Les 9 étoiles du désert (8)
Par Jean-Philippe le 14 October 2010
dans Des histoires
Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.
Les premières journées de leur voyage vers l’inconnu furent extrêmement pénibles pour Tin et Takamat.
Jamais, du temps de leur vie facile à l’oasis de Tafilalet, les deux jeunes filles n’avaient vécu quelque chose de semblable.
Certes, elles s’étaient déjà aventurées dans le désert environnant mais constamment accompagnées et finissant toujours par revenir vers la palmeraie et son petit lac rassurants.
Cette fois-ci, il n’y avait pas de retour.
Il n’y avait nulle part où se dire qu’on pourrait se reposer, baisser sa garde et se laisser aller à un sommeil paisible. Non, à mesure que les jours passaient, à mesure qu’elles s’éloignaient de la terre qui les avait vu naitre, à mesure qu’elles s’enfonçaient inexorablement dans le désert profond, Tin et Takamat prenaient pleinement conscience de leur situation périlleuse.
Leur destination était vague et incertaine.
Leur seul moment de soulagement était, lorsque le soleil se couchait après une journée étouffante, lorsque l’air chaud faisait place aux premières fraicheurs du soir. Oui, à ce moment là, les deux jeunes filles, assises côte à côte au sommet d’une dune ou d’une colline de pierre attendaient, leurs yeux scrutant l’horizon.
Et puis, doucement, presque invisible au début, Ahaggas surgissait dans l’obscurité montante, de plus en plus lumineuse. En la retrouvant dans la bonne direction, Tin et Takamat soufflaient un peu et dans cette lumière scintillante retrouvaient la volonté et le courage qui leur manquaient après une longue journée dans les sables et les rochers.
Le troisième soir, alors que toutes deux se ressourçaient, contemplant l’étoile majestueuse tout en essayant d’y noyer leurs craintes, Takamat, lasse, se tourna vers sa maitresse.
“Retournons à l’oasis. S’il vous plait.”
Tin baissa les yeux avant de répondre.
“Tous les matins en me levant, j’ai envie de retrouver les objets familiers de notre enfance. Tous les matins, j’ai envie de rebrousser chemin pour aller me réfugier dans la palmeraie, même si j’y perdrai ma dignité.”
Elle fit une pause, relevant la tête.
“Et puis le soir, quand je vois Ahaggas scintiller à l’horizon, je retrouve une force qui me dit que notre destin est dans cette traversée périlleuse. Peut-être que parfois nous sommes faibles, mais nous savons que c’est en avançant que nous découvrirons notre futur. Il est là-bas. La réponse à nos questions est en avant, pas en arrière. Nous devons persister Takamat, car abandonner maintenant serait se trahir soit-même et disparaitre dans le néant d’une vie insignifiante, soumise aux nouveaux maitres de l’oasis.”
Tin se tourna vers Takamat et vit que la jeune servante, pleurait en silence. De grosses larmes roulaient sur ses joues. Elle n’essayait même pas de les arrêter. Une toute petite plainte monta de sa gorge. La princesse entoura doucement de son bras Takamat qui, telle une branche brisée, se laissa aller contre l’épaule de sa maitresse.
Le remord s’empara de Tin. Pourquoi l’ai-je entrainée dans ma folie, se dit-elle ? Pourquoi ne pas l’avoir laissée à Tafilalet ? Après tout, sa vie là-bas aurait pu continuer paisible et sereine. C’est moi qui voulait partir. C’est moi qui voulait échapper à une vie de prison et de déshonneur. N’aurais-je pas dû rester pour soutenir mon peuple, les frères et les sœurs de Takamat ?
Elle caressa la tête de sa servante.
Ma fierté, se dit-elle, voilà tout ce qui compte pour moi. Quelle arrogance ! Je n’ai pas été capable de me sacrifier dans une vie de riche épouse soumise mais Takamat elle, n’a pas hésité à quitter tous les siens pour m’aider dans ma poursuite insensée d’une mère improbable.
La princesse se mordit la lèvre. Ne pas pleurer. Pas maintenant.
Takamat se redressa lentement, confuse et gênée.
Elle déclara d’une toute petite voix qu’elle allait préparer le repas, bien qu’il n’y ait rien à préparer, juste à se partager quelques restes. La princesse acquiesça, restant seule sur la dune à regarder Ahaggas, lumineuse et solitaire dans le ciel sombre.
Et là, à son tour, elle laissa son cœur parler et les larmes couler, sa main agrippant son pendentif.
Les journées qui suivirent, furent encore plus accablantes.
Les jeunes femmes tentaient de rationner l’eau du mieux qu’elles pouvaient mais le temps passant, les outres se vidaient rapidement.
Deux jours plus tard, elles se retrouvèrent à nouveau, épuisées, desséchées, désemparées, assises contre des rochers, regardant l’horizon. Elles réagirent à peine lorsque, la feinte lumière d’Ahaggas apparut dans le ciel.
“Je n’en peux plus,” murmura Takamat.
“Je sais,” répondit Tin sans arrêter de fixer l’étoile. “Encore un peu, Takamat.”
La servante ferma les yeux.
“Jusqu’à quand ?”
“Jusqu’à la prochaine oasis.”
“Où est cette oasis ?” répondit Takamat d’une voix lasse.
“Elle est là-bas, quelque part. Il faut continuer.”
Takamat se tut un instant, puis reprit, lentement.
“Votre mère n’est jamais revenue de ce voyage.”
Malgré la fatigue, Tin tressaillit. Elle ne le savait que trop. Takamat était plus réaliste qu’elle. Sa mère avait sans doute disparu dans les sables ou dans les montagnes de pierre sans jamais trouver le moindre point d’eau. Après avoir épuisé toutes leurs vivres, sa suite et elle, s’étaient sans doute adossés à l’ombre, quelque part dans cette région et avaient attendu la fin.
Maintenant, leur tour approchait.
Pourtant Tin savait qu’elle devait suivre les pas de sa mère inconnue. Même si au bout de son voyage les dieux l’attendaient pour l’emporter, elle aurait au moins rendu cet hommage à celle qui était partie pour sauver son peuple.
Fille d’une reine courageuse, princesse elle-même, Tin ne pouvait se résoudre à la soumission de l’oasis et voulait que dans les siècles futurs, on prononce le nom de sa famille avec respect.
Takamat ne pleura pas. Elle n’avait plus de larmes à verser. Elle se leva difficilement et, pour la dernière fois, partagea les quelques dattes qu’il leur restait. Elle le savait depuis le début, plus rien ne pouvait maintenant les sauver. Elle avait été folle d’accompagner sa maitresse.
Tout ça, pour suivre des signes sur un bout de métal d’argent.
Tin la rejoint. En silence, elles mâchèrent leurs dattes qui collaient au palais, difficiles à avaler. Elles burent un peu d’eau et s’allongèrent rapidement sous leur bernouz.
Le lendemain, elles se levèrent lentement et repartirent, presque mécaniquement.
Le même soir, elles finirent la dernière outre d’eau avec une malheureuse datte retrouvée par Takamat au fond de son sac.
Le jour suivant, elles continuèrent sans boire et sans manger.
Lorsque le soleil se coucha, elle se laissèrent juste tomber là où leurs pas les avait conduits. Elles ne s’occupèrent même pas de leurs montures.
A demi consciente, Tin eut tout juste la force de lever la tête pour voir si Ahaggas était toujours présente. Mais maintenant cela n’importait plus.
Demain serait le dernier jour.
Le soleil était déjà bien trop chaud lorsque Tin émergea d’un sommeil lourd et sans rêve. Pendant un instant, elle hésita puis, doucement, referma les paupières.
Et là, elle vit sa mère.
Sa mère qui la regardait.
Lentement, elle s’approcha de Tin et lui tendit les mains pour l’aider à se relever. Tin prit ses mains douces et fines dans les siennes qui étaient sèches comme la pierre et, se redressa. Sa mère, lui écarta les bras, semblant l’admirer, elle, sa fille, alors qu’elle la découvrait au pire moment, après tant de journées dans le désert !
Tin voulut se détourner mais sa mère l’en empêcha et lui dit ces simples paroles :
“Je suis toujours avec toi.”
A ces mots, Tin voulut parler mais quelque chose l’en empêchait. Elle mit la main à la bouche et essaya d’en retirer ce qui maintenant commençait à l’étouffer. Ses doigts agrippèrent quelque chose de rêche comme la peau d’un crapaud. Terrorisée elle essaya de retirer cette chose qui bougeait. Elle tenta de crier. Aucun son ne sortit. Il fallait qu’elle arrache cette chose monstrueuse, vivante qui lui obstruait sa bouche.
Tin, suffocant, sentit soudain ses forces l’abandonner.
Allait-elle finir ainsi, étouffée par un monstre du désert, dévorée de l’intérieur ?
Était-ce cela la mort ?
Elle sentit alors un poids énorme peser sur elle.
Quelque chose l’écrasait !
En même temps qu’elle se sentait partir, cette masse lourde, oppressante, la faisait comme s’enfoncer dans la sable, entre les rochers.
Sa dernière pensée fut de se dire que la mort avait une bien étrange façon de se manifester, étouffante et imposante.
Elle se rappela les visages de sa mère et de son père. Puis, elle remit son âme aux dieux de sa terre et attendit la fin de son agonie.
La chose dans sa bouche cessa de remuer.
Elle s’enfonça un peu plus, lâchant un dernier souffle.
Et Tin entendit au loin, le chant des dieux venant l’accueillir dans leur panthéon.
(A suivre)
(Photo : Rosino)
ça va toujours plus loin 🙂 passionnant !! vivement la suite !!
Merci ! Nathalie, c’est promis, c’est à toi que reviendra le pendentif… si on le retrouve. 😉
Plus de commentaires, ne veux pas dire plus de lecteurs ! Il ne tient qu’à toi de mettre le mot “Fin” ! J’aime ton histoire pour ce qu’elle raconte “derrière”. Mais en attendant, je vois un “à suivre”qui me laisse penser qu’il y a une suite ! ;o)
Bon, alors c’est 2 pendentifs qu’il va falloir maintenant… Merci Milène ! 😀
Mise à jour : Je viens de légèrement modifier la fin de cette partie.