Fais ce qui n’est pas

Par le 6 June 2011
dans Des histoires

Le pouvoir du tarot ?

Fabien hésite encore un peu à l’entrée.

Juliette, de l’autre côté de la rue lui fait signe d’y aller.

Le jeune homme met le doigt sur la sonnette, le retire, regarde encore Juliette qui tape du talon, visiblement agacée et, pour échapper à sa colère, appuie à regrets sur le bouton.

Aucun son ne vient lui confirmer que cette sonnette fonctionne. Il a presque envie de faire demi-tour et de dire à son amie “Tu vois, ça ne marche pas, allez, rentrons !”

Car s’il y a bien un rendez-vous auquel il n’a pas envie de se rendre c’est bien celui-là. Et si le verdict était catastrophique ? Et si son avenir était compromis ? Et si le praticien allait le regarder d’un air désolé en soupirant poliment ?

Soudain, un déclic le fait sursauter. De l’intérieur, quelqu’un a déclenché le loquet et la lourde porte rouge s’entrebâille. Fabien pose une main peu rassurée sur la poignée en cuivre et jette un dernier coup d’œil à Juliette qui applaudit des deux mains et sautille sur place.

On voit bien que ce n’est pas elle qui va devoir affronter la vérité. Ce n’est pas elle qui va connaitre le verdict, le résultat, le diagnostic.

Un petit couloir l’emmène dans un escalier à spirales très ancien. Il monte deux étages et se retrouve dans un petit hall avec deux portes face à lui. Celle de gauche est déjà entrouverte. Fabien prend son courage à deux mains et pénètre dans un petit vestibule propret. Il s’attendait à trouver une salle d’attente avec quelques magazines soigneusement rangés sur une table basse, mais non, rien de tout cela.

Juste un vestibule à lambris. Vide.

Il y a quand même un grand miroir.

Fabien n’aime pas les miroirs. Surtout celui-là, qui est immense et couvre pratiquement tout un pan du mur. Donc c’est difficile de ne pas se regarder. De ne pas se juger.

En mal bien sûr.

Fabien avance un peu et il a l’impression que son double le suit de l’autre côté du miroir. C’est très désagréable comme sensation. Le jeune homme s’arrête. Où aller ? Le vestibule ne débouche sur rien. Il n’y a d’autre porte que celle de l’entrée.

Il fronce les sourcils, revient un peu sur ses pas en évitant bien de se regarder dans le grand miroir et se retrouve à nouveau sur le palier. Hésitant.

Je pars ?

Un espoir jaillit au plus profond de lui. Oui, arrêter tout de suite ces bêtises. Tant pis pour Juliette.

“Bonjour. Vous êtes bien Fabien Roussel ?”

Le jeune homme sursaute. Un homme se trouve juste derrière lui. La cinquantaine, très bien peigné, blouse blanche. Il a l’air soigneux.

“…Oui, c’est moi,” répond sans conviction le jeune homme.
“Alexandre Gébelin,” lui répond l’homme en lui tendant la main. “Entrez, s’il vous plait.”

Fabien suit l’homme à l’intérieur de l’appartement. Dans le lambris, face au miroir, une porte est ouverte qui, une fois fermée, disparait, se fondant totalement dans les rainures du lambris.

“Je suis désolé,” reprend Gébelin, “le téléphone a sonné après vous avoir ouvert la porte d’en bas et cette porte-ci se referme automatiquement.

D’une main il la pousse légèrement et cette dernière revient avec force sur elle-même.

Il la repousse d’une main ferme et fait rentrer Fabien dans un cabinet meublé avec goût. Il fait un signe au jeune homme et ce-dernier s’assoit dans un fauteuil. L’homme à la blouse blanche s’assoit derrière son bureau et croise les mains.

Un silence s’installe avant qu’Alexandre Gébelin ne reprenne la parole.

“Vous êtes bien certain ? Vous voulez savoir ?”

Fabien a envie de lui répondre que non, il n’a pas envie du tout ! Il a envie de lui lancer que s’il se trouve ici, maintenant, c’est la faute à Juliette, sa bonne copine, qui l’a poussé jusque dans ce bureau. Si cela ne tenait qu’à lui il ne serait jamais venu.

Mais Juliette veut savoir. Et puis, il est quand même un peu curieux aussi.

“Oui.”

Sa voix sonne faux mais bon, il l’a dit.

Gébelin acquiesce et se lève. Il y a un petit lavabo dans un coin et il s’y lave consciencieusement les mains. Il les essuie dans une serviette immaculée et revient vers son bureau, un petit sourire éclairant son visage.

“Ne vous inquiétez pas. Ça va bien se passer.”

Fabien hausse les sourcils, de plus en plus nerveux.

L’homme se rassoit et ouvre un des tiroirs pour prendre un objet qu’il dépose avec délicatesse sur son bureau.

Une petite boite rectangulaire en métal blanc poli.

Fabien s’enfonce un peu plus dans son fauteuil.

Du même tiroir, il tire une sorte de petite nappe de couleur vert clair qu’il déplie sur la table.

“On dirait que vous allez m’opérer,” essaie Fabien en forçant un sourire sur son visage.

L’homme le regarde, surpris.

“Vous ne croyez pas si bien dire.”

Il ouvre la boite en métal, jette un dernier regard à Fabien et en sort doucement un jeu de cartes de forme assez longue.

Voilà, maintenant, je ne peux plus me défiler, pense le jeune homme.

Gébelin inspire lentement, gardant le jeu entre ses deux mains. Son regard se pose à nouveau sur Fabien.

“Ce tarot est particulier.”

Il fait une pause et reprend.

“Généralement, pour ce genre de travail on utilise un tarot de Marseille, acheté dans le commerce, pâle copie de divers originaux datant du XVe siècle. Mais ce tarot-là est unique. Il n’a jamais été imprimé ou copié. Il est original.”

Fabien ne peut s’empêcher de hausser les sourcils de surprise.

“Mais… alors, il est vieux ?”
“Oui, il date de 1494.”

Le jeune homme se penche un peu en avant, l’air méfiant.

“Il a l’air en bon état, quand même après cinq siècles, non ?”
“Il l’est. Savez-vous quel est le plus grand danger pour les objets en papier ?”

Fabien fait signe que non.

L’homme lève les deux mains et lui montre ses paumes. “Le sébum, ce film huileux qui recouvre notre peau pour la protéger est très acide et peut tout dissoudre. C’est juste une question de temps.”

Fabien hoche la tête, peu convaincu.

“Et vous avez dit qu’elles n’avaient pas été imprimées ? Comment c’est possible ça ?”
“Autrement, comment voulez-vous lire les cartes ?” lui répond Gébelin. “Comment votre énergie peut-elle se mêler à la nature du temps ?”

Le jeune homme fronce les sourcils, ne comprenant pas. Derrière son bureau, Gébelin poursuit.

“Si vous avez en main des bouts de carton découpés en forme de rectangle, imprimés avec des dessins plus ou moins mystérieux et qu’on appelle cela des cartes, croyez-vous que cela va vous aider à y voir quelque chose ? Il n’y a rien à lire dans ces jeux que l’on peut acheter dans n’importe quel magasin.”
“Et le vôtre alors ?”

Gébelin sourit lentement.

“Il s’est fait.”

(A suivre)

(Photo : gregburton)


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Commentaires

4 commentaires pour “Fais ce qui n’est pas”
  1. Leblon says:

    Un cadre et une atmosphère qui sacralise le Sujet et le Personnalise à la fois : “Le Tarot”…On a envie de mieux connaître sa Force énergétique et ce qu’il contient dans ses lames intemporelles…

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Leblon ! Là, j’ai l’impression d’avoir affaire à un professionnel du tarot. Je me trompe ? 😉

  3. Leblon says:

    Bonjour Jean-Philippe et merci pour toutes ces Lumières qui nourrissent Âmes, Coeurs et Esprits…Je ne suis pas un professionnel du tarot Jean-Philippe, juste un promeneur (loin d’être solitaire) sur les sentiers de la Croissance Intérieure…mon bâton de pèlerin m’a conduite jusqu’à vous, ce n’est sûrement pas un hasard.

    Merci encore Jean-Philippe,
    Bien amicalement,
    Odile

  4. Jean-Philippe says:

    Ah pardon Odile ! Votre pseudo m’a induit en erreur. En tout cas, merci pour votre confiance. 😉

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