La femme sans peur (11)

Par le 12 July 2012
dans Des histoires

 

Cet article est la suite de la saga de Trinity Silverman, commencée ici.

Les gants jaunes tâtent l’intérieur de sac poubelle.

Trinity, le visage crispé, les bras entièrement dans les détritus, cherche. Elle essaie de ne penser à rien, d’oublier les odeurs et de se concentrer sur la forme du flacon. Derrière elle, elle entend Christina qui est en train de vider son chariot et de ranger son équipement de nettoyage.

Les minutes passent.

Soudain, elle sent quelque chose de dur sous ses doigts. Elle attrape la chose et la ramène à la surface. Au creux de sa main gantée de jaune, elle reconnait le bouchon rouge. Elle secoue le récipient. Elle entend le bruit rassurant des pilules.

Elle se relève, joyeuse.

“Je l’ai !” dit-elle en se tournant vers Christina.
“Tant mieux parce que j’allais partir. Nettoyez-vous,” répond l’employée en indiquant un lavabo au coin de la pièce.

Trinity ressemble plus à un épouvantail qu’à autre chose. Si Nick Burr la voyait.

Elle chasse vite cette pensée et pose le flacon sur le rebord. Elle enlève ses gants et sous un flot d’eau fraiche nettoie le flacon taché. Elle se regarde dans le miroir. Son tailleur anthracite en a pris un coup. Les manches sont pleines de poils, de cheveux et de bouts de papiers.

Trinity les nettoie du mieux qu’elle le peut jusqu’à ce que Christina la rappelle à l’ordre.

“Je pars !”

Cette dernière est maintenant en jeans dernière mode, tee-shirt blanc, et petit sac à dos noir. Elle porte des tennis blanches et ses cheveux noir légèrement bouclés, souples et brillants, attachés en queue de cheval, retombent sur ses épaules.

Trinity, encore une fois, ne peut s’empêcher d’admirer sa belle chevelure.

Christina éteint la lumière du local et les deux jeunes femmes se retrouvent à nouveau dans le couloir sombre. Mais Trinity est souriante. Elle a retrouvé ses comprimés. Elle regarde Christina.

“Je vous ai promis une récompense,” commence-t-elle.
“Et moi je vous ai dit que je n’en voulais pas,” lui répond Christina.
“Qu’est-ce que je peux faire pour vous, alors ?”

Dans les yeux de Christina, il y a un instant de flottement mais son regard se durcit à nouveau.

“Rien. Vos médicaments devaient être très importants pour votre santé. Sinon vous ne seriez jamais venue jusqu’ici. Maintenant vous les avez. Ça me suffit. Au revoir.”

Elle commence à s’éloigner mais Trinity la retient par le bras.

“Attendez. Je veux vraiment faire quelque chose pour vous. Vous n’avez pas un peu de temps libre aujourd’hui ou ce soir ?”

La jeune employée s’arrête.

“Du temps de libre ?” Il y a de l’ironie dans sa voix. “Non, je n’ai pas de temps de libre. J’ai deux emplois et un enfant à élever, seule. Ça vous parle pour le temps libre ?”

Trinity retire sa main.

“Pardon, je ne savais pas.” Elle hésite. “Quand est-ce que vous revenez à l’hôtel ?”
“Ce soir, je commence à 22h00.”
“Vous pouvez venir à 21h00 ? Je vous invite à un petit diner, tout simple, dans ma chambre.”

Elle a dit ça très vite, sans trop réfléchir.

L’autre la regarde en fronçant les sourcils, se demandant si elle se moque d’elle. Mais Christina voit dans les yeux bleus de Trinity un éclat qui ne trompe pas. C’est un mélange de gentillesse et de soulagement.

Christina hésite, puis hoche la tête.

“D’accord, 21h00, dans votre chambre,” et elle s’eloigne rapidement, presque en courant.

Trinity la regarde disparaitre au bout du couloir avec un sourire de satisfaction. Elle revient ensuite dans sa chambre. Il est temps d’enlever ce micro qui pend toujours devant sa bouche. La jeune femme a aussi une furieuse envie de se laver et puis, il lui faut appeler Jim pour s’excuser de son départ précipité de la conférence ce matin.

Lorsqu’elle l’a au bout du fil, douchée et assise à son bureau, ce dernier est de bonne humeur.

“Non, ce n’est pas grave,” lui répond le technicien. “En tout cas, vous avez été formidable ce matin. Et Nick Burr, vous l’avez bien mouché !” conclut-il en riant.
“Merci Jim, l’espère que je n’en ai pas trop fait.”
“Pas du tout, il le mérite. Sinon, j’ai fini de préparer la salle de réunion pour le petit séminaire de demain. MetaForex 3.0 fait un carton, vous pouvez être fière de vous Trinity.”

La jeune femme se sent rougir et passe un doigt distrait sur la coquille de Speedy qui agite joyeusement ses antennes dans tous les sens.

“Tant mieux, on a travaillé dur sur cette version. Ensuite vous restez ou vous repartez avant la deuxième conférence ?”
“Celle de la semaine prochaine ? Je reste parce que le grand patron sera là et je veux que tout soit techniquement parfait pour ce jour-là.”

Trinity se renbrunit. C’est vrai, la prochaine fois qu’elle montera sur l’estrade, il y aura tout le gratin de MetaForex pour l’écouter. Elle a un petit coup au cœur, pendant qu’elle compte mentalement les jours. C’est dans six jours.

Elle a six pilules.

Elle se détend et respire.

“Trinity ?… Allo ?”
“Oui, oui… Jim, je suis là. Vous avez raison, ce sera vraiment la conférence la plus importante de l’année. Il faudra qu’on assure.”
“Après votre prestation de ce matin, je n’ai aucun doute,” lui répond Jim. “Vous allez les épater !”

Après avoir raccroché, Trinity, dans son peignoir de bain, pose ses mains devant elle, à plat sur le bureau. Elle penche la tête, l’appuie doucement sur son bras et attend, calmement.

Avec Speedy, il faut toujours être patient.

Même si le petit escargot pense qu’il est très rapide, à l’échelle humaine, il lambine. Mais Trinity prend toujours son temps avec lui. Il a cet effet calmant qui relaxe la jeune femme. C’est comme quand on joue avec son chien ou son chat. Sauf que là, ça va moins vite.

Speedy grimpe sur le doigt tendu. Ses antennes inférieures touchent l’épiderme de Trinity. Ce goût-là, il le connait bien. Il est doux et est toujours associé à la senteur fraiche qu’il saisit au vol avec ses deux nez des antennes supérieures.

Cette fusion d’arômes est parfaite. Il adore.

Le petit Euxina Circumdata hisse sa longue coquille derrière lui et avance sur l’index de Trinity. Il connait bien ce territoire, il se sent chez lui. Derrière, il laisse son tout petit sillon brillant, comme un magicien laisse derrière lui une trainée de paillettes.

(A suivre)

(Photo : Pamela Machado)

Commentaires

11 commentaires pour “La femme sans peur (11)”
  1. Damien says:

    Allez les filles, venez chez moi que l’on s’éclate ! Je vous ferai goûter des petites pilules de derrière les fagots que vont vous faire votre révolution personnelle !

    Mais… attention, hein, il n’y en a pas beaucoup. Je veux bien t’en donner une à toi, Christina ! En mémoire de ce moment où tu m’as donné l’autorisation de plonger dans ta poubelle !

  2. Damien says:

    Disons que j’ai essayé de voir ce qu’il pouvait bien se passer dans l’esprit de Tinity. Christina lui a sauvé la mise et elle a trouvé, avec les petites pilules, le moyen de la remercier. Je me trompe ? Mais Christina en a-t-elle besoin, avec son caractère bien trempé ?

  3. hé bien la saga se poursuit finalement grâce à nos appels. Merci pour ce nouvel épisode

    • Merci Julia pour ton commentaire ! Oui, elle se poursuit grâce à un vote massif de 78% de votants “pour”. Il m’aurait été difficile de la stopper maintenant. 😉

      PS : Et puis ça me plait bien aussi de la continuer avec d’autres éléments qui vont intervenir. 😀

  4. Damien says:

    … et pourtant j’essaye d’être de moins en moins dans l’analyse…pour me laisser surprendre … à Jeudi !

  5. Hiba says:

    la suite… 😀

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