Une étrange école – Nouveau trimestre (5)
Par Jean-Philippe le 14 February 2011
dans Changer les règles, Des histoires
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“Je vous recommande de prendre au moins conscience du moule dans lequel on veut vous faire rentrer. Après, vous décidez de vous y insérer ou pas.”
Le prof de mythex a lentement repris son cours.
“Je vous dit ça mais ne croyez pas que vous soyez les seuls concernés. Les adultes aussi.”
Elodie lève la main.
“Vous voulez dire qu’après l’école, quand on ira travailler, on aura toujours ce stress ?”
Le prof s’approche d’elle et pousse un petit soupir. Il en rajoute un peu.
“C’est même pire.”
La réaction dans la classe est instantanée. Des “c’est pas possible” ou des “vous plaisantez” fusent à droite et à gauche et le prof doit lever les mains pour calmer le brouhaha.
“Qui a l’expérience du monde adulte dans cette classe, vous ou moi ?”
“Ben vous m’sieur,” répond Louis.
“Donc faites-moi confiance, cela ne va faire qu’empirer au fil des années. Vous penserez toujours qu’après ça sera mieux. Après le diplôme, après le mariage, après l’achat de la maison, après la promotion.”
“Vous nous donnez pas envie de grandir,” lance Damien un peu agacé.
Le prof sourit.
“Mais il y a une solution.”
La classe fait silence comme un seul homme.
Il retourne lentement vers le tableau et continue son cours tout en effaçant le mot “HONTE” qu’il avait écrit auparavant.
“Cette honte qui est en nous peut disparaitre. Cette honte est la source de presque tous nos problèmes dans notre société. C’est elle qui nous fait agir pour ressembler aux autres. C’est elle qui nous rend aveugle.”
Il pose son effaceur et se retourne vers la classe.
“Nous ne voyons plus qui nous sommes. Nous ne voyons plus que nous sommes des êtres capables. Nous nous racontons des histoires. Nous ne pouvons plus comprendre que, tels que nous sommes maintenant, cela suffit. IL n’y a pas besoin d’acheter un autre gadget, un pantalon de marque ou la dernière console vidéo. Nous sommes parfaits tels que nous sommes.”
La classe se détend un peu.
“Mais pour vraiment le comprendre, il faut briser ce filtre de la honte qui déforme nos histoires. Tant qu’il est présent, notre vision de nous-même restera maquillée.”
Louis, qui prenait furieusement des notes, s’interrompt soudain et fronce les sourcils.
“Et comment on fait ça ?”
Le prof se tourne vers lui.
“Tout simplement en racontant ses propres histoires filtrées… ses fausses histoires.”
Le visage d’Élodie s’éclaire.
“La mythexmalotie ! Voilà à quoi ça sert !… c’est ça ?”
Le prof met les mains dans les poches et hoche la tête.
“Exactement. Pour sortir de ce cycle de honte et vraiment comprendre sa valeur, il faut les raconter ces histoires qu’on se crée et qui bloquent notre vue, ces croyances qu’on s’invente et qui nous aveuglent.”
“Oui mais à qui on va raconter ça ?” demande Damien, toujours pas convaincu. “Je vais sûrement pas dire ce genre de trucs à mes parents, ou même à vous.”
“C’est normal monsieur Damien. Il vous faut une personne de confiance. Une personne qui saura vous écouter sans jugement pendant que vous videz votre sac.”
Le jeune garçon fronce les sourcils.
“Moi, j’ai pas l’habitude de raconter des choses comme ça à mes copains, et j’en ai aucune envie !”
“Moi non plus !” ajoute Louis.
“De toute façon tu n’as pas de copain, à part moi,” lui lance Damien.
Louis baisse la tête sous les rires de la classe.
“Avoir des copains, des copines, cela ne veut rien dire,” dit le prof. “Rare sont ceux ou celles qui peuvent écouter sans juger, sans vouloir donner de bons conseils.”
Il se dirige vers le fond de la classe et s’adosse au mur, main dans les poches.
“J’ai une bonne nouvelle pour vous tous.”
Les élèves se tournent sur leurs chaises, encore plus attentifs.
“Dans moins de trois mois, vous serez tous et toutes capables d’écouter. Si vous le voulez.”
La nouvelle n’a pas l’air de réjouir la classe. La plupart des élèves se retournent à nouveau.
“Ça ne m’intéresse pas d’écouter tous ces trucs,” dit Damien.
“Vous aiderez un ou une de vos camarades, et en échange vous pourrez aussi parler,” répond le prof.
“Et j’ai encore moins envie de parler de ça, je vous l’ai déjà dit,” insiste Damien, irrité.
Le prof sort les mains de ses poches et les pose à plat contre le mur.
“C’est votre choix. Mais je sais que tout le monde, sans exception, dans cette classe a ses propres soucis. Vous vous posez des questions, les questions que se posent les gens de votre âge. Elles ne sont pas les mêmes que les miennes mais, elles sont tout aussi valables. Il ne faut pas les négliger, ou penser qu’elles vont disparaitre avec le temps.”
Damien soudain tape du poing sur la table. “Mais vous allez finir par nous mettre les boules !”
Tout le monde fait un bond, y compris le prof.
Il se tourne lentement vers le jeune garçon. Le timbre de sa voix est resté le même. “Monsieur Damien, dans ma classe, je respecte tous mes élèves et j’attends la même chose de chacun d’entre eux. Vous pouvez ne pas être d’accord avec moi, ce n’est pas un problème. Mais, respectez vos camarades et surtout, respectez-vous.”
“Je m’en fous !” crie Damien. Il se lève, attrape son sac et sort de la classe en claquant la porte.
Le prof n’a pas tenté de le retenir. Il repart simplement vers le devant de la salle.
La classe est stupéfaite par ce qui vient de se passer mais elle attend, curieuse, la réaction du prof. Ce dernier, arrivé devant son bureau, leur fait face.
“Quand j’étais un jeune auxiliaire, j’aurais très mal réagi à l’attitude de monsieur Damien. Soit je l’aurais sévèrement puni pour son attitude insolente et surtout, pour avoir ridiculisé mon autorité devant toute la classe, soit j’aurais tenté de le retenir, de l’amadouer, de le cajoler. J’aurais tenté de me venger ou d’acheter sa sympathie par tous les moyens. Pourquoi ?”
Il survole la classe du regard.
“A cause du filtre ?” dit tout bas Élodie.
“Bien, mademoiselle, c’est tout simplement ça. C’est toujours ça.” Il a un petit sourire. “J’aurais eu trop peur, d’abord de votre opinion avec tous les choses que vous auriez dites sur moi dans la cour de récré. Ensuite, j’aurais surtout eu peur de la réaction de mes collègues, de leur jugement sur moi, de leur “encore un qui ne sait pas contrôler ses élèves”, de leur ton arrogant, paternaliste ou trop compatissant d’ancien qui a de l’expérience.”
“Et maintenant ?” demande-t-elle.
Le prof écarte les bras, hausse les sourcils et éclate de rire.
“Maintenant ?… regardez-moi !” dit-il avec un plaisir non-dissimulé.
Dans ses yeux, les élèves sentent une sincérité que soudain, ils envient très fort.
Oui, être comme lui, se moquer du regard des autres, ne plus, sans arrêt, calculer ses choix, ne pas déprimer si on est un peu à l’écart, dans son coin. Ne pas graviter autour d’un centre extérieur à soi-même.
Être son propre centre.
Être juste soi.
C’est possible ?
(A suivre)
(Photo : Sweet.Eventide)
Ne jamais se brûler pour l’opinion des autres.
http://www.myspace.com/christiansbrocca/music/songs/l-opinion-des-autres-edit-e-54351929
Merci beaucoup Joel pour ce lien ! Est-ce que Christian Sbrocca est connu ? (Excuse ma méconnaissance du paysage musical français, cela fait longtemps que j’ai quitté la France)
Bonjour,
J’avais lu l’épisode 4 vendredi, et j’espérais la suite. J’ai été agréablement surprise de la trouver ce matin! Belle façon de commencer la journée. Merci beaucoup.
Vivement la suite
Merci beaucoup kaltoum pour ce beau compliment que tu me fais ! Je suis très heureux d’avoir été une tout petite part de ton matin. 😉
Ben oui ! C’est possible. 😉
Salut Jean-Philippe !
Un petit mot rapide pour te dire que je kiffe cette suite “d’une étrange école” !
Je te prend même en exemple pour le système éducatif de ma petite utopie fabriquée dans l’après midi pour échapper à la routine du boulot !
A très vite pour les prochains épisodes !
@AMie C’est vrai que pour nous ça parait si évident maintenant… 😉
@David Content de te revoir ici ! Merci pour le lien dans ton propre article, c’est une excellente idée que tu as eue là. ( De créer cet article, pas d’y inclure mon lien… 😉 )
@Jean-Philippe: J’ai découvert Christian Sbrocca lors d’une conférence sur le développement personnel et l’entrepreneuriat. Un paquet cadeau était distribué à la fin, contenant entre autre un CD de cet artiste québecois dont je n’avais jamais entendu parlé.
Ah, du Québec ! Merci Joel pour cette précision. 😉