La vengeance est un plat qui ne se mange pas

Qui va manger l'autre. Cela ressemble à deux lutteurs qui se préparent pour l'assaut final.

La vengeance est un plat qui ne se mange pas froid. Ni chaud d’ailleurs. Lorsque quelqu’un nous fait du mal, spontanément nous voulons réagir pour nous venger, pour faire payer à la personne le mal ou le soi-disant mal qu’elle nous a fait. Mais pourquoi? Quel est ce besoin humain de rendre dent pour dent? Est-ce que cela nous est utile?

L’imagerie humaine de la vengeance

Tout le monde connaît ça. De vouloir se venger du chauffard qui vous coupe la route à faire payer cette collègue de travail qui ne manque pas de se moquer de vous devant tout le monde. De vouloir se venger de la méchanceté de ce prof de math à remettre en place cette petite brute qui vous fait vivre dans la peur pendant les recréations.

C’est vrai qu’au cinéma, on met souvent sur un piédestal la vengeance avec le héros qui, 20 ans après, revient se venger avec le calme d’un golfeur en train de faire son putt pour la victoire finale. Ça s’appelle bien du cinéma. Ce n’est pas la réalité. En plus, je ne parle pas ici de blessures physiques qui sont d’un autre domaine mais de ces blessures mentales qui nous frustrent et nous mettent sous pression.

Je ne dis pas non plus qu’il faille étouffer toute réaction. Il faut savoir se faire respecter avec mesure et ne pas se laisser marcher sur les pieds. Mais la vengeance va beaucoup plus loin. C’est un acte prémédité dans le but de faire du mal à quelqu’un et nous avons tous dans notre vie exercé ce pouvoir. Nous avons tous le souvenir de petites vengeances. C’est de celles-là dont je voudrais parler. A commencer par une des miennes et je n’en suis pas très fier.

La vengeance est un plat sans goût

Il y a quelques années, je travaillais comme animateur radio sur une locale en France. Mon style d’animation ne correspondait pas vraiment au format de cette radio mais le directeur m’avait quand même engagé car il n’avait que quelques jours pour boucler sa grille de rentrée. J’étais aussi très content de cette opportunité qui me permettait de passer à un niveau supérieur en travaillant pour un réseau national.

Bien-sûr, rapidement, nous nous retrouvâmes en conflit larvé. Moi qui aimait parler dans un micro, je me retrouvais frustré à faire des choses qui ne me plaisaient pas et lui avait un problème d’uniformité dans sa grille. Chacun de nous fit des efforts mais le naturel revenait sans cesse au galop. De mon côté, j’étais loin d’être parfait dans mon attitude et plus d’une fois je provoquai sa colère. Le conflit dura ainsi deux ans et usa beaucoup de mon énergie. Je me doutais bien que sa patience aurait des limites et en faisant des recherches, je trouvai un nouveau poste avec un style qui correspondait plus à ma personnalité, avec un meilleur salaire et dans un lieu paradisiaque.

Chaque année, au moment de renouveler les contrats, chacun devait monter au 1er étage, dans le bureau du directeur et face à face, en compagnie du chef d’antenne, devait renégocier son contrat ou tout simplement apprendre que ledit contrat ne serait pas reconduit. Lorsque vint mon tour de monter, sous les sourires des autres animateurs qui savaient que j’avais déjà signé ailleurs, je leur promettais de faire durer le plaisir.

En temps qu’animateur radio, nous vivions toujours dans une situation précaire, dépendant de nos résultats à l’antenne et nous étions toujours à la merci de nos patrons. Alors vous pensez! Pour une fois, qu’un animateur contrôlait son futur et allait annoncer à son directeur qu’il partait…

Face au directeur, je le laissai parler. Je savourai le moment. Chaque seconde. Pour toutes les frustrations des deux années. Il essayait avec un peu de tact de m’expliquer que mon contrat ne serait pas renouvelé et s’empatouilla un peu je pense, face à mon visage narquois. Finalement, n’y tenant plus, je lui annonçai avec une once d’orgueil et d’un air faussement détaché que j’avais trouvé un trône digne de mon talent. Ce ne furent pas les mots dits mais le ton y était.

Les yeux papillonnant, il bredouilla quelques mots de félicitations et rapidement je redescendais, pas vraiment sur terre, mais au rez-de-chaussée où mes collègues m’attendaient, impatients de connaître les détails sanglants de la mise à mort. J’étais au 7ème 8ème ciel.

Après? Je me suis senti vide. Pas de joie. J’ai même rapidement regretté mon attitude.

La vengeance est un signal d’alarme

Ce genre de situation vous est aussi arrivé. Parfois nous sommes plus méchants, plus mordants. Nous avons été souillés, nous méritons vengeance! Mais en fait, qu’est-ce qui a été touché? Notre ego. Et notre ego c’est quoi? Il représente tout simplement notre manque de confiance dans un domaine spécifique. Là où nous n’avons pas encore atteint le domaine de la pure créativité. Là où nous avons encore besoin, du regard bienveillant des autres, comme un enfant qui fait ses premiers pas, son père ou sa mère, l’encadrant de ses bras quand il vacille.

En fait, si quelqu’un vous blesse de ses mots, elle vous rend service, vous devriez même lui dire merci (et sans sarcasme!) Elle vous permet de découvrir, en vous, quelque chose qui n’est pas mûr, quelque chose que vous devez encore travailler. Mon manque de maturité radiophonique me faisait penser que j’étais excellent, je ne pouvais pas comprendre qu’il y avait des gens qui désiraient écouter autre chose que mon style d’animation. (Manants!)

La lutte sans finale

Nous baignons dans un monde d’egos. C’est une constante bataille pour se faire une place. Et une bataille qui ne peut pas être gagnée. Il y aura toujours quelqu’un quelque part qui pourrait vous écraser sans pitié, comme une mouche. Si nous rentrons dans ce jeu là, notre situation est toujours précaire. Si nous voulons nous venger notre perspective change. On ne voit plus les choses de la même manière.

Les vengeances sont terribles pour le mental et peuvent marquer pour longtemps. Et même vous faire oublier ce pourquoi vous vivez. Ce que vous aimez faire. Si vous rêvez encore de vengeance, des années après les faits, vous êtes le grand perdant. Celui ou celle qui vous a blessé, vous a sans doute oublié depuis belle lurette mais vous, vous baignez encore dans votre désir de vengeance.

Ce qui est fait est fait. Oubliez le passé. Pardonnez. Pardonnez à ceux ou celles qui vous ont blessé. Non par pour eux mais pour votre propre bien-être. Ôtez cette cuirasse qui vous étouffe et vous empêche de montrer ce qu’il y a de meilleur en vous. Vous avez toujours le pouvoir, maintenant, de diriger vos pensées vers le présent. Décidez de changer. Si vous restez fixé sur ces incidents passés, vous n’avancerez plus ou tout ce que vous ferez en sera teinté.

Et puis, si malgré tout vous avez encore un désir de vengeance après eux, alors vengez-vous de cette façon: poursuivez vos passions, améliorez votre savoir-faire et montrez-leur que vous excellez, que vous êtes vraiment heureux dans ce que vous faites.

(Photo: ckubber)

Commentaires

20 commentaires pour “La vengeance est un plat qui ne se mange pas”
  1. fraZck says:

    Encore un superbe article ! Bravo.
    Tout à fait d’accord avec toi. Et je pense effectivement que la première chose à faire pour éliminer cette envie de vengeance, c’est de ne pas se laisser marcher sur les pieds. Mais il est vrai que la plupart du temps, tout vient en raison d’un manque de compétence, d’information, ou autre sur le “domaine” où l’on se fait “souiller”. Notre ego en prend donc un coup. Mais je suis d’accord avec toi. Laissons notre ego de côté et profitons de l’occasion pour nous améliorer ! Mais ce n’est pas forcément la chose la plus simple.

  2. Jean-Philippe says:

    Merci fraZck!

    Je suis d’accord avec toi, c’est parfois très difficile. Pour employer le mot que tu utilises, on ne peut se laisser “souiller” que si on l’accepte dans notre tête. En fait, personne n’a de réel pouvoir sur nous que si nous l’acceptons.

    Il est aussi difficile de voir les effets à long terme. S’améliorer, je pense, ne se termine jamais, d’où parfois notre impatience et l’apparition de notre ego qui demande satisfaction immédiatement. Hum, c’est assez clair ce que je dis là? 😉

  3. fraZck says:

    Oui oui ! C’est très clair ! Ego = “satisfaction” immédiate alors que parfois il faut du temps. D’où une certaine “frustration” de notre ego. Alors à nous de prendre sur nous.

    • Jean-Philippe says:

      Le plus difficile c’est de comprendre l’inutilité de notre ego. Le “vrai succès” vient à ceux qui n’y pensent pas en terme d’ego mais en terme de service aux autres. 🙂

  4. Meriem says:

    Ce qui fait le plus de bien, c’est de “ruminer” : imaginer toutes les façons possibles de se venger, les fignoler, sortir à chaque fois vainqueur bien sûr, l'”ennemi” restant ratatiné, humilié, écrrrrasé !

    et je peaufine …. et je peaufine …. des vengeances complètement démesurées par rapport à l’affront, aucun détail ne manque !
    Ahhhh que ça fait du bien !
    ça soulage un max !

    et pis voilà, flop ! ça s’arrete là le plus souvent.
    Ben oui : tout ça m’a pris du temps, alors la grosse rage est passée, j’ai plus envie de me venger, je suis passée au dessus de ça en quelque sorte.

    Enfin …. j’ai de la mémoire quand même, alors si l’occasion m’est donnée … une petite pique assasine, même des années après, c’est quand même jouissif !

  5. Yann says:

    Excellent article, comme toujours. L’ego est vraiment un tyran qui nous incite à un comportement inutile et qui très souvent se retourne contre nous.Tu as raison, le pardon est essentiel.

    • Jean-Philippe says:

      Merci Yann! mais je reconnais aussi que c’est parfois difficile à faire. Il m’arrive aussi de me rabattre sur la technique de Meriem, citée au-dessus…

  6. “Sage est celui qui va son chemin dans la vie sans se laisser troubler par les critiques…”

    Certaines remarques sont parfois réellement blessantes, mais d’autres en revanche devraient nous inciter à nous remettre en question. Cela peut aussi être une question de sensibilité et d’interprétation.

    Quant aux remarques du style “Tu n’y arriveras pas !” ou “Tu ne devrais pas !”, même s’il s’agit d’un sage conseil, quand on sait qu’au fond de soi-même, on en est capable, il faut essayer ! Cela me rappelle entre autres une petite anecdote, à propos d’un élève qui avait eu comme remarque écrite d’un de ces professeurs : “N’arrivera jamais à rien dans la vie !”… cet élève, c’était Jacques Chirac ! 😀
    Je ne veux pas faire de politique, mais un élève “bon à rien” qui accède au poste de président de la République, ça va : il y a pire comme métier ! ^^

    En conclusion, je dirais que “quand on veut, on peut !” : si on devait s’en tenir à tous les avis autour de nous, on ne ferait plus grand-chose…

  7. Jean-Philippe says:

    Très bien dit Aurélie! Merci d’avoir ajouté un plus en forme de petite histoire, que je ne connaissais pas. 🙂

  8. Jeanne says:

    A votre avis, quelle est la meilleure attitude à avoir envers des personnes à qui vous avez donné votre confiance depuis des années et qui brutalement vous trahissent, en groupe, sans que vous compreniez pourquoi? Je me suis posée toutes les questions, je me suis remise en cause de toutes les manières que j’ai pu… Alors j’ai choisi de décider tout simplement qu’il était temps pour moi de faire autre chose et de sortir ces gens de ma vie. De ne plus les voir. Et si possible de les oublier.
    Je ne pense pas que ce soit du pardon… Car au fond je ne leur pardonne pas leur attitude. Mais je m’efforce d’amenuiser leur importance à mes yeux, de manière à ce qu’ils n’aient plus d’influence sur mes ressentis ni sur mes choix futurs.
    Si vous avez des remarques, je suis preneuse…

  9. Jean-Philippe says:

    Merci Jeanne de partager ton expérience. 🙂

    Je pense que tu as fait le bon choix. On ne comprend pas toujours pourquoi les gens agissent d’une certaine façon à un moment donné et on ne va pas passer sa vie à le faire. Si cela n’est pas bon pour soi, autant comme tu le dis les “sortir” de ta vie et aller vers d’autres personnes plus accueillantes, avec qui tu pourras avancer.

    Le pardon c’est une notion très personnelle. C’est toi et toi seule qui décide. Si tu penses que ce n’est pas nécessaire, personne ne te le reprochera. Seulement, parfois on s’accroche au ressentiment comme à une bouée. Mais il semble que ce ne soit pas ton cas. 🙂

  10. Sage recommandation….à méditer et appliquer

  11. Céline says:

    Excellent article. Enfant, j’étais assez atypique, un peu trop “artiste” sur les bords, j’ai souvent été la proie des autres… Bien que je me sois parfois vengée 🙁 dans le but de me faire respecter, j’ai remarqué comme vous que la meilleure des vengeances est encore l’ignorance doublée d’excellence. Je me suis laissée challengée par les autres sans cesse. Aujourd’hui, à 37 ans, mon bagage pro et artistique est plutôt conséquent… Probablement grâce aux cons croisés sur la route qui m’ont permis de ne jamais abandonner un projet mais m’ont “motivée” (par leurs critiques visant à me voir baisser les bras) à justement aller jusqu’au bout. Il faut voir les cons comme autant de possibilités de se dépasser ! 😉

    • Merci beaucoup Céline pour ce témoignage très personnel ! Oui, ne pas baisser les bras et continuer son petit bonhomme de chemin est la meilleure solution… et ça avance, je vois. 😉

  12. Ghkaeitq says:

    Excellent. Merci beaucoup pour cette petite leçon de vie 🙂

  13. Céline says:

    J’ai un peu planché sur mes anciennes envies de vengeance, un petit monologue… Au final c’est vrai la vengeance ne se mange pas… La paix intérieure se gagne avec le temps …

    http://www.chercheursdebonheur.com/monologue-sur-ladolescence-vaine-est-la-vengeance

  14. Caroline says:

    Bonjour, je suis arrivée ici tout à fait par hasard, pour savoir comment me défaire de toute cette haine et cette vengeance qui me ronge. Seulement, ton article ne m’aide pas réellement. Je ne me sens pas mieux, je ne comprends toujours pas ce qui me pousse à me venger.

    Je ne pense pas pour ma part que ce soit mon “ego”, je t’explique un peu ce qui me pousse à te dire ça. Récemment (il y a 5 semaines) j’ai été violée par mon beau frère et depuis une semaine je ressens l’envie de lui faire payer, lui faire comprendre comment il a su me faire mal. De le briser comme il m’a brisée. Je suis quelqu’un de très épanouie, beaucoup de personnes de mon entourage tentent de lui trouver une excuse, mais c’est moi qui ait subit les dommages, et il se fou totalement de ce qu’il a bien pu me faire.

    Je n’ai pas forcément envie de porter plainte, j’ai juste besoin de lui faire autant de mal qu’il m’en a fait. J’ai besoin de me venger, c’est donc pour ça que je te dis que mon “ego” n’y est probablement pas pour grand chose. Je me sens blessée et brisée, certes mais je pense que ça me ferait vraiment du bien que tout le monde sache et se méfie de lui. Je sais que ça va me faire du mal s’il n’a plus rien, mais il doit savoir ce que je traverse. Ca va me faire du mal mais me soulager en même temps.

    Tu penses vraiment que cette vengeance serait vaine ? Merci à toi tu m’as quand même ouvert les yeux sur certains points assez sombre sur le sujet.

    • Merci beaucoup Caroline d’avoir pris le temps de laisser un commentaire pour expliquer ton histoire et ta position. 🙂

      Dans mon article je parlais de blessures surtout verbales et je ne me permettrais pas de disserter avec autant de légèreté sur le viol. Même si je suis heureux d’avoir pu éclaircir quelques points pour toi, je pense très sincèrement qu’il faudrait que tu parles avec des professionnels de l’écoute. Cela te permettrait d’évacuer une petite partie de ta haine (bien compréhensible), de commencer à te reconstruire et de pouvoir mieux réfléchir aux suites que tu veux donner à cette affaire. Ensuite ? Je suis d’accord avec toi que cette personne risque peut-être de recommencer avec d’autres. Comment l’en empêcher, tout en te respectant ? C’est ce à quoi tu réfléchiras, opérant ainsi une “vengeance” positive. 🙂

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