et ma soeur et moi qui, accroupis dessous, rions aux éclats. Une branche d’arbre qui se transforme an arc et flèches et je deviens à 6 ans un invincible guerrier. Un gros ventre bien rond que mes petits poings peuvent utiliser comme punching ball jusqu’à en perdre haleine et me voilà “héros boxeur”.

On dit qu’en vieillissant on perd l’esprit, qu’on redevient enfant. C’est peut-être pour ça que ces deux générations s’entendent souvent comme larrons en foire.

Garder le contact

Cette communication est aussi importante pour les grands-parents. Les personnes âgées citent comme l’une des choses qui leur manquent le plus: le toucher. Le geste le plus simple que puisse faire un être humain pour un autre. Regardez comme souvent lorsque vous serrez la main d’un senior son visage s’illumine. Il veut même la garder cette main. En partager la chaleur.

S’ils sont sevrés de tous ces gestes et de ces petites aventures, ils décrépissent. Ils dépriment. Ils se sentent inutiles. Ils ne bougent plus. Leur santé se détériore rapidement et les maladies apparaissent. De là, il n’y a qu’un pas (ou deux) jusqu’au cimetière. C’est dommage. Même s’ils n’étaient pas des lumières, ils avaient vu beaucoup de choses dans leur vie et auraient pu partager quelques unes de leurs expériences.

Quand je peux, je prends le temps de parler avec des personnes âgées. Pas de choses primordiales, un petit bonjour, un petit compliment dans une file d’attente, au supermarché (“Et bien, vous allez manger cette tablette de chocolat à vous toute seule?”) et j’essaie toujours gentiment de les toucher physiquement, au bras, sur l’épaule. C’est facile à faire et pour eux, vous serez peut-être leur seul contact amical de la journée, surtout s’ils vivent seuls.

Pour les enfants, ce n’est pas un problème. Le toucher est instinctif. Spontanément, ils tendront la main vers un ancien ou lui toucheront le visage, les bras, pleins de curiosité. Ça fait aussi du bien pour une vieille dame de sentir ces jeunes mains, pleines de vitalité.

Les grands-parents et le futur

Aux États-Unis, on a tenté une expérience originale (lien en anglais). Intégrer une école d’élèves âgés de 5 ans dans une maison de retraite. Ça peut paraître très bizarre au premier abord, mais on a très rapidement découvert les bienfaits de cette collaboration. Les retraités ont retrouvé plus de goût à la vie. Le fait de voir ou d’entendre les enfants leur a fait beaucoup de bien. Ils ont aussi participé à des activités communes comme aider les enfants à lire, participer aux travaux manuels ou faire des improvisations ensemble. La santé des retraités s’est immédiatement améliorée car ils sont devenus plus actifs et se sont sentis utiles. Les enfants eux, ont bénéficié du savoir de ces anciens pour apprendre à mieux lire, à collaborer, à respecter les règles en société.

Un autre élément important qu’assimilent ces enfants comme tous ceux qui côtoient des personnes âgées est celui du cycle de la vie. Un grand-père qui disparaît permet à l’enfant, selon son âge, de mieux comprendre l’idée de la mort et de plus respecter la vie. Mieux que sur une Nintendo. Il nous permet à nous, plus adultes, de nous poser des questions sur le sens que nous voulons donner à notre propre vie. Qu’est-ce qui est important? Qu’est-ce qui ne l’est pas?

La prochaine fois que vous avez l’occasion d’interagir avec une personne âgée, ne fuyez pas, au contraire, chérissez ce moment. En bavardant (et en touchant! ;)), vous allez sûrement passer un bon moment, apprendre des faits intéressants et même, vous questionnez intérieurement sur des choses auxquelles vous n’auriez pas pensé.

Une chose est sûre. Pendant cette conversation, vous ferez le bonheur de votre interlocuteur. Un bonheur qui le ou la suivra pendant le reste de la journée. 🙂

(Photo: Werwin15)

Commentaires

20 commentaires pour “Depuis quand n’avez-vous pas vu votre grand-mère ?”
  1. J’aime beaucoup cet article et coïncidence, je comptais justement appeler ma grand mère qui se remet d’une opération à l’hopital. C’est vrai que les personnes agées sont mises de côté comme si elles désormais inutiles. Cependant, je ne me vois pas non plus vivre avec mes grands parent ou mes parents.

    Je trouve l’initiative de GLC excellente, et cela permet d’être gagnant pour les personnes agées, mais aussi pour les enfants. Cela fait plaisir de voir ce genre de chose, et cela pourrait être intéressant d’étendre ce concept.

    Au japon cela se passe comment niveau famille? Les grands parents sont bien intégrés ou c’est plus comme en france?

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Alex!

    Je crois qu’une école dans la région parisienne avait tenté l’expérience. Si quelqu’un a plus d’info, merci de les partager ici. 🙂

    J’avais écrit un paragraphe sur le Japon mais je l’ai ensuite effacé, car je n’arrivais pas à être content avec ce que j’écrivais. Ici, la situation est très ambiguë car soit on respecte énormément les anciens, allant même jusqu’à en faire des “Trésors Nationaux Vivants” (c’est l’appellation officielle) s’ils ont un grand savoir-faire, soit ils se retrouvent en train de nettoyer les rues et les immeubles pour boucler leurs fins de mois. Et entre, il y a ceux qui vivent avec leurs enfants dans de grandes maisons. C’est donc complexe d’en parler et j’essaie d’abord de mieux comprendre la mentalité nippone.

  3. J’avais en tête un plus grand respect pour les “anciens” côté nippon, mais je vois que c’est bien plus complexe que ça. Au fait, tu es depuis combien de temps au Japon?

  4. Pierre-Yves L. says:

    Bonjour,

    C’est vrai on parle souvent de mixité culturelle, de mixité ethnique, mais très peu de mixité de génération… quel dommage! Moi j’étais en extase devant mon grand lorsqu’il sculptait des animaux en bois… il m’a donné le goût de la précision, de la patience, de la minutie, du travail du bois… tout un univers d’odeurs et de sensations… bien loin des ordinateurs et des jeux vidéo!

    Quelques liens trouvés sur les expériences parisiennes :

    http://www.vousnousils.fr/page.php?P=data/pour_vous/temoignages/en_pratique/&key=itm_20061027_130354_des_ecoliers_en_maison_de_retrai.txt

    http://www.3evie.com/actu_54_Structure-pour-enfants-au-sein-d%E2%80%99une-maison-de-retraite-en-IDF.html

    Enjoy!

  5. Jean-Philippe says:

    @Alex: Bientôt 5 ans et je suis loin d’avoir perçé l’âme nippone!

    @Pierre-Yves: Merci beaucoup de partager ces souvenirs. On a presque tous, je pense, des moments comme ça gravés dans notre mémoire. Pas nécessairement avec un grand-parent mais avec une personne âgée. Quand on voit ce que cela vous a apporté, on comprend encore plus l’importance de ces relations intergénérationnelles!

    Merci aussi pour les liens. Donc en France aussi ça existe! Ces enfants sont chanceux. 🙂

  6. Merci Pierre Yves pour les liens, j’ai trouvé celui-là en plus: http://www.cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2008/93_Rennes2008_ensembledemain.aspx

    C’est vraiment intéressant!

  7. Désolé de spammer, mais j’ai trouvé ce lien qui est vraiment détaillé sur l’association qui a été montée à l’occasion: http://www.cndp.fr/vei/dossiers/intergenerationnel/intergenerationnelImp.htm

  8. Jean-Philippe says:

    Ces liens peuvent être utiles à ceux qui désirent en savoir plus. Donc merci beaucoup Alex d’avoir pris le temps de les trouver! 😉

  9. mounaque says:

    Bonjour !
    C’est un sujet très sensible surtout qu’en ce moment en France il revient une polémique sur les maltraitances dans certaines maisons de retraite. Il est dommage que les “jeunes” ne pensent pas qu’un jour ils seront “vieux”. L’âge n’est pas le vrai problème c’est surtout les dégradations corporellees, maladies, solitude et manque d’argent.
    Pour ma part mon ami a encore sa petite grand mère elle est très couvée,écoutée et pourtant elle est toute “en pièces détachées” ! Mais c’est vrai qu’elle n’est pas aigrie et elle fait sûrement des efforts pour rester “dans le coup”..

    J’ai aussi beaucoup de tristesse quand j’écoute la chanson de Brel : les Vieux..

    Merci d’avoir abordé ce sujet si simplement en rappelant qu’il suffit d’une petite attention, d’un petit mot pour égailler la journée de personnes qui auraient tant à raconter.

  10. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Mounaque d’ajouter tes judicieux commentaires. 🙂

    C’est vrai que le plus important pour garder sa “jeunesse” est de rire et de rester optimiste. Bien sûr il faut faire des efforts mais ça vaut le coup pour éviter de devenir aigri.

  11. Pierre C. says:

    Super ce blog! Les articles sont bien écrits, bien construits et les sujets sont très intéressants!!

  12. Jean-Philippe says:

    Merci Pierre ! Merci pour tous ces compliments. 🙂

  13. Voila un article que pourrait m’aider à aller à l’encontre d’une des choses de ma vie que je regretterais… Merci pour ces quelques lignes pleines de bon sens.

    Par ailleurs, j’ai cru comprendre que tu vivais au Japon? J’y suis à la fin du mois de novembre! 🙂

  14. Jean-Philippe says:

    Merci pour le compliment !

    Eh oui, je suis bien au Japon, alors on va se rencontrer, c’est sûr ! Je te contacte directement. 😉

  15. Florence says:

    Bonjour Jean-Philippe,

    Cet article ne pouvait que résonner en moi et ce n’est sûrement pas un hasard si le tweet correspondant m’a accroché le regard lorsqu’il est apparu sur mon écran !

    Pour ma part, je n’ai plus ni grands-parents ni parents, mais je rencontre souvent des personnes âgées et je sens bien que ces moments que je passe avec elles leur sont précieux.

    Même si nous ne nous connaissons pas au départ, il y a très vite une complicité qui se crée. La poignée de main initiale est vite remplacée par de chaleureuses embrassades. Nous partageons un café, des petits gâteaux, du chocolat…

    Au détour d’un souvenir, l’enfant qu’ils étaient finit toujours par se montrer. Telle grand-mère se lève de sa chaise et tourne sur elle-même pour faire voler sa robe comme lorsqu’elle avait cinq ans, tel grand-père me montre comment il tirait au lance-pierres… Ce sont des moments remplis de bonheur 🙂

    Florence

  16. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Florence ! Tu en parles aussi de belle façon. 🙂

    D’ailleurs, je recommande vraiment à tous de visiter ton blog pour ces petits moments plein de tendresse et d’émotion que tu nous distilles régulièrement. 😉

  17. SophyBee says:

    Bonsoir Jean-Philippe,
    Ma Grand-Mère qui est à cet instant à côté de moi, voudrait réagir à cet article.
    Voici ce qu’elle a à dire : “Tout ce que je viens de lire est d’une justesse extraordinaire, et je le ressens d’une façon spéciale du fait de mon âge avancé (86 ans NDLR). Ayant toute ma tête mais privée d’une partie de mes sens (ouïe, vue) il m’est très difficile d’entrer en contact facilement avec les personnes autour de moi, vieux et jeunes, voisins, famille. Je n’ose pas… J’ai moi-même le souvenir d’un ami pratiquement centenaire, bien plus seul que moi, qui lorsque je lui serrais la main, me la gardait en mettant la sienne par dessus, sans mot dire en me regardant droit dans les yeux, où je voyais une grande reconnaissance. Me sentait-il plus “vivante” que lui ? J’ai encore le souvenir de la chaleur de ses mains, une magnifique amitié”.
    Voilà. Maintenant, elle aussi profite des nouvelles technologies pour communiquer ! ^_^
    Amicalement,
    Sophy_Bee

    • Merci beaucoup pour ce joli et touchant témoignage Sophy_Bee ! Merci aussi à ta grand-mère ! En expliquant sa situation, elle nous aide à mieux comprendre ce qui se passe dans la tête des seniors et, en même temps, nous rappelle que la communication (par le toucher) est un besoin humain fondamental. 🙂

  18. katia says:

    J’ai beaucoup aimé ton article,tout est juste et je voudrais apporter un petit témoignage, j’ai 55ans et j’ai été élevée par ma grand mère paternelle,lorsqu’elle est devenue “vieille”….mais pas encore dépendante nous avons pris la décision d’habiter ensemble car je pense que le pire pour une personne n’est pas de vieillir ou d’etre malade mais c’est d’etre seul…
    Cette cohabitation n’a pas toujours été facile, mais je ne regrette rien elle est partie cette année au mois d’Aout, tranquilement à la maison entourée, elle avait 101 ans,je sais qu’en France ce n’est pas courant de vivre à plusieurs générations mais je voudrais dire que malgré les difficultés que cela représente parfois, le bénefice qu’on en retire est immense,je voudrais dire à tous ceux qui ne peuvent pas le faire par manque de temps ou manque de place ou les deux, n’oubliez pas vos grands parents ils sont notre histoire et notre mémoire et c’est cela qui nous permet de comprendre la vie et d’avancer….bonne année à tous

    • Merci beaucoup Katia pour ton témoignage ! J’imagine, comme tu dis, que cela n’a pas toujours été facile mais la richesse de cet échange a dû être fabuleux. Elle t’a accompagnée dans tes premiers pas et tu l’as accompagnée dans ses derniers. 🙂

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